Comment Bashir Abdi se prépare avant un marathon: « Celui qui gère le mieux la douleur gagne »
Médaillé olympique, recordman d’Europe, Bashir Abdi, 34 ans, veut améliorer son chrono lors du marathon de Rotterdam, ce 16 avril. A quoi ressemble sa préparation?
Né en Somalie, arrivé à Gand en 2002 après que sa famille a fui Mogadiscio au milieu des années 1990, c’est sous les couleurs de la Belgique que Bashir Abdi est devenu l’une des références européennes du marathon. Médaillé de bronze lors des Jeux olympiques de Tokyo en août 2021, il a abaissé le record d’Europe trois mois plus tard dans les rues de Rotterdam en bouclant les 42,195 kilomètres en 2 heures, 3 minutes et 36 secondes.
Deux années après son exploit néerlandais, Bashir Abdi revient ce dimanche 16 avril sur le célèbre parcours batave – réputé pour sa vitesse – auréolé d’une nouvelle médaille de bronze conquise à Eugene, aux Etats-Unis, en 2022, avec la ferme intention d’encore améliorer son chrono. A quelques jours de l’épreuve, le marathonien lève le voile sur sa méthode d’entraînement et distille au passage quelques conseils à tous ceux qui souhaitent s’attaquer à cette distance mythique.
Gérer la douleur
Apprécier la douleur, entrer dans une sorte de transe avec l’adrénaline qui le propulse vers l’avant. «C’est ce qui rend un marathon si spécial, concède l’athlète. Celui qui gère le mieux la douleur, physique mais surtout mentale, gagne. C’est ce qui fait toute la différence. Je peux courir les trente premiers kilomètres sans trop de douleur. Mais c’est après que l’aventure commence, selon l’allure qui a été adoptée jusque-là.»
Tout l’art consiste, dit-il, à continuer à courir de la manière la plus détendue possible. A ne pas paniquer malgré la souffrance et la tête qui lâche. «Plus on s’engage dans cette voie, plus le cerveau amplifie les signaux de douleur et bloque les sources d’énergie. Le corps fonctionne mieux lorsque l’attitude reste positive. C’est pourquoi, dans les derniers kilomètres, je pense parfois à une course ou à une séance d’entraînement sur piste où j’ai “fait mal” à tout le monde. Ou au sourire de ma femme et de mes enfants lorsqu’ils me verront franchir la ligne d’arrivée en tête ou avec une médaille. Lors du marathon olympique de 2021, alors que j’étais complètement épuisé à cause de la chaleur extrême et du décalage horaire, cette pensée m’a soutenu. Je ne pouvais pas abandonner, je ne me le serais jamais pardonné. Je devais obtenir cette médaille de bronze. J’ai exploré des endroits dans ma tête que je n’avais jamais vus auparavant.»
Lors du marathon olympique, j’ai exploré des endroits dans ma tête que je n’avais jamais vus auparavant.
Cette «vibe» positive, Bashir Abdi essaie de la créer avant même le départ. «En profitant de l’atmosphère, en me disant que je vais faire une longue course comme j’en ai couru tant d’autres mais, cette fois, avec du public, mes amis et ma famille qui m’encouragent bruyamment. Je me répète “Bashir, ça va être amusant, tu ne pourrais pas être à un meilleur endroit”.» Le stress, bien sûr, n’épargne pas le coureur pro: «Mais d’une saine façon, assure-t-il. Je tire ma confiance de ma préparation. Un marathon est honnête: on en retire ce que l’on y met. Si vous pensez à ça, vous courez plus détendu, vous prenez plus de plaisir et vous êtes plus performant.»
Douze semaines de préparation
La préparation d’un marathon s’entame douze semaines avant la course. «Les trois premières semaines, j’y vais relativement tranquillement, détaille le champion. Entre la troisième et la sixième semaine, je pousse le curseur un peu plus loin, pour permettre à mon corps de s’habituer à nouveau aux longues distances. De la septième à la dixième semaine, c’est le plus dur: je parcours une moyenne de 190 à 200 kilomètres maximum par semaine. C’est beaucoup, sans être extrême. De nombreux athlètes, comme le recordman du monde Eliud Kipchoge, courent jusqu’à 240 kilomètres par semaine. Je pourrais le faire. Je ne pense toutefois pas que ce soit rentable pour moi.»
Trois séances d’entraînement sont particulièrement cruciales pour sa préparation. L’entraînement de vitesse sur piste, le mercredi, où il s’impose 25 fois 400 mètres en 60-62 secondes chacun. L’entraînement au tempo, le vendredi, où il se rapproche de sa vitesse de course de 20 km/h. Enfin, sa plus longue séance d’endurance, le dimanche, de 35 à 40 kilomètres, à une allure 40 à 50 secondes plus lente que son rythme en marathon. «Je l’effectue toujours sur du plat, précise-t-il. Mais ça va devoir changer en vue du marathon olympique de Paris 2024. Le parcours y sera très vallonné. Ce n’est pas ce que je préfère. Si je veux y décrocher une nouvelle médaille, je n’ai pas d’autre choix que de m’entraîner davantage en montée.»
Entre les entraînements de course, Bashir Abdi effectue chaque jour des exercices de stabilité du torse et des étirements. «Je pratique aussi la musculation une fois par semaine: des squats (NDLR: flexions des genoux avec des poids sur les épaules) jusqu’à 80 kilos et des bench presses(NDLR: allongé sur le dos, les bras soulevant un poids) jusqu’à 50 kilos. Ça permet à mon corps d’être suffisamment fort et équilibré durant 42 kilomètres. Plus on est fort, plus on est en mesure de maintenir le même tempo rapide pendant plus de deux heures.»
Après dix semaines, le plus gros du travail est fait et la réduction progressive commence: deux semaines avec beaucoup moins de kilomètres, pour permettre au corps de récupérer et d’acquérir de la fraîcheur. «Mentalement, c’est parfois difficile, avoue l’athlète. Car on se demande parfois si on n’en fait pas trop peu. Il faut avoir confiance dans le processus de récupération.»
Pendant quasi toute la période d’entraînement, Bashir Abdi reste à 2 700 mètres d’altitude, à Sululta, en Ethiopie. «Les dix premiers jours, c’est un choc pour le corps, raconte-t-il. Je me sens très mal et j’ai mal à la tête. Même une petite sortie de quelques kilomètres est difficile. Ce n’est qu’à partir de la troisième semaine que mon corps fonctionne à nouveau relativement normalement. A cette altitude, rien n’est vraiment facile. Mais c’est essentiel pour pouvoir m’entraîner et me reposer sans distraction, et en raison, aussi, de l’effet positif sur mon hématocrite (NDLR: le volume occupé par les globules rouges dans le sang par rapport à son volume total, ce qui favorise l’apport d’oxygène aux muscles).»
Atteindre le poids de forme
La dernière semaine, l’alimentation est très importante. «Je ne mange alors que des produits légers et pauvres en fibres: du pain blanc, du riz, des pâtes, de la viande maigre. Il s’agit surtout de perdre un ou deux kilos de liquide, car les fibres absorbent le liquide. Ça fonctionne beaucoup plus facilement qu’avec un ou deux kilos de graisse. Ce n’est que la veille de la course que j’accumule les calories. Là, je peux même prendre un kilo. Je me sens parfois ballonné, mais cette charge en hydrates de carbone est nécessaire pour survivre au marathon. A l’arrivée, il m’arrive de ne peser plus que 50 ou 51 kilos au lieu de 53 ou 54.»
La veille du marathon, Bashir court une dizaine de kilomètre très tranquillement. «Mais pas sur le parcours de la course, insiste-t-il. Je ne regarde même pas les images du parcours. De toute façon, je ne peux rien y changer. Pourquoi gaspiller de l’énergie mentale pour ça? Il vaut mieux ne pas savoir à quoi s’attendre. J’essaie surtout de rester calme. Même si la montée d’adrénaline est constante.»
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Rituel, tactique et ravitaillements
Le jour J, le marathonien belge se lève généralement trois heures et demie avant le départ. «Je prends mon petit déjeuner et je quitte l’hôtel une heure et demie avant le départ. Là, je m’échauffe brièvement: environ cinq kilomètres, avec quelques accélérations. C’est suffisant pour réveiller le corps et commencer à transpirer. Je fais aussi quelques étirements puis je vais aux toilettes… Je ne prends jamais d’antidiarrhéique pour ralentir le transit. Le matin, je mange des aliments faciles à digérer et je bois beaucoup jusqu’au départ. Je perds beaucoup de liquides et de sels, plus que la moyenne. Surtout par temps chaud et humide. Je préfère un temps frais: 12 à 13 °C au départ, 17 °C à l’arrivée. Et de préférence avec peu de vent. S’il y en a beaucoup, il est important de courir le plus possible dans le sillage des autres concurrents ou des lièvres. Dans les marathons urbains, ils sont engagés pour courir à une certaine allure jusqu’au kilomètre x, en fonction de la vitesse envisagée par les meilleurs concurrents. Dans les championnats internationaux, il n’y en a pas. Là, ce n’est pas le temps qui compte, mais la place. Et ça devient très tactique. Comme l’année dernière aux championnats du monde d’Eugene, où dans les trente premiers kilomètres, personne n’a osé prendre la tête. Les coureurs se poussaient et se tiraient, il fallait constamment veiller à ne pas tomber. Choisir sa position est un art en soi.»
La veille de la course, j’accumule les calories. Là, je peux même prendre un kilo!
Lors d’un marathon, Bashir se laisse surtout guider par ses sensations. Pas par sa fréquence cardiaque, même à l’entraînement. «Certains athlètes paniquent lorsqu’elle est un peu trop élevée ou trop basse, mais ça dépend de tellement de paramètres, justifie-t-il. Je vérifie parfois le temps ou la vitesse moyenne sur ma montre, mais pas tous les cinq cents mètres. Ce que je veux atteindre, c’est la tranquillité d’esprit. Il ne faut pas non plus que je m’emballe quand je me sens très bien, parce que le contrecoup peut être terrible.»
Le ravitaillement pendant un marathon est très important. «Ce n’est pas toujours facile, parce qu’il peut y avoir de l’agitation au point de ravitaillement, surtout dans les vingt premiers kilomètres lorsque le groupe est encore compact. Quand vous courez à 20 km/h, il y peut y avoir des collisions. Manquer une fois un ravitaillement n’est pas une catastrophe, surtout dans la première moitié du parcours. Après, il ne vaut mieux pas.» Ça passe, entre autres, par les gels, combinés aux boissons. «J’en prends un après 21 kilomètres, puis après 25, 35 et 40 kilomètres, précise le runner. Ces gels sont l’une des raisons pour lesquelles les gens courent de plus en plus vite ces dernières années. Ils contiennent beaucoup plus d’hydrates de carbone, ce qui permet aux athlètes de disposer de suffisamment de carburant jusqu’à la fin, sans surcharger leur estomac.»
Les astuces pour récupérer
L’athlète s’en réjouit, il souffre moins de blessures qu’auparavant. «Il y a quelques années encore, j’en faisais trop, admet-il. J’ai appris de mes erreurs. Je suis devenu plus sage, y compris sur ce qu’il faut faire après un marathon. En général, la douleur et les raideurs ne sont pas trop importantes au cours des premières 24 heures, mais le deuxième et le troisième jour sont terribles. Comme si mes ischio-jambiers (NDLR: les muscles postérieurs de la cuisse) et mes mollets étaient déchirés. Le bas du dos me fait également très mal. Après mes premiers marathons, je devais descendre les escaliers assis ; c’était beaucoup trop douloureux debout. Même après le marathon olympique de Tokyo, je rampais et trébuchais plus que je ne marchais! J’étais déjà complètement cassé après la course, et le jour même, j’ai dû prendre l’avion de Sapporo à Tokyo pour la cérémonie du podium lors de la cérémonie de clôture. Puis un vol de treize heures pour Bruxelles. L’enfer, même si ma médaille de bronze l’a rendu supportable. (Il sourit)»
Son secret pour récupérer? «Faire du vélo pendant vingt minutes immédiatement après le marathon! De nombreux coureurs s’y sont convertis. Ça favorise la circulation du sang dans les muscles. Si vous me voyez sur un vélo dimanche après le marathon, vous saurez pourquoi…»
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