2 mars 2024, Alexander Doom exulte: il est champion du monde du 400 mètres en salle. Et entre dans la légende. © BELGA IMAGE

Alexander Doom (athlétisme): «Sur les 50 derniers mètres, personne ne court plus vite que moi»

Le Vif

Le champion du monde en salle sur 400 mètres vient de pulvériser son record personnel. Alexander Doom, nouvelle figure de proue de l’athlétisme belge, ne compte pas s’arrêter là.

Sur l’affiche des World Relays, le challenge mondial au cours duquel, début mai, les équipes de relais pouvaient se qualifier pour les Jeux olympiques de Paris, Alexander Doom côtoyait les stars mondiales, parmi lesquelles le sextuple champion du monde Noah Lyles ou la multimédaillée Femke Bol. Pourtant, jusqu’aux derniers championnats du monde en salle, à Glasgow, début mars, le Belge était pratiquement inconnu à l’étranger. Tout a changé après qu’il y a décroché, à la surprise générale, l’or sur 400 mètres. World Athletics, la Fédération internationale, a même parlé de «Doom’s Day». Le lendemain, il remportait aussi le titre mondial du 4×400 mètres avec les Tornados.

Modeste, l’athlète relativise son nouveau statut mondial: «Bien sûr, cette reconnaissance est cool, mais elle apparaît et disparaît tout aussi vite.» Doom est pourtant désormais un nom familier aux oreilles des amateurs d’athlétisme à l’échelon mondial.

Parmi toutes les félicitations reçues après les Mondiaux en salle, notamment de la part du Premier ministre Alexander De Croo lors d’une rencontre en compagnie des Tornados, ce sont celles de sa famille, de ses partenaires d’entraînement et de ses amis qu’il apprécie le plus. «Ils m’ont toujours soutenu, même dans les moments difficiles. L’attention des personnes qui me découvrent parce que j’ai réalisé des performances est, pour moi, moins importante.»

Ces «moments difficiles» remontent aux années précédant les JO de 2021 à Tokyo, lorsque l’entraîneur Jacques Borlée ne lui accordait pas l’attention espérée et au cours desquelles il se sentait un peu comme la cinquième roue du carrosse chez les Tornados. Mais aussi aux mois qui ont suivi ces Jeux, lorsque Sport Vlaanderen lui a refusé un contrat professionnel, alors qu’il avait fait partie de l’équipe du 4×400 mètres qui avait terminé à la quatrième place. «C’était très frustrant car j’avais le sentiment d’avoir prouvé ma valeur sportive à Tokyo et que je remplissais tous les critères», raconte-t-il, préférant ne pas s’appesantir sur les raisons pour lesquelles il n’a pas obtenu ce contrat.

A l’époque, il était prêt à abandonner son métier d’athlète pour devenir professeur d’éducation physique si Topsport Defence – le programme de sportif d’élite de la Défense – ne lui avait pas tendu une perche et proposé un contrat de deux ans à temps plein. «Donner cours la journée et s’entraîner le soir était impensable. Physiquement, il est impossible d’atteindre un niveau mondial de cette façon. Mentalement, je n’aurais pas pu non plus. C’est tout ou rien.» Grâce au statut de sportif d’élite de l’armée, cela pouvait être tout. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle, estime-t-il, ses performances se sont améliorées et sont devenues plus régulières à un âge déjà relativement avancé, 24 ans: «Jusqu’à la fin 2021, début 2022, j’ai passé malgré tout une bonne partie de mon temps à étudier. Mais dès que j’ai pu pratiquer mon sport à plein temps, j’ai pu davantage me concentrer sur mon entraînement, tant sur les pistes qu’en dehors. Et profiter de plus de plages de repos, aussi. Par conséquent, j’ai été moins blessé et j’ai pu continuer à mettre en place un programme complet avec mon entraîneur.»

Plus fort physiquement et mentalement

Alexander Doom a également tiré une leçon importante de sa relation initialement difficile avec Jacques Borlée: «J’ai complètement changé d’état d’esprit et ça m’a beaucoup aidé. Je me suis dit que j’aimais vraiment courir et m’amuser avec mon groupe d’entraînement. Personne ne pouvait m’enlever ce plaisir. J’ai compris que je courais pour moi, pour rien ni personne d’autre, même pas pour l’argent.»

Sa formation à l’armée, à l’automne 2021, sorte de camp de près de trois mois, a encore renforcé cette armure mentale. «Physiquement, pour moi qui suis un athlète d’élite, je gérais, mais mentalement, c’était très épuisant. Surtout lors du bivouac où il a plu tous les jours pendant deux semaines. Allongé dans le froid et la boue, on se demande parfois ce qu’on fait là. J’ai persévéré et j’ai gardé cette persévérance dans ma vie d’athlète. Je relativise plus rapidement une journée ou un moment difficile. Mon entraîneur a également dit que j’étais devenu plus mature. C’est vrai que je suis plus sérieux, mais aussi plus dur avec moi-même. Je m’amuse toujours, mais je veux désormais tirer le meilleur parti de chaque séance d’entraînement, alors qu’avant, je me disais plutôt qu’on verrait en fonction de ma forme. Plus que jamais, je réalise que c’est un privilège de pratiquer mon hobby et d’être payé pour. Avant, lors d’un meeting ou d’un championnat, j’étais heureux d’être là; maintenant, j’ai vraiment envie de réussir quelque chose

«Personne ne pourra plus m’enlever mon plaisir de courir.»

Physiquement aussi, le natif de Roulers est devenu plus fort. Pas en augmentant la charge totale de 10% à 20% lors des séances de musculation. «De ce point de vue, nous sommes déjà au maximum, rit-il. Lors d’un 400 mètres, quatre éléments sont indispensables: la puissance, la vitesse, l’endurance et la résistance. Pour tous les travailler à l’entraînement, il faut être suffisamment « frais ». Si je devais ajouter une séance de résistance supplémentaire, par exemple, ce serait au détriment de mon entraînement de vitesse. De plus, il faut toujours être attentif aux blessures. Il ne s’agit donc pas d’en faire beaucoup plus, plutôt de peaufiner. Avec des entraînements dont nous savons, après un processus d’essais-erreurs, qu’ils fonctionnent très bien pour moi. Depuis l’hiver dernier, par exemple, j’ai commencé des séances dans une chambre d’hypoxie. En simulant une altitude plus élevée, le sang s’acidifie plus rapidement (NDLR : ce qui se traduit pas plus d’épuisement), mais sur un tapis roulant, la charge sur les muscles est également plus faible, ce qui permet d’ajouter de telles séances à une semaine d’entraînement. Cette méthode est bénéfique et nous l’étendrons même l’an prochain.»

«Mon objectif est de courir plus régulièrement sous les 45 secondes.»

Partir plus vite

Pour encore progresser, Alexander Doom voudrait augmenter sa vitesse de pointe dans les 200 premiers mètres de course: «Sur 400 mètres, il existe deux types d’athlètes: les sprinters, plus explosifs et dotés de fibres musculaires courtes, qui courent 300 mètres à toute allure puis décrochent. Ou les athlètes qui, comme moi, ont des fibres musculaires proportionnellement plus longues et donc une meilleure endurance, ralentissent moins vite sur la fin. C’est mon point fort. D’ailleurs, mon entraîneur (NDLR: Philip Gilson) a calculé que personne ne court les 50 derniers mètres plus vite que moi, pas même les meilleurs du monde. Cette arme s’avère très utile dans le relais, surtout en tant que dernier coureur. Dans les 300 premiers mètres, je peux m’abriter dans le sillage d’un ou plusieurs concurrents à une vitesse supérieure à celle que j’atteindrais dans un couloir séparé. A la fin, lorsqu’ils décrochent, je peux les dépasser. J’ai déjà réussi à le faire dans tous les relais.»

En course individuelle, la tâche du Belge consiste désormais à courir plus vite dans les 200 premiers mètres, sans l’avantage de cette aspiration des relais. Mais le plus efficacement possible, sans exploser. «L’idée n’est pas de faire de plus grandes foulées, mais d’augmenter leur fréquence, détaille l’athlète. C’est ce que nous essayons de faire en ce moment, principalement par le biais d’un entraînement par intervalles sur des distances plus courtes de 30 mètres.»

Pour être le plus efficace, mieux vaut augmenter la fréquence des foulées que leur longueur. © Photo News

La technique a porté ses fruits lors des championnats du monde en salle, puis en plein air, le 28 mai, quand le Flandrien a pulvérisé son record personnel au meeting d’Ostrava, en République tchèque: son 44.92 (en séries des championnats du monde 2023) est devenu 44.44, le deuxième meilleur temps historique d’un Belge. Seul Jonathan Borlée a couru un centième plus vite aux JO de 2012.

Doom pourrait-il courir encore plus vite? «De mon chrono aux championnats du monde en salle, on peut théoriquement soustraire une seconde (NDLR: sur une piste de 200 mètres en salle, avec quatre virages plus serrés, les temps sont toujours plus élevés). Le record belge de Jonathan devrait donc être réalisable, déclare-t-il. Cependant, mon objectif est de courir plus régulièrement sous les 45 secondes. Surtout lors d’un championnat, quand la fatigue se fait sentir en enchaînant les séries, les demi-finales et, éventuellement, la finale. A Glasgow, où je n’étais pas au top, j’y suis déjà parvenu. C’est prometteur pour les mois à venir.»

«Je vais juste tenter d’améliorer mon record. C’est la pression que je me mets.»

L’Euro, les Jeux et les médailles

Les prochains rendez-vous seront les championnats d’Europe, à partir du 7 juin à Rome, puis les JO de Paris, où l’athlétisme entre en piste le 2 août. Doom est un prétendant aux médailles, surtout aux championnats d’Europe. Seul le Britannique Matthew Hudson-Smith a déjà couru plus vite (44.07, ce 30 mai à Oslo, battant ainsi le record d’Europe) que le Belge. Mais l’écart entre lui et Doom reste grand. «Je ne me fixe pas de place précise. Je vais juste encore tenter d’améliorer mon record. C’est la pression que je me mets. Si je termine deuxième aux championnats d’Europe, je ne serai pas malheureux. Idem à Paris. Si je fais un meilleur temps en demi-­finale et que je rate le ticket pour la finale, je n’aurai vraiment rien à me reprocher. C’est la meilleure façon de faire face aux attentes.»

Aux Jeux, la question est de savoir si le Belge pourra courir le 400 mètres individuel, compte tenu de la combinaison avec les relais. «Les chances de médailles de la Belgique dans le relais mixte et le 4×400 mètres masculin sont les plus importantes, la priorité sera donc donnée à ces deux épreuves, confirme-t-il. Je préfère décrocher une médaille par équipe plutôt que de forcer une place en finale à titre individuel. Mais je prendrai quand même le départ des séries du 400 mètres.»

En premier lieu, Alexander Doom dit vouloir s’assurer d’aborde les Jeux «dans ma meilleure forme, histoire d’être capable, physiquement et mentalement, de terminer de nombreuses courses en peu de temps. De préférence, plus vite que jamais.»

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