Au doigt et à l’œil
Sourd et pratiquement muet, le gardien français Lucas Alexandre défend solidement les cages de la REAL en D2 Amateur. Chez les valides. Où il rêve toujours de percer…
«Mon objectif, c’est de réussir dans le foot. Quand j’étais jeune, j’ai été repéré par des clubs de haut niveau, mais ils m’ont tous sorti le même message: Lucas, tu ne pourras pas passer pro parce que tu n’entends pas. Aujourd’hui, je suis en D2 Amateur, à un niveau semi-professionnel. C’est déjà pas mal, surtout pour un joueur sourd, mais ce n’est pas fini.»
Originaire de Cambrai, Lucas Alexandre (23 ans) a toujours tapé le cuir avec des valides. En communiquant avec des gestes et en lisant aussi sur les lèvres quand on lui parle doucement. Lucas n’entend absolument rien, à peine peut-il sentir des bruits très puissants grâce à leurs vibrations. Il n’est pas totalement muet. «Je fais quelques cris avec une voix très aiguë», précise-t-il. «Quand j’étais petit, ma marraine – qui habite juste en face du terrain de Proville où j’ai débuté – parvenait même à me reconnaître de chez elle quand je criais. Je n’ai jamais voulu suivre de cours pour apprendre à parler ou mettre des appareils pour entendre, car je viens d’une famille de sourds. Pourtant, sur le terrain, je me considère comme tous les autres gardiens. Eux font des gestes et crient pour communiquer avec leurs joueurs. Moi, j’utilise d’abord ma voix pour les appeler, puis les gestes pour leur donner les consignes.» En avant-match et à la mi-temps, le Cambrésien sort aussi par moments son téléphone pour être sûr que son message passe. Une communication qui diffère totalement de celle en cours avec l’Équipe de France des Sourds et Malentendants, qu’il représente depuis sept ans. «En sélection, soit on n’entend rien, soit on entend peu, mais on sait tous signer donc on se comprend directement très facilement.»
Sur le terrain, je me considère comme tous les autres gardiens.» LUCAS ALEXANDRE
Avec les Bleus, Lucas a participé à deux Deaflympics – l’équivalent des Jeux Olympiques – en 2016 et 2022. Lors de cette dernière édition, au Brésil, il a disputé tous les matches jusqu’en finale, où la France s’est inclinée contre l’Ukraine. Pas grave: il a plein d’autres échéances devant lui, de la Coupe du monde en Malaisie en 2023 aux Deaflympics 2025 à Tokyo en passant par l’EURO 2024 en Turquie.
Gardien grâce au cousin
Toujours plus loin de cette époque où Lucas évoluait en tant que joueur de champ dans le petit club de Proville, dans la banlieue de Cambrai, avec son cousin. «Évidemment, je regardais tout ce qu’il faisait sur le terrain et j’essayais de le reproduire, mais ce n’était pas facile vu que je n’entendais aucun son». Pas évident lorsqu’un adversaire arrive par derrière.
Un jour de match à Marquion, son cousin est sorti du vestiaire avec la tenue de gardien, alors qu’il n’avait aucune expérience entre les perches. «Il a pris beaucoup de buts donc à la mi-temps, j’ai demandé pour aller dans les cages… et je n’ai plus jamais quitté mon poste.» Lucas transitera par Escaudoeuvres, Cambrai puis Itancourt en Régional 1 (le sixième échelon français) avant de débarquer à la REAL à l’été 2022. Pour tenter quelque chose de neuf de l’autre côté de la frontière. «À ce niveau, je dois plus que jamais rester attentif pour saisir tout ce qu’il se passe. Ce n’est que quand j’ai la balle et que les joueurs adverses ne bougent plus que je comprends que je peux m’arrêter parce qu’il y a une faute ou un hors-jeu.» Après un début de saison canon, le club lessinois est progressivement rentré dans le rang pour truster les places du ventre mou. «Depuis la trêve, chaque match est une finale: on doit absolument éviter de se faire peur et jouer le maintien facile.» Lucas, lui, continue de se focaliser uniquement sur le foot avec l’espoir d’en faire son métier. Et de continuer à prouver que «nous, les sourds, on boit, on mange, on court et on joue au foot tout comme vous, mais on n’entend pas. C’est ça la différence.»
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