13 médailles dont 3 olympiques: pourquoi l’athlétisme belge bat tous ses records
Revenu des Jeux de Paris avec trois médailles, l’athlétisme belge vit une année 2024 exceptionnelle. Pourrait-elle devenir la nouvelle norme d’un sport en plein essor?
La scène est presque devenue familière. Pour la troisième fois en huit ans, après le Brésil et le Japon, c’est au Stade de France que le drapeau belge se hisse lentement vers le sommet. La Brabançonne accompagne le sourire radieux de Nafissatou Thiam, entrée dans l’histoire grâce à son troisième titre consécutif de championne olympique de l’heptathlon. Depuis le début des années 2000, elle est la deuxième Belge, seulement, à recevoir un tel honneur au terme d’une épreuve d’athlétisme, après l’exploit de Tia Hellebaut au saut en hauteur lors des Jeux de Pékin, en 2008.
A la différence de Rio et Tokyo, la Namuroise n’est cette fois pas seule sur le podium. Un deuxième drapeau belge s’élève à quelques centimètres du sien. Sur la troisième marche, Noor Vidts améliore encore le bilan national. La grande fête de l’athlétisme noir-jaune-rouge se conclut le lendemain, quand le marathonien Bashir Abdi termine le marathon 21 secondes derrière l’Ethiopien Tamirat Tola, améliorant sa performance de Tokyo où il avait décroché le bronze en 2021.
Trois des dix médailles olympiques décrochées par la Belgique à Paris viennent donc des épreuves d’athlétisme. C’est évidemment loin des 34 médailles remportées par les Etats-Unis sur ces compétitions, mais seules onze nations font mieux que les Belges, qui récoltent autant de récompenses métallisées en athlétisme que l’Italie et plus que des nations comme le Japon, la Suède, le Brésil ou même la France. Le pays égale sa prestation de 1976, quand le coureur de demi-fond Ivo Van Damme avait remporté l’argent sur le 800 et le 1.500 mètres tandis que le marathonien Karel Lismont s’était couvert de bronze. Jamais, dans son histoire, la Belgique n’a fait mieux que trois médailles en athlétisme au cours d’une même olympiade.
Treize médailles en un an
A y regarder de plus près, tout cela n’a rien d’une coïncidence. En franchissant la ligne d’arrivée du marathon en deuxième position sur l’esplanade des Invalides, Bashir Abdi offrait au pays sa treizième médaille de prestige de l’année 2024. En plus des trois breloques parisiennes, la Belgique avait également brillé en mars lors des Championnats du monde en salle à Glasgow avec les sacres d’Alexander Doom (400 mètres), Noor Vidts (pentathlon) et des Belgian Tornados (4×400 mètres), complétés par la médaille de bronze d’Eliott Crestan sur 800 mètres. A distance considérable des vingt médailles américaines, la Belgique se classait malgré tout au deuxième rang de la hiérarchie mondiale de ces championnats, étant le seul pays, hormis les USA, à engranger trois médailles d’or.
En juin, lors des Championnats d’Europe à Rome, laissés de côté par de nombreux athlètes en prévision des Jeux de Paris, la délégation belge s’est encore distinguée avec six médailles, se classant au septième rang continental. Doom, les Tornados et Nafissatou Thiam s’y sont parés d’or, Jochen Vermeulen (1.500 mètres) a battu son record personnel et a fini deuxième, tandis que Noor Vidts et les Belgian Cheetahs (relais 4×400 mètres féminin) ont atteint la troisième marche du podium. Les valeurs sûres ont répondu présent, mais de nouvelles têtes ont également surpris ces derniers mois.
Le plus étonnant est que la moisson belge aurait pu être encore plus grande sans quelques contretemps ou déceptions lors de l’olympiade parisienne. La blessure d’Alexander Doom, dans une forme exceptionnelle à la fin du printemps, l’a empêché de défendre ses chances sur le 400 mètres et a surtout compliqué la tâche des relais masculins et mixtes sur le tour de piste. Les deux équipes ont échoué à la quatrième place, au pied du podium. Cela n’empêche pas la Belgique de réussir une moisson historique lors de cette année: treize médailles, c’est presque deux fois plus que les meilleures années belges (2018, 2021 et 2022) de ce début de siècle, conclues avec sept médailles européennes, mondiales ou olympiques. La proximité de ces années record ne fait qu’ajouter à l’optimisme ambiant, puisque seules les années 2019 (quatre médailles) et 2020 (pas d’épreuves disputées à cause du Covid) ont été conclues sous la barre des cinq récompenses. Tout ça alors qu’entre 2000 et 2017, la Belgique n’avait jamais terminé une année athlétique au-delà des quatre médailles.
Le pays des relais
Longtemps, il a fallu compter sur les exploits isolés de la sprinteuse Kim Gevaert pour briller lors des meetings d’athlétisme. Certes, il y a eu les exploits de Tia Hellebaut, championne olympique du saut en hauteur et championne du monde en salle du pentathlon en 2008. Les stars de l’athlétisme belge se faisaient toutefois rares et les structures peinaient à les soutenir, même si un relais bien organisé autour de Gevaert avait propulsé la Belgique sur le podium olympique aux JO de Pékin (plusieurs années après la course, en 2016, les championnes olympiques russes furent déclassées après la découverte de cas de dopage au sein de leur équipe, offrant a posteriori le titre olympique aux Belges). La voie d’une réussite collective était toutefois entrouverte, les performances des championnes belges à Pékin augmentant considérablement l’attrait des jeunes Belges pour les disciplines d’athlétisme.
Membre du relais 4×100 mètres sublimé par Kim Gevaert, la sprinteuse Olivia Borlée allait bientôt devenir la membre la moins connue de sa famille coachée par Jacques, le patriarche et entraîneur à la base de l’aventure des Belgian Tornados. Si le quatuor du 4×400 mètres masculin aura toujours échoué, parfois de peu, dans sa quête d’une médaille olympique, son palmarès reste épatant. Sept fois champions d’Europe, deux fois champions du monde en salle et deux autres fois sur le podium mondial en outdoor, les Tornados sont devenus la locomotive de l’athlétisme belge jusqu’à l’éclosion de l’indétrônable Nafissatou Thiam. Non sans cristalliser quelques tensions autour de leur importance parfois démesurée dans les dépenses des fédérations d’athlétisme, ou à cause de leur médiatisation jugée excessive par certains.
Finalement, la dernière polémique autour de la famille Borlée aura concerné leur transfert de l’Adeps vers Sport Vlaanderen, dans un conflit fédéral dont la Belgique est coutumière. Une décision alors justifiée par Jacques Borlée pour «pouvoir continuer à s’entraîner dans les meilleures conditions et prester au plus haut niveau».
Subsidier l’athlétisme
Grand théoricien des politiques sportives et des méthodes d’entraînement, Jacques Borlée ne se cache jamais pour déplorer le manque de structure fédérale pour faire progresser l’athlétisme belge. Récemment, le père de la fratrie de relayeurs a d’ailleurs annoncé sa candidature à la présidence de la Ligue belge d’athlétisme. Une volonté de faire bouger les lignes pour aider les athlètes les plus prometteurs à se maintenir au plus haut niveau auquel ils sont plus souvent amenés par un cadre familial que par une progression programmée par les instances. C’est ce que Jacques Borlée appelle «la politique tribale», une réalité qu’il affirme identique à celle d’il y a une décennie malgré des résultats en très nette progression.
La différence viendrait surtout des subsides, désormais plus importants pour les championnes et champions du sport belge qui ne bénéficient pas d’un contrat rémunéré au sein d’une équipe de haut niveau comme cela peut être le cas en football ou en cyclisme. Parmi ses 87 sportifs sous contrat, l’Adeps (structure sportive de la Fédération Wallonie-Bruxelles) soutient treize athlètes, la plus célèbre étant Nafissatou Thiam. Etonnamment, on y trouve aussi le marathonien Koen Naert. Champion d’Europe de sa discipline en 2018 à Berlin, il avait pourtant été laissé de côté par Sport Vlaanderen pour des performances jugées insuffisantes pour continuer à être subsidié, et avait ainsi été «récupéré» par l’Adeps, croyant encore à son potentiel. Ce contrat lui avait permis de continuer à se consacrer essentiellement à son sport, comme l’armée belge l’avait fait avec le coureur de 400 mètres Alexander Doom, aujourd’hui recordman de Belgique de la distance mais à l’époque considéré comme trop peu prometteur pour continuer à être soutenu financièrement par les instances communautaires.
Considérés comme beaucoup plus exigeants dans leurs critères d’entrée, mais donc plus généreux et professionnels dans le soutien global, les subsides octroyés par Sport Vlaanderen font aussi la part belle à l’athlétisme. Parmi les 70 sportifs sous contrat, 20% brillent sur ou aux abords des pistes d’athlétisme. Quatorze noms parmi lesquels on retrouve ceux de Noor Vidts, médaillée de bronze à Paris, le marathonien Bashir Abdi (sur le podium des deux dernières olympiades) mais aussi l’essentiel des membres des relais 4×400 mètres masculin et féminin avec les frères Dylan, Kevin et Jonathan Borlée, Christian Iguacel, Jonathan Sacoor, Helena Ponette ou Paulien Couckuyt. Autant de sportifs chez qui les instances ont décelé le potentiel pour se hisser et surtout se maintenir dans le Top 8 mondial de leurs disciplines respectives.
Le «Van Damme», publicité de l’athlétisme belge
Les hommes et les femmes en vue de l’athlétisme belge seront-ils présents les 13 et 14 septembre sur la piste du stade roi Baudouin, pour la dernière étape –en deux jours– de la Ligue de diamant, compétition qui jalonne les saisons d’athlétisme? La seule certitude, à ce stade, c’est qu’on y verra une pionnière dans les tribunes. Parce qu’au début du siècle, quand elle se branchait devant les compétitions d’athlé, la Belgique amoureuse du sport devait s’en remettre à Kim Gevaert pour rêver.
Seize ans après sa médaille olympique, plus de deux décennies après ses premières médailles lors des championnats européens puis mondiaux, celle qui portait dans une autre dimension le relais 4×100 mètres féminin belge est devenue la directrice du Mémorial Van Damme, grand rendez-vous annuel de l’athlétisme international sur le sol national. Si elle peut désormais se contenter d’un rôle dans l’ombre, c’est parce que d’autres ont trouvé comment s’accaparer la lumière. En coulisse, les plus optimistes disent d’ailleurs que même si les Jeux de Paris étaient sans doute la ligne d’arrivée du parcours exceptionnel de Nafissatou Thiam sur la scène olympique, la relève se prépare en nombre. Pour que la scène reste familière.
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