Voici la commune où vivent le plus de seniors, et en quoi c’est problématique (carte interactive)
A Vresse-sur-Semois, près de 30% de la population ont plus de 65 ans. C’est que cette commune ardennaise attire bien des pensionnés. Et que l’accès difficile au logement pousse les plus jeunes à s’installer ailleurs. Un jeu de dominos qui donne des cheveux blancs aux élus locaux.
La Semois s’en fiche, à vrai dire. Zigzagant à l’ombre des sapins, bouillonnante et calmement sauvage, elle se contente de titiller des truites ou des kayakistes et de filer jusqu’à la Meuse, comme elle le fait depuis des siècles. Le temps d’une rivière n’est pas celui des humains. Que Vresse-sur-Semois, qu’elle traverse, affiche le taux de personnes de plus de 65 ans le plus élevé de la Région wallonne la laisse de marbre, si l’on peut écrire. Il y a pourtant beaucoup à en dire. Cette particularité qu’affiche Vresse ne résulte de la volonté de personne. Mais le monde est ainsi fait qu’un papillon virevoltant peut déclencher une catastrophe à l’autre bout du monde, à son corps défendant. Il faut croire qu’à Vresse, les papillons sont légion. Et si aucune catastrophe ne s’y est produite, de multiples battements d’ailes l’ont peu à peu conduite vers cette irréfragable réalité: en 2023, 29,1% des habitants étaient âgés de plus de 65 ans. Est-ce grave, docteur? Pas en soi, bien entendu. En revanche, tous les facteurs ayant mené à ce constat préoccupent ceux qui dirigent ce territoire de 10 km2, douze villages et 2.837 habitants. En temps normal.
«Ici, le patrimoine humain change rapidement.»
Le tourisme, poule aux œufs d’or, mais…
Car ce territoire fiché à quelque 90 kilomètres de Namur, 45 de Libramont et 28 de la française Charleville-Mézières, est un haut lieu du tourisme ardennais. C’est une force, mais pas qu’une force. Les touristes d’un jour y affluent et les gîtes s’y multiplient. On en compte 202, prêts à accueillir jusqu’à 1.618 personnes. Et le mouvement ne semble pas prêt de s’arrêter: l’an dernier, douze demandes de création ou de transformation d’habitation en gîte ont été introduites auprès du pouvoir communal. «Les gîtes prospèrent toujours, constate Isabelle Maroit, présidente du CPAS, en charge de la politique des seniors. C’est un phénomène difficile à gérer, mais ils font vivre les commerces et restaurants.»
Le pouvoir communal tente de circonscrire les gîtes de grande capacité, entre autres parce que leurs occupants provoquent souvent des nuisances pour les habitants. Certains des villages de Vresse peuvent accueillir jusqu’à 150 touristes en gîtes, alors qu’ils n’abritent que 80 habitants. Depuis 2021, la taxe perçue sur ces établissements a augmenté et a été modulée en fonction de leur qualité. Plus ils collectionnent d’épis (plus le confort est élevé, donc), moins ils paient. A l’avenir, la commune pense aussi obliger leurs propriétaires à vivre dans le village pour pouvoir intervenir en cas de grabuge des locataires et à imposer un permis d’urbanisme pour les lieux d’accueil de plus de six personnes. «Si d’aventure on les fermait, ils seraient aussitôt rachetés par des néerlandophones», assure l’ancien directeur général de la commune, Dominique Leduc.
C’est là une autre caractéristique de Vresse-sur-Semois: on y comptait l’an dernier 1.061 résidences secondaires. La taxe communale qui les frappe, de l’ordre de 600 euros, rapporte quelque 500.000 euros par an à la commune. Quasi une maison sur deux n’est donc pas habitée en permanence. «L’Ardennais est taiseux, mais il râle», glisse Robert Dion, président du Conseil communal consultatif des aînés et membre de la Commission locale de développement rural. Ces propriétaires rejoignent généralement Vresse entre mars et octobre, mais l’hiver, on les voit beaucoup moins. «Une fois pensionnés, ils viennent vivre ici à temps plein et certains s’y domicilient, détaille Philippe, un habitant de Laforêt, l’un des villages de la commune. J’ai six voisins néerlandophones alors que mon village ne compte que 70 habitants permanents.» Certains habitants venus du nord s’impliquent beaucoup dans la vie associative. «Avec le temps, ils deviennent de vrais Ardennais, assure Robert Dion. Au point de diriger parfois le comité des fêtes. Le nombre d’Ardennais de souche diminue ici: dans certains villages, ils ne sont plus que 60%. Le patrimoine humain change rapidement.»
Cherche maison à prix abordable
Pourquoi les gîtes seraient-ils d’office rachetés par des néerlandophones? Parce que ce sont le plus souvent eux qui achètent des maisons à Vresse, à un prix supérieur à ce que les locaux peuvent se permettre. Les prix augmentent, de 24% entre 2010 et 2020, rendant l’accès au logement difficile pour les jeunes qui souhaiteraient s’installer là. «On ne trouve plus de maisons ou de terrains disponibles sur notre territoire», confirme Isabelle Maroit. D’autant moins que seul 1,5% du territoire est réservé au résidentiel. Le label «Plus beau village de Wallonie», attribué à Laforêt, met lui aussi les prix sous pression. Pour assurer des logements aux plus jeunes, la commune se dit prête à adopter une politique volontariste en leur accordant une priorité à l’acquisition de biens immobiliers. L’idée figure dans le programme communal de développement rural 2025-2035.
Le profil des occupants de ces secondes résidences, notamment des pensionnés, pèse évidemment sur l’âge moyen des habitants: 48 ans, contre 41,7 ans pour l’ensemble de la Wallonie. «En 2022 et 2023, remarque Marc Debuisson, démographe et chercheur à l’Institut wallon de l’évaluation de la prospective et de la statistique (Iweps), les 55-75 ans représentaient un quart des entrées de Belges sur la commune.» Les plus de 65 ans constituent 29% de la population et les moins de 20 ans environ 15%, en déclin incessant depuis 2009. Les projections pour 2034 annoncent un recul encore plus marqué de la proportion des jeunes d’ici à dix ans, et une augmentation des plus de 64 ans. La commune n’échappe pas non plus à la baisse de la natalité observée partout dans le pays. Le nombre d’enfants par ménage ne dépasse pas 0,4. En 2023, 20 naissances ont été recensées à Vresse, contre 36 décès.
Convaincus qu’il s’agit d’un argument clé pour attirer des jeunes à Vresse, les élus communaux se démènent pour maintenir en fonction les sept écoles du lieu. Celle de Membre a déjà fermé ses portes en 2013 et cette année, celle de Chairière a échappé de peu –à un élève près– au couperet. Si la cour de la petite école de Laforêt gazouille toujours, c’est essentiellement grâce aux enfants du centre Fedasil, situé dans le village de Sugny: ils sont 24, sur un total de 30 élèves. En revanche, la commune n’abrite aucune école secondaire: les adolescents doivent se rendre à Carlsbourg, Bouillon ou Bertrix. On ne trouve pas non plus de centre sportif dans la commune.
Ces lacets rébarbatifs
Les lacets qui mènent à la vallée de Vresse ne manquent pas de charme. Du moins quand on a le temps. Sinon, ils ne font que rappeler l’isolement de cette commune en partie nichée dans la vallée. «Nous vivons dans une région tranquille et paisible, avec un environnement exceptionnel, confirme Sébastien Rouard, le directeur de la Seigneurerie du Moulin, à Membre. Mais il n’y a rien, ici. Vivre dans une vallée, pour les aspects pratiques, ce n’est pas le plus simple.»
Vresse se trouve à une heure de route d’Arlon. Il y passe au maximum cinq bus TEC par jour en période scolaire, moins durant les vacances. On gagne la petite gare de Graide en quinze minutes en voiture. Le seul tour des boîtes à livres de la commune représente un circuit de 130 kilomètres. «La mobilité est le problème numéro un, devant l’accès au logement, affirme Robert Dion. Nous devrions nous occuper de résoudre ça nous-mêmes, en montant un réseau de bénévoles.» La centrale de mobilité Mobilisud, joignable gratuitement, aide certes les habitants sans voiture à trouver un moyen de locomotion, mais elle manque de bras pour véhiculer ceux qui doivent se déplacer.
L’hôpital le plus proche, situé à Libramont, est à 40 kilomètres. «Il ne faut pas mourir trop vite, ironise une habitante. En cas d’infarctus, survivre est un défi vu le temps nécessaire avant une prise en charge.» Nombre de Vressois de plus de 60 ans ont donc souscrit un abonnement –payant– pour pouvoir profiter de l’hélicoptère de secours en cas de nécessité. Il arrive aussi que des ambulances ou des pompiers français interviennent s’ils sont géographiquement plus proches des patients que les équipes belges. A Vresse, on perd plus d’années de vie en raison d’un décès survenu avant 70 ans (3.597 pour 100.000 habitants) que dans l’arrondissement de Dinant (4.341). «Ces décès prématurés sont sans doute dus à l’éloignement, avance Isabelle Maroit. Les communes des plateaux ont moins de problèmes que Vresse. Les élus communaux font tout ce qu’ils peuvent mais nous n’arrivons pas à trouver de solution magique. Cela dit, notre éloignement est aussi notre bien-être…»
Ce relatif isolement explique-t-il la rareté des médecins sur place? On en compte quatre, dont trois affichent plus de 55 printemps. Ils ne se rendent plus à domicile. Or, on sait que les déplacements sont peu aisés dans le coin. «Les plus de 80 ans représentent 7,6% de la population de Vresse, contre 5% en Région wallonne», fait remarquer Julien Charlier, de l’Iweps. En outre, un quart des ménages y est constitué de plus de 65 ans qui vivent seuls. «Le problème, c’est qu’il ne faut pas seulement faire du charme au médecin qui pourrait s’installer ici, mais aussi à son conjoint», relève Robert Dion.
«A part le tourisme ou un gros projet de type Sunpark, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire.»
La prison, un espoir
Les jeunes natifs du lieu, très attachés à leur région, ne croulent malheureusement pas sous les possibilités d’emplois. Soit ils s’établissent comme indépendants, soit ils sont contraints de beaucoup rouler pour rejoindre leur lieu de travail. Quant au télétravail, il est aléatoire, la commune étant encore mal desservie en connexions Internet.
Certes, le tourisme fait prospérer le secteur de l’Horeca, mais il présente le désavantage d’horaires décalés pour un salaire peu alléchant. Vresse compte aussi des dizaines d’emplois dans les services non marchands, dans deux centres pour personnes handicapées et à la maison de repos locale, qui représente à elle seule 30 équivalents temps pleins. L’industrie du bois offre encore quelques opportunités.
«Qui va investir ici, dans une vallée entourée de lacets?, interroge Marcel, 85 ans. Nous sommes une région oubliée de l’industrie. Il faudrait en relancer une, non polluante, pourquoi pas avec la France toute proche?»
L’ouverture d’une prison, prévue en 2028 à Sugny, est donc perçue comme une excellente nouvelle: 300 emplois devraient s’y créer, pour 300 détenus. Vresse est aussi depuis peu l’une des portes d’entrée du Parc national de la vallée de la Semois, qui s’étend sur huit communes. «A part le tourisme ou le développement d’un gros projet de type Sunpark, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire, soupire Dominique Leduc. On est trop loin des axes autoroutiers. Bievres, la commune voisine, a développé un zoning industriel, mais elle se situe à 20 kilomètres de l’autoroute. Les lacets de la Semois découragent les entreprises.»
«Dans une telle situation, agir et agir vite est très compliqué pour un pouvoir communal.»
Des racines profondes
Les habitants de Vresse sont profondément attachés à leur terroir. Quand la commune est en fête, tout le monde participe. Quel que soit l’âge. «Les jeunes d’ici se connaissent tous et forment une grande famille», confirme Philippe, habitant de Laforêt. Quant aux seniors, ils veulent évidemment vivre chez eux le plus longtemps possible. Il n’y a d’ailleurs que cinq Vressois (sur 57) inscrits dans la maison de repos locale.
Tout est fait pour leur faciliter la vie et leur permettre de couler des jours heureux à domicile: repas livrés, services de nettoyage, repassage, taxis pour les rendez-vous médicaux, les démarches administratives, les courses et les loisirs, service de bus pour les personnes à mobilité réduite, cours de gymnastique, ateliers numériques, séances de renforcement de la mémoire…
Vresse, prise en étau entre des jeunes qui s’en vont et des aînés qui se multiplient, continue à innover pour tenter de retenir les premiers tout en soignant les seconds. Le taux d’impôt sur les personnes physiques a été diminué à 6%, par exemple. Et un atelier communal, équipé d’outils et de machines, sera mis à disposition pour attirer de nouveaux entrepreneurs. «Dans une telle situation, agir et agir vite est très compliqué pour un pouvoir communal», résume Dominique Leduc. Et de cela aussi, la Semois se fiche…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici