
Violences sexuelles: «La sexualité masculine est soit dangereuse, soit ridicule»
Le nombre d’hommes ayant subi des violences sexuelles et qui demandent de l’aide a nettement augmenté au cours de l’année écoulée. «Non pas parce qu’il y a soudainement plus d’hommes victimes de violences sexuelles, mais parce qu’ils trouvent plus facilement le chemin vers cette aide.»
Le nombre de victimes masculines qui cherchent de l’aide après des violences sexuelles a considérablement augmenté. En 2023, 6% des victimes de violences sexuelles étaient des hommes; en 2024, leur part est montée à 18%. C’est ce que révèle le rapport annuel de Nupraatikerover.be, un service de chat en ligne destiné aux personnes confrontées à des violences sexuelles ou physiques.
«Cette augmentation ne signifie probablement pas que le nombre d’hommes victimes de violences sexuelles a soudainement explosé, explique Karolien François, coordinatrice de Nupraatikerover.be. Mais bien qu’ils trouvent plus facilement le chemin vers de l’aide.»
C’est une bonne nouvelle, estime Karolien François. «Nous savons que les hommes parlent généralement moins vite des violences sexuelles qu’ils ont subies, et qu’ils sont aussi moins enclins à demander de l’aide. Ils minimisent souvent les abus et en ont honte. Cela rend le seuil pour chercher de l’aide très élevé.»
«Les hommes parlent généralement moins vite des violences sexuelles qu’ils ont subies, et qu’ils sont aussi moins enclins à demander de l’aide.»
Karolien François
Coordinatrice de Nupraatikerover.be
Le groupe d’hommes qui pourrait bénéficier d’un soutien est pourtant important. Selon la première étude sur les comportements sexuels transgressifs en Belgique, publiée en 2021, 81% des femmes et 48% des hommes âgés de 16 à 69 ans sont confrontés à des comportements sexuels transgressifs au cours de leur vie. Selon une étude de l’Université de Gand (UGent), un garçon sur sept entre 12 et 18 ans est victime de violences sexuelles.
«En Flandre, un demi-million d’hommes ont été victimes de violences sexuelles physiques», indique le sexologue Alexander Witpas. «Mais lorsqu’on parle d’attouchements non désirés et de comportements sexuels transgressifs, on pense d’abord à un homme qui viole une femme. Cela rend les choses très difficiles pour les hommes qui en sont victimes.»
Avons-nous perdu de vue les hommes dans le récit MeToo?
Alexander Witpas: Lorsqu’on parle de violences sexuelles et de leur origine, deux grands récits sociaux s’opposent. D’un côté, le récit conservateur et patriarcal, selon lequel la sexualité est une sorte de pulsion masculine que l’on peut expliquer par l’évolution. Dans cette optique, les femmes doivent faire attention à ne pas provoquer cette pulsion. De l’autre côté, le récit progressiste et féministe affirme que la violence sexuelle est une stratégie utilisée par les hommes pour opprimer les femmes. Ces deux récits semblent s’opposer frontalement, mais ils ont un point commun: il n’y a pas de place pour les victimes masculines de violences sexuelles. Et c’est un problème. Tant que nous regardons la violence sexuelle à travers ces récits, les hommes victimes auront du mal à y trouver leur place. Et cela devient encore plus compliqué lorsqu’il s’agit d’une agresseuse. Cela ne rentre tout simplement pas dans le cadre.
Nous avons donc non seulement du mal à considérer les hommes comme victimes, mais aussi à voir les femmes comme auteures de violences sexuelles.
En effet. Les gens se demandent parfois comment un homme peut être victime de violence sexuelle. Il a quand même eu une érection, non? Mais une réaction corporelle ne dit rien du désir ou du consentement. Parfois, le corps réagit automatiquement. Vous pouvez manger un fruit pourri et déclencher vos glandes salivaires, mais cela ne veut pas dire que vous avez envie de manger ce fruit pourri.
Le problème, c’est que la sexualité masculine est soit dangereuse, soit ridicule. Il n’existe aucun récit dans lequel les hommes sont perçus comme des êtres humains à part entière, avec des désirs, des peurs, des préoccupations et des vulnérabilités. Et cela n’a pas changé en trente ans d’expérience comme sexologue.
«Les gens se demandent parfois comment un homme peut être victime de violence sexuelle.»
Alexander Witpas
Sexologue
Les femmes ont-elles la vie plus facile?
Mon propos n’est pas que les femmes ont la vie plus facile ou meilleure. Mais les organisations de la société civile, à juste titre, ont réussi à mettre la question des violences sexuelles faites aux femmes en haut de l’agenda. Tandis que les hommes n’ont jamais bénéficié d’une mobilisation de cette ampleur. Il n’y a pas eu, ces cinquante dernières années, de mouvement dans lequel les hommes pouvaient se retrouver pour parler de leur sexualité, de ce qu’ils considèrent comme transgressif, et de ce qu’ils pensent de l’image qu’on donne des hommes. Parce que le récit du coupable masculin et de la victime féminine est si dominant, il faut souvent beaucoup de temps avant qu’un homme ne réalise que ce qu’il a vécu constitue en réalité une forme de violence sexuelle.
Les chiffres concernant les victimes masculines ne représentent donc, ici aussi, que la partie émergée de l’iceberg?
Chez les femmes, les chiffres représentent la partie émergée de l’iceberg; chez les hommes, l’iceberg est entièrement sous l’eau. Car les hommes en parlent bien moins. Ce n’est pas étonnant: si vous avez déjà besoin de beaucoup de temps pour comprendre vous-même ce qui vous est arrivé, comment diable pouvez-vous l’expliquer à votre entourage?
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