La débaptisation est avant tout un acte hautement symbolique car il n’a pas de conséquences sur les ressources de l’Eglise. © BELGAIMAGE

Vague de débaptisations en Belgique: «Je voulais retrouver ma liberté de penser»

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Une vague de demandes de débaptisation fait suite à la visite du pape en Belgique et à ses propos polémiques. Entre déception et colère, ces nouveaux apostats témoignent.

Des médecins «tueurs à gage», des femmes qui doivent rester «accueil, fécondité, soin et dévouement vital»: lors de sa visite, le souverain pontife a délivré un discours détonnant, «réducteur» et «très conservateur» selon les autorités de l’UCLouvain qui se sont immédiatement distanciées. «Ces déclarations offensantes sont inacceptables et ne respectent ni la dignité des professionnels de la santé ni la complexité éthique des situations auxquelles ils sont confrontés, a de son côté réagi l’Ordre des médecins. En Belgique, les médecins agissent dans le respect des lois en vigueur et dans une démarche éthique, centrée sur la santé et le bien-être des patients.»

Plusieurs personnalités politiques ont également exprimé leur stupéfaction. «Personne ne doit jamais dire à une femme comment elle doit vivre, ni un mari, ni un frère, ni un père… ni un chef religieux», a estimé le socialiste Paul Magnette. «La loi de 1990 n’est pas une « loi homicide ». Au contraire, elle a permis de sauver la vie de milliers de femmes», a tenu à rappeler la présidente de DéFI, Sophie Rohonyi. Chez les libéraux, Georges-Louis Bouchez a estimé que la religion «n’a pas sa place dans la conduite de l’Etat». Quant à l’ancien ministre socialiste Rudy Demotte, il est allé plus loin en appelant les citoyens à se faire débaptiser.

En Belgique, une personne sur deux se considère comme catholique. Mais en 2023, la conférence épiscopale a enregistré un nombre exceptionnel de demandes de débaptisation: 14.251. Pas moins de 98% de ces requêtes ont été introduites au nord du pays et dans l’archidiocèse de Malines-Bruxelles. Habituellement, le nombre de demandes avoisines les 1.200, mais le scandale des violences sexuelles mis en lumière par l’émission Godvergeten de la VRT a profondément marqué les esprits en Flandre.

Les chiffres de l’année 2024 sont attendus avec grand intérêt. Le Centre d’action laïque (CAL), qui propose des formulaires de débaptisation, constatait déjà une explosion des demandes depuis la révélation des affaires de pédophilie. Mi-octobre, une lettre ouverte, initiée par Stéphane Vanden Eede et relayée par l’ex-délégué aux Droits de l’enfant Bernard De Vos, a été transmise aux autorités ecclésiastiques. Les 525 signataires y manifestaient leur volonté d’être rayés des registres de l’Eglise catholique. Plusieurs de ces néoapostats ont exprimé un sentiment de colère, de profonde déception, «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase».

Des biffures qui, si elles ont une portée symbolique très forte, n’ont aucune conséquence sur le financement de l’Eglise. En Belgique, en effet, le nombre de baptisés n’a pas d’incidence sur les budgets alloués aux différents cultes. L’Etat a aussi le devoir d’octroyer un salaire et des retraites aux ministres du culte et aux professeurs de religion. Le culte catholique perçoit 75% des subsides émanant de l’Etat.

Les demandes de débaptisation ont explosé en 2023. Certains apostats invoquent le fait de vouloir poser un choix qu’ils n’ont pu faire lorsqu’ils étaient enfants. © BELGAIMAGE

Valérie, 57 ans, de Forest

C’est son ex-beau-père qui avait insisté: le mariage devait avoir lieu à l’église. Valérie, elle, n’y tenait pas. Un compromis fut trouvé: les noces seraient célébrées dans une petite église de Beauraing mais l’union ne figurerait pas dans les registres de l’Eglise. Ce jour-là, l’abbé Borremans avait fait le trajet depuis Bruxelles pour célébrer ce mariage un peu marginal. Celui qui a dirigé la chorale au mariage du roi Philippe et de la reine Mathilde, sera condamné une dizaine d’années plus tard pour pédophilie, puis finalement innocenté. Valérie apprendra aussi que son mariage figure bel et bien dans les registres.

Sa confiance en l’Eglise s’est définitivement éteinte lors de la visite du pape. «J’avais déjà pris mes distances en mettant mes enfants dans des écoles non catholiques ou chez les scouts pluralistes. Mais ce discours du pape, notamment sur l’avortement, était épouvantable. Je me suis mise à la place de ces femmes concernées et j’ai mis ces propos en perspective avec les affaires de pédophilie et avec ce que je considère comme de l’hypocrisie de la part de l’Eglise

Georges, 71 ans, de Fleurus

«Ma famille est catholique et j’ai été scolarisé chez les jésuites. A la fin de l’adolescence, j’ai commencé à me considérer comme athée mais je ne jugeais pas utile d’aller plus loin. Cependant, ces dix dernières années, j’ai été déçu par l’attitude de l’Eglise, plus particulièrement par celle de Mgr. Léonard, sur les faits de pédophilie.»

Le scandale dévoilé par le reportage Godvergeten de la VRT en Flandre, l’affaire Emmaüs en France et finalement les propos du pape furent autant de nouvelles déceptions pour Georges. Quand il a lu l’appel à l’action collective de débaptisation sur les réseaux sociaux, il a saisi l’occasion de manifester auprès de l’Eglise sa désapprobation. «Ce qui me heurte à chaque fois, c’est que les faits sont camouflés par plusieurs personnes. La politique de silence dans l’Eglise catholique à quelque chose de systématique, de structurel. Quant au pape, jusqu’à présent, je le trouvais un peu moins réac que les autres. Plus depuis sa dernière sortie.»

Stéphane, 60 ans, de Ottignies

Celui qui est à l’initiative de la lettre ouverte qui a récolté 525 signatures, est devenu athée à 11 ans. «D’un seul coup. Revêtu d’une aube blanche et d’une croix en bois», décrit-il. Né dans une famille pratiquante mais pas fervente, scolarisé dans une école catholique, Stéphane Vanden Eede était voué au même parcours que la majorité des enfants de son âge: petite communion, communion solennelle, confirmation. Mais un événement a tout fait basculer. «Le jour de ma grande communion, à la fin de la cérémonie, alors que je voyais mes compagnons rejoindre leur famille, j’ai aperçu mon père et ma mère, qui étaient séparés, aux deux extrémités de la salle. Rien n’était capable de les réunir. Pas même Dieu.»

Ses convictions se sont renforcées, décrit-il, lors de son entrée à l’ULB et au cercle du libre examen. «J’étais aussi devenu chef scout mais dans une des rares unités, à l’époque, qui ne faisait pas référence à un saint et était rattachée à un athénée. Je ne me suis pas marié à l’église. Sous la pression de mes beaux-parents, j’ai fait baptiser mes enfants mais sans qu’ils soient inscrits au registre.» Une distanciation qui s’est muée, après la visite papale, en rejet «de cette hégémonie de la religion catholique qui s’inscrit dans le symbole comme dans le concret, dans la diplomatie comme dans la royauté. La manière dont le pape a agi est tout simplement dramatique. Il a réaffirmé ce que les catholiques conservateurs disent depuis des siècles. Cela m’a décidé à couper symboliquement les ponts.»

Il a réaffirmé ce que les catholiques conservateurs disent depuis des siècles

Stéphane

Malorie, 46 ans, de Liège

Ses propos sur l’IVG est ce qui a le plus heurté Malorie dans le discours du pape. «Je travaille dans un planning familial. Nous n’y pratiquons pas les avortements mais nous effectuons les tests de grossesse et nous redirigeons certaines femmes vers des centres qui le pratiquent. J’assure également des animations Evras dans les écoles et je passe beaucoup de temps à déconstruire les stéréotypes. J’estime que les propos du pape mettent en danger la santé des femmes et des jeunes filles. C’est donc par souci de cohérence avec mes valeurs, ainsi que mon engagement professionnel et militant, que j’ai demandé à être rayée des registres.»

Malorie ajoute qu’elle ne se sentait plus à sa place en tant que membre de l’Eglise depuis bien longtemps. Aujourd’hui, elle se présente comme «ni catho ni croyante».

Nicolas, 54 ans, de Nivelles

Pour Nicolas, la rupture avec l’Eglise remonte aux années 1990. Il approchait de la trentaine et travaillait dans une structure non marchande bruxelloise soutenue par le milieu de la libre pensée et se questionnait sur le sens de la religion, mais aussi sur cette opulence affichée par l’Eglise «alors que dans le social, on compte les sous».

«Je voulais retrouver une liberté de penser, n’appartenir à aucun culte, aucune religion. J’étais aussi dérangé par le fait que mon nom figure dans un registre de membres sans avoir pu donner mon avis. Mon papa, à l’époque, m’avait encouragé dans mes démarches de débaptisation. Ma maman, qui n’était pourtant pas très pratiquante, a été davantage affectée, sans doute parce que cela allait à l’encontre des traditions.»

Quelques décennies plus tard, le discours du pape conforte un peu plus Nicolas dans ses certitudes. «J’ai connu plusieurs papes. Très peu se sont montrés progressistes. Ses propos me donnent l’impression d’être revenu à la case départ. Il faudra à nouveau militer.»

Les propos du pape mettent en danger la santé des femmes et des jeunes filles

Malorie

L’abbé qui?

Les demandes d’apostasie sont peu courantes en France (environ un millier par an), où la laïcité est inscrite dans la Constitution. Et si l’Eglise française n’a pas échappé aux scandales d’abus sexuels, le dernier en date connaît cependant un retentissement sans précédent.

Esteville, à 30 kilomètres de Rouan. Le petite bourgade compte un peu plus de 500 âmes, un mémorial dédié à l’icône déchue d’Emmaüs et une école qui porte son nom. Longtemps, l’abbé Pierre a fait la fierté du village où il repose. Aujourd’hui, il est source d’embarras. Fin août 2024, après les premières accusations d’agressions sexuelles perpétrées par le prêtre entre les années 1950 et 2000, le directeur du Centre abbé Pierre annonçait la fermeture définitive du lieu de mémoire.

Courbevoie, dans la banlieue ouest de Paris. Septante ans après que l’abbé Pierre et son ami journaliste Georges Verpraet ont rédigé «L’appel du 1ᵉʳ février 1954», le nom du prêtre a disparu du parvis de l’église où il figurait depuis 2013.

A Norges-la-Ville, près de Dijon, qui abrite la deuxième communauté Emmaüs de France, sa statue a été déboulonnée tandis qu’à Paris, ce sont les jardins Abbé-Pierre qui s’apprêtent à changer de nom. A Nantes, c’est une place inaugurée en 2022 qui sera rebaptisée. La liste n’est pas exhaustive. Début septembre dernier, la Fondation Abbé Pierre elle-même annonçait son intention de changer de dénomination. Les noms s’effacent, les stigmates restent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire