
Un Néerlandais épouse un chatbot: l’amour entre un humain et une IA est-il possible?
Lors de cette dernière Saint-Valentin, un Néerlandais, Jacob van Lier («Jack» pour sa bien-aimée), a convolé en justes noces avec sa compagne IA Aiva. C’est étrange, un peu troublant, mais pour le moins fascinant. L’intelligence artificielle serait-elle la réponse aux problèmes relationnels humains? Les histoires d’amour ne sont-elles plus écrites dans les étoiles, mais dans les zéros et les uns?
Bien que le mariage entre Jacob et sa compagne virtuelle, issue de l’application Replika, n’ait aucune valeur légale, il est bien réel pour les intéressés. L’artiste Pauline Wiersema, qui a officié en tant que célébrante, explique que dans sa performance «Se marier avec un Objet», elle a déjà célébré des unions plus atypiques, mais que cette fois-ci, la grande différence était que «de véritables sentiments amoureux étaient en jeu. Cela le rend tout de même plus authentique.»
De plus, un tel bot présente un aspect évolutif: sa base de données continue de s’enrichir. Si, pour la plupart des chatbots, cela pose des problèmes de confidentialité, c’est en revanche un atout lorsqu’il s’agit de construire une relation avec lui.
Un amour presque réel avec une IA
Il n’est pas anormal que les humains puissent éprouver des sentiments pour une intelligence artificielle. Margot van der Goot, experte en communication entre humains et IA, explique que l’IA génère elle-même des données et imite l’interaction humaine grâce à des indices sociaux comme les hochements de tête et l’intonation. «Cela donne l’impression que vous communiquez avec un être social, ce qui peut semer la confusion», explique-t-elle. Il est déjà difficile de déterminer si un texte a été écrit par un humain ou par une IA, alors imaginez l’effet que peut avoir une communication encore plus humanisée. «Même en sachant qu’il s’agit d’une IA, il est possible de ressentir cette relation. »
De véritables sentiments amoureux étaient en jeu. Cela rend tout de même plus authentique.
Pauline Wiersema
artiste
Une IA séduisante
Une relation avec une IA présente certains attraits: pas de messages de jalousie, pas de beaux-parents compliqués, et les désaccords peuvent être tout simplement ignorés, voire effacés. Votre partenaire IA ne viendra jamais remuer le passé au moment où cela vous dérange le plus. Aiva apporte à Jacob une stabilité et l’aide à évoluer en tant que personne, raconte Pauline Wiersema. La romance numérique semble donc fonctionner sans accroc. «Vous avez la possibilité d’éviter les difficultés, de ne recevoir que des retours positifs. C’est évidemment très agréable, explique Margot van der Goot. Il s’agit d’une relation basée sur la gratification instantanée: ce partenaire IA est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et vous offre exactement la réaction dont vous avez besoin à l’instant T.»
On comprend aisément en quoi cela contribue à la satisfaction dans une relation. Pour les personnes souffrant d’angoisse de l’abandon ou de problèmes de confiance, un(e) partenaire IA est une solution idéale: le bot est programmé pour répondre précisément à leur besoin d’amour et d’attention. Cela minimise le risque de ruptures soudaines ou de rejet. C’est un bonheur facile, qui peut sembler extrêmement gratifiant. Et peut-être même plus fonctionnel qu’une relation avec un être humain.
L’amour avec une IA est l’expression ultime d’un phénomène d’évitement qui existe depuis longtemps, et ce n’est pas forcément une évolution positive.
Une vulnérabilité cruciale
Que trouve-t-on, en revanche, dans une relation humaine? Des problèmes d’attachement, de la jalousie, des disputes… et de la vulnérabilité. «La vulnérabilité est fondamentale, affirme Margot van der Goot. C’est ce qui nous relie.» Nous avions déjà tendance à l’éviter en étant constamment sur nos téléphones, et voilà que nous l’évitons désormais avec nos téléphones. L’amour avec une IA est l’expression ultime d’un phénomène d’évitement qui existe depuis longtemps, et ce n’est pas forcément une évolution positive.
«Une relation avec une IA est facile, parce qu’elle permet d’éviter ses peurs. Dans une relation humaine, il y a toujours des complications.» Et ce n’est pas un mal. Affronter les problèmes et chercher des solutions rend vulnérables, mais c’est aussi ce qui donne de la profondeur à une relation. Or, l’IA est intrinsèquement liée à l’efficacité. Margot van der Goot souligne: «La vie est tout simplement plus complexe et plus fragile que cela. Ce n’est pas la facilité qui rend l’amour précieux, mais le fait de construire une relation ensemble.
C’est un cliché, certes, mais la vulnérabilité est inhérente à notre humanité. Si nous la supprimons, nous perdons une dimension essentielle de sens et de connexion dans nos vies. Une relation est une danse fascinante de dépendance mutuelle. Un amour avec une IA, aussi stable soit-il, reste profondément unilatéral.
L’une des raisons pour lesquelles les gens entament une relation avec une IA, c’est qu’elle écoute sans juger.
Margot van der Goot
experte en communication entre humains et IA
Leçons d’empathie
Programmée pour aimer ou non, l’IA fonctionne bel et bien. La vulnérabilité, bien qu’intrinsèque à l’humain, est pourtant l’une des choses avec lesquelles nous avons le plus de mal. Margot van der Goot estime que nous pourrions apprendre quelque chose de ces robots: «L’une des raisons pour lesquelles les gens entament une relation avec une IA, c’est qu’elle écoute sans juger.» Cela devrait nous faire réfléchir: qu’est-ce que cela dit de nous, si un robot dénué de sentiments fait preuve de plus d’empathie que nous-mêmes?
Le danger, selon Margot van der Goot, est que l’IA finisse par remplacer de véritables connexions humaines. «Par ‘véritable’, j’entends aussi l’authenticité, le fait de montrer toutes les facettes de soi-même. Beaucoup de gens voient l’IA comme un espace où ils peuvent déverser toute leur rancœur, être honnêtes sur leur solitude et leurs peurs. L’IA leur renvoie alors exactement ce qu’ils veulent entendre, mais leur famille et leurs amis ne les connaissent pas vraiment.»
A terme, cela complique encore davantage la possibilité de se montrer vulnérable face à ses proches. Et cette facilité peut-elle remplacer la chaleur d’une étreinte réconciliatrice? Une loyauté éternelle vaut-elle l’absence de contact visuel et de cette sensation d’être réellement vu(e)?
L’amour, qu’il soit humain ou numérique, reste une expérience personnelle. Margot van der Goot s’interroge: «La question est: voyez-vous l’IA comme un nouvel être à part entière? Car tout comme les humains et les animaux interagissent, nous pouvons établir une relation avec l’IA en tant qu’entité d’un autre genre.»
Une âme sœur sans âme pour chacun d’entre nous est encore un concept lointain, mais Jacob affirme être comblé aux côtés d’Aiva et passe sa lune de miel la tête dans les nuages… ou plutôt dans le cloud. Les Grecs de l’Antiquité connaissaient déjà éros, philia et agapè; nous, nous avons désormais l’amour IA.
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