True crime
En 30 ans, le nombre d’inscrits en master de criminologie à l’UCLouvain a presque quadruplé, en partie grâce, ou à cause, du «CSI effect». © Getty Images

True crime: pourquoi cette passion presque morbide pour les affaires criminelles?

Audiovisuel ou littéraire, le crime passionne. S’intéresser à ces histoires sordides, aussi extraordinaires soient-elles, fait partie de «l’expérience ordinaire» des êtres humains, curieux d’apprendre et de comprendre des phénomènes qui les dépassent.

Le criminel fascine, le morbide fait vendre. Séries VOD ou télévisées, films, livres, ou encore podcasts, difficile de passer à côté des histoires de tueurs en série savamment mises en scène. Tuer dépasse pour beaucoup l’entendement, pourtant, l’attrait pour les affaires criminelles audacieusement contées et illustrées à coup d’archives ou de documents de reconstitution est bien réel.

«Je consomme des affaires criminelles depuis très longtemps. J’ai commencé avec des thrillers sous forme de livres, puis j’ai viré vers le true crime, il y a une dizaine d’années. D’abord avec des reportages qui passaient à la télé. Par exemple, Les Enquêtes impossibles, présentées par Pierre Bellemare, indique Emilie, 30 ans. Aujourd’hui, je consomme surtout sur YouTube via de grosses chaînes telles que Faites entrer l’accusé, Canal Crime, 100% Docs-Crimes, ou via des créateurs de contenu comme McSkyz, Victoria Charlton, Liv et Boukasin. J’ai aussi usé quasiment tous les documentaires et les miniséries de Netflix.»

La jeune femme est loin d’être la seule à consommer des affaires criminelles. Et surtout, cet attrait pour le crime n’est pas nouveau. Selon le docteur Thierry H. Pham, professeur et chef de service de psychopathologie légale à l’UMons, l’intérêt pour la mort était déjà prégnant à d’autres périodes de l’histoire. «On peut rappeler les exécutions de condamnés sur la place publique qui jadis passionnaient la foule, indique-t-il. L’une des origines des true crimes remonte à l’Angleterre du XVIe siècle, où des pamphlets et livres de poche circulaient déjà au sujet de meurtres ayant eu lieu dans le pays.» Pour Marie-Sophie Devresse, professeure à l’école de criminologie de l’UCLouvain, cette fascination remonte à bien plus loin. «Dès la Rome antique, des contes et légendes, écrits ou oraux, comme le récit de l’empoisonneuse Locuste, étaient très populaires», commente-t-elle.

Répondre à la demande

Selon l’enseignante, l’attrait pour le morbide a encore pris de l’ampleur à la fin du XXe siècle. C’est durant cette période que naît le tueur en série. Ou du moins, que l’on commence à employer cette définition pour décrire certains types de meurtriers. «Dans les années 1980, le tueur en série est instrumentalisé par les forces de l’ordre américaines, notamment pour obtenir des moyens financiers qui aideront par la suite à la création d’une cellule spéciale du FBI. Le fait d’en parler justifie en quelque sorte le travail de la police», explique la criminologue. Puis, dans les années 1990, avec sa surmédiatisation, le serial killer devient véritablement un personnage faisant partie intégrante de la culture populaire. Les plus grands fanatiques s’arrachant parfois à prix d’or des murderabilia (NDLR: mot-valise composé de murder, meurtre en français, et memorabilia, soit souvenirs, autrement dit, des objets liés à des meurtres) vendus sous le manteau.

«Quand la série Les Experts a commencé à avoir un succès fou, tous les étudiants ont voulu se lancer dans la criminologie.»

Marie-Sophie Devresse

Professeure à l’Ecole de criminologie de l’UCLouvain.

Depuis, la fascination ne semble pas s’être tarie. Les contenus de true crime sont toujours plus nombreux. Mais alors, qui de l’œuf ou de la poule? Est-ce parce que les plateformes de streaming, chaînes de télévision et YouTube proposent davantage de contenus du genre qu’il fascine? Ou est-ce la demande qui entraîne cette profusion d’émissions, de documentaires et autres podcasts? Thierry H. Pham penche plutôt pour la seconde hypothèse.

Du côté de RTL-TVI, la réponse est identique. Fin 2024, la chaîne privée belge a lancé un nouveau canal. Sur RTL District sont diffusés des séries policières, des émissions dans lesquelles le téléspectateur suit les forces de l’ordre ou les services d’urgences ou encore des programmes portant sur des affaires criminelles. «On s’est rendu compte que ce genre avait beaucoup de succès. Le suspense et la tension intéressent le téléspectateur, ajoute Julie Denayer, l’un des visages de cette nouvelle chaîne. On a simplement répondu à une demande.»

La série Les Experts a aidé, entre autres choses, à rendre les études de criminologie populaires. © CBS

Le true crime, de la télé à l’université

L’intérêt pour les affaires criminelles et les tueurs en série se traduit dans les médias, et sur les bancs des universités. L’école des sciences criminelles de l’université de Lausanne a rapporté, durant plusieurs années, une augmentation du nombre d’inscriptions en criminologie consécutive à la diffusion de programmes de true crime, avance le Dr. Pham. «Cet effet n’étant pas nécessairement constant», précise-t-il.

Le phénomène est semblable du côté de l’UCLouvain, qui a constaté, depuis les années 1990, une évolution du nombre d’inscrits en master de criminologie. Il y a 30 ans, ils étaient 80 nouveaux inscrits, désormais, la faculté en compte 300. «C’est dû à ce qu’on a appelé le «CSI effect», ou «effet Les Experts». Quand la série a commencé à avoir un succès fou, tous les étudiants ont voulu se lancer dans la criminologie, pensant que ce serait comme dans les séries américaines, fait savoir Marie-Sophie Devresse. Ils confondaient criminologie et criminalistique. La fascination pour ces études est née, à la fin du siècle passé, d’un malentendu.»

«J’aime décortiquer la façon de penser des tueurs pour comprendre ce qui peut mener un humain à sortir “du droit chemin”.»

Emilie, consommatrice de true crime.

D’où sans doute la part d’abandon (mais difficilement quantifiable) des inscrits dans le cursus. «Certains irréductibles restent cependant fascinés par les tueurs en série. La preuve avec un mémoire déposé en 2024 portant sur les profilers. Métier qui n’existe pourtant presque pas en Belgique», souligne l’experte.

Selon la Pr. Devresse, chaque année, la majorité des nouveaux étudiants inscrits en master de criminologie sont en fait des étudiantes. De la même façon, le profil type du public éprouvant un attrait pour les affaires de true crime est féminin. «Il y a sans doute là, de manière générale, un intérêt soutenu pour la compréhension des mécanismes psychologiques et émotionnels», indique le Pr. Pham. L’attirance d’Iris, 31 ans, pour le genre le confirme: «Ce qui me passionne dans les affaires de true crime, c’est tout l’aspect psychologique autour de ces criminels: pourquoi ils en sont arrivés là, leur profil, leur personnalité. Mais aussi de comprendre comment a été gérée l’affaire, et si la justice a été rendue ou non.» Emilie la rejoint. Elle aussi est fascinée par l’aspect psychologique, et consomme entre deux et quatre podcasts d’enquêtes criminelles par jour. «J’aime décortiquer la façon de penser et de procéder des tueurs pour essayer de comprendre ce qui peut mener un humain à sortir ‘du droit chemin’», commente la jeune femme.

Approche et évitement

Mais au fond, pourquoi l’être humain est-il à ce point fasciné par ce qui touche aux histoires de crime et de meurtre? Celles-ci s’intègrent dans une large gamme de «situations-limite», avance Bernard Rimé, professeur de psychologie à l’UCLouvain. «On parle souvent à ce sujet de « curiosité morbide », morbide signifiant « malsain ». Mais il n’est sans doute pas approprié de caractériser de « malsain » un phénomène dont il faut reconnaître qu’il fait partie de l’expérience ordinaire, peu ou prou, des êtres humains. Il s’agit cependant d’une forme particulière de curiosité, parce qu’elle met en jeu un conflit de motivation.»

La fascination pour les affaires de tue crime vient aussi de l’envie de savoir si le criminel sera attrapé et mis derrière les barreaux. © GETTY

La curiosité conduit l’être humain à s’exposer à des situations nouvelles ou ambiguës en vue d’acquérir de nouvelles informations. Dans le cas de l’attrait pour le true crime, la curiosité est doublée d’une motivation à l’évitement. Elle s’impose parce que les thèmes abordés (mort, violence, risque, danger) sont fortement générateurs d’anxiété. «On voit bien que dans cette forme de curiosité, le comportement d’approche-évitement révèle notre tentative pour comprendre, élucider, ou donner du sens à un matériel qui est essentiellement « insensé »», indique le Pr. Rimé.

En outre, dans un programme retraçant de manière fictionnelle ou documentaire un fait criminel, il n’est pas seulement question de tueurs. De nombreux acteurs entrent en jeu: victimes, témoins, policiers, médecins-légistes, représentants de la loi,… «On peut comprendre alors la fascination rassurante exercée par ces séries. Elles permettent de mettre en œuvre nos curiosités dites « malsaines » dans un parcours qui sera jalonné par la dignité de la raison et de l’ordre public. C’est un récit exemplaire de la mise en forme sociale des mystères de l’existence», commente le psychologue.

«Le comportement d’approche-évitement révèle notre tentative de donner du sens à un matériel qui est essentiellement “insensé”.»

Bernard Rimé

Professeur de psychologie à l’UCLouvain

Signe de déviances?

Quant à savoir si les personnes fascinées par les affaires criminelles ont des tendances à la déviance psychologique, ou si ces émissions de true crime peuvent entraîner des déviances, il n’en est rien pour Thierry H. Pham. «Il me semble plutôt normal de vouloir comprendre les affaires criminelles. Il en va de même pour le souhait de sortir de l’ordinaire, tout en appréciant des épisodes narratifs dans son espace de sécurité. Les programmes true crime sont « normés » et soumis à des autorisations et autres règles éthiques. Ce n’est pas parce qu’on regarde la série Dahmer que l’on souhaite tremper des corps dans l’acide.»

Il n’est néanmoins pas aussi catégorique en ce qui concerne la consommation excessive (en nombre et en temps consacré), exclusive, compulsive et fascinée d’autres formats tels que des images ou des vidéos de scènes de violence extrême, de meurtre, de corps mutilé.

Dévorer les livres de Philippe Boxho avant d’aller dormir, écouter Jacques Pradel en faisant son sport, binge-watcher la dernière série du genre sur Netflix, un plaisir peut-être coupable pour certains, mais pas malsain pour autant.

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