Le trafic de drogue fonctionne parce qu’il brasse des sommes considérables, comme l’illustre cette saisie réalisée en 2023. Une part importante de l’argent se retrouve in fine dans l’économie réelle. © BELGA

Trafic de drogue: «Arrêtons ce débat cosmétique, il faut une Opération Mains propres»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les responsables politiques s’expriment abondamment sur la problématique de la drogue. La Liégeoise Caroline Saal (Ecolo) insiste: plutôt que de s’attaquer aux consommateurs ou aux petits dealers, il faut surtout s’attaquer aux organisations criminelles sur un plan financier. Que proposent les partis? Leurs programmes ne divergent pas énormément, en réalité.

«Pour lutter contre le narcotrafic, c’est d’une Opération Mains propres que nous avons besoin.» Les termes ne sont pas choisis au hasard, puisqu’ils font référence à cette vaste entreprise judiciaire de nettoyage qui eut lieu au sein de milieux politiques et économiques en Italie, voici une trentaine d’années. La problématique du trafic de drogue devrait donc faire aujourd’hui l’objet d’opérations d’une ampleur similaire, avance la cheffe de file écologiste liégeoise Caroline Saal, candidate suppléante aux élections fédérales, qui s’est spécialisée au cours de son parcours sur la question des assuétudes.

Elle réagit en fait à différentes prises de position exprimées par d’autres partis dans la presse, ces dernières semaines. «Le MR qui veut mettre des militaires en rue, puis cette carte blanche des bourgmestre PS…», soupire-t-elle. Il s’agit, en l’occurrence, d’une carte blanche signée par une dizaine de bourgmestres socialistes – et non des moindres – et publiée sur le site du Vif, fin avril. Paul Magnette, Philippe Close, Willy Demeyer et les autres y disent «partager l’exaspération des citoyens» face aux violences liées à la drogue. Parmi les mesures préconisées: renforcement des effectifs policiers, exécution plus efficace des décisions de justice et des ordres de quitter le territoire.

Le débat demeure essentiellement «cosmétique», estime Caroline Saal, lorsqu’on se concentre sur la répression des consommateurs ou sur les dealers de rue. «Ce n’est pas une réponse suffisante au problème. Si vous arrêtez un dealer, il y en aura un autre qui prendra sa place instantanément», à l’image de l’Hydre de Lerne dont les têtes repoussent. C’est une réalité socioéconomique, bien connue à Liège, ville touchée par le problème de la toxicomanie.

«Le trafic de drogue fonctionne parce que c’est un marché extrêmement lucratif. Vous pouvez vous attaquer tant que vous voulez aux dealers de rue, mais tant que vous ne vous attaquez pas au secteur économique à proprement parler, il continuera à engranger des masses considérables d’argent», poursuit-elle.

Caroline Saal se positionne sur le trafic de drogues.
Caroline Saal vit à Liège, où la problématique de la toxicomanie s’est imposée dans le débat politique. © BELGAIMAGE

Début avril, Europol publiait un rapport sur les organisations criminelles actives sur le continent. L’enquête fournit une série de données plutôt éloquentes. Ainsi, 50% des réseaux exercent du trafic de stupéfiants et 36% ne font que cela. Ensuite, 86% des organisations blanchissent l’argent en le transférant vers des structures économiques légales. «Concrètement, les plus ciblés sont la construction, l’immobilier, la logistique et l’Horeca.» Une fois l’argent parti dans la nature, il devient très compliqué pour les autorités judiciaires d’en remonter le fil.

«La réalité est celle-là, insiste Caroline Saal. C’est un marché très lucratif qui répond à des logiques économiques, de manière professionnelle, et qui implique de la corruption et du blanchiment.» Et c’est à la structure en tant que telle qu’il faut faire mal, selon elle. Son parti, de même que d’autres formations d’ailleurs (lire ci-dessous), ont intégré de larges pans de leurs programmes électoraux à la problématique, avec des accents différents, mais une volonté commune de s’en prendre aux organisations.

L’écologiste, par exemple, préconise la création d’un fonds «anti-drogues» constitué par l’argent confisqué aux cartels. «Ces moyens devraient être destinés aux quatre piliers des politiques contre les drogues: prévention, réduction des risques, soins, action judiciaire.»

Sans surprise, puisque c’est un argument qui revient souvent sur la table, la dépénalisation du cannabis est aussi avancée, pour permettre d’assécher les réseaux. «Avec un modèle des cannabis social club à l’allemande: production non lucrative, taux de THC surveillé, pas de publicité et politique de prévention et de santé.»

En plus des dimensions sanitaires et psychosociales, le plan «Opération Mains propres» défendu par l’écologiste se focalise donc sur la criminalité financière, à travers l’élaboration d’un plan de lutte contre la corruption, la création d’un parquet financier, le renforcement de l’Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière, une augmentation des moyens de l’administration fiscale (l’Inspection spéciale des impôts), de la justice et de la police, spécifiquement dans cet objectif.

Des convergences dans les programmes des partis

La recrudescence de la criminalité liée au trafic de drogue et l’augmentation du phénomène poussent les partis à se positionner. En réalité, en parcourant les programmes électoraux des six principaux partis francophones, il apparait que tous, sans exception, en consacrent une partie à la thématique.

Et à vrai dire, en dépit de quelques déclarations dans la presse, la grande majorité adoptent des positions certes pas identiques, mais qui présentent de réelles similarités. Les partis de gauche ou de centre-gauche mettent un accent sur les dimensions sanitaires et préventives, là où ceux de centre-droit consacrent un peu plus d’espace au renforcement des moyens policiers. Mais dans l’ensemble, les visions des uns et des autres ne semblent pas si inconciliables.

Ainsi, par exemple, Ecolo, le PS, le PTB, DéFI et Les Engagés proposent tous de légaliser et d’encadrer la consommation de cannabis. Seul le MR fait exception, en l’occurrence. Les libéraux se distinguent des autres formations en insistant sur les sanctions plus sévères à instaurer contre les consommateurs de drogues dures.

Les partis préconisent par contre une approche axée sur la santé publique plutôt que sur la répression. Tous déclarent souhaiter une politique de prévention plus avancée.

A l’instar d’Ecolo, la question du combat contre les cartels de la drogue plutôt que contre les consommateurs est partagée. Il s’agit de lutter «contre la mafia de la drogue et la violence liée à ce trafic», formule le PTB. Les Engagés entendent «faire une priorité de l’assèchement des circuits de financement et de blanchiment liés à la criminalité organisée, au trafic de drogue et au terrorisme». DéFI plaide pour «le renforcement de la lutte contre la criminalité financière et la corruption pour rendre aux citoyens l’argent qui leur revient de droit et assurer une meilleure justice fiscale, notamment en établissant un parquet financier indépendant». « La lutte contre le blanchiment est essentielle pour notre sécurité», considère encore le MR, qui propose de renforcer notre arsenal juridique en la matière en permettant aux tribunaux de dissoudre plus facilement ces sociétés écrans», entre autres mesures. Seul le PS, en définitive, s’exprime un peu moins que les autres sur la criminalité financière en lien avec le trafic de drogue.

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