Les rites funéraires en Occident doivent-ils évoluer? © getty images

Toussaint : ne faut-il pas réinventer un « bien-mourir » occidental?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’archéologue Jennifer Kerner décrit les résultats de ses recherches sur les rites funéraires dans le monde. Interpellant.

Pendant la pandémie de Covid, «sur l’ensemble de notre planète, les rituels [funéraires] ont dû être modifiés pour limiter la contamination […], rappelle la thanatoarchéologue Jennifer Kerner. Tous les endeuillés qui effectuaient machinalement des gestes de dévotion pour leurs disparus s’en sont trouvé privés. Le nombre de cas de deuils dits “pathologiques” et le nombre de dépressions ont augmenté en même temps que le nombre de morts. Nous avons reçu de plein fouet la preuve que les gestes funéraires étaient plus que nécessaires: ils sont essentiels.» Elle explique leur importance et leur diversité dans son livre Le Mari de nuit (1).

Les gestes funéraires sont plus que nécessaires: ils sont essentiels.

Cette étude du comportement des humains face à leurs défunts et face à la mort emmène le lecteur à la découverte de pratiques étonnantes dans le temps et dans l’espace. Au Tibet et en Chine du Nord, des défunts sont démembrés et livrés aux oiseaux. A Madagascar se perpétue la tradition des «doubles funérailles» qui permettent aux défunts de naviguer et de marcher plusieurs mois avant d’atteindre leur destination et de devenir de «vrais morts». Mais il ne faut pas nécessairement changer de latitude et de culture pour découvrir un rite funéraire singulier. Jennifer Kerner rapporte que l’écrivain Pierre Nothomb aurait été inhumé le corps debout au seuil de la forêt d’Anlier, en province de Luxembourg, pour «mieux profiter de ce paysage».

L’autrice questionne aussi le recours à la thanatopraxie répandu en Occident pour conserver de manière la plus fidèle possible les traits du défunt de son vivant. «C’est probablement se figurer l’homme bien plus naïf qu’il ne l’est que de croire que dérober le mort à notre vue le cache aussi à notre cœur et nous débarrasse de notre honte de lui avoir survécu», regrette Jennifer Kerner. Affronter la réalité du défunt serait au contraire salutaire: «Le choc que provoque notre face-à-face avec le rictus figé de la Mort fait partie de notre processus de guérison.»

A la description des pratiques funéraires révélées par son travail, l’archéologue conjugue le récit intime de la disparition de son compagnon, foudroyé par une overdose de drogue, pour en faire un ouvrage passionnant et poignant. Elle dit espérer que «nous saurons réinventer prochainement un “bien-mourir” occidental poétique et efficace», à l’image de ceux qu’elle a pu découvrir dans ses recherches professionnelles.

(1) Le Mari de nuit. Expériences du deuil et pratiques funéraires, par Jennifer Kerner, Gallimard, 220 p.
(1) Le Mari de nuit. Expériences du deuil et pratiques funéraires, par Jennifer Kerner, Gallimard, 220 p. © National
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