Le sarouel, vêtement emblématique de la liberté. © GETTY IMAGES

Série (5/7) | Comment le sarouel a contribué à la libération de la femme

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Plus qu’un pantalon ample, le sarouel a traversé les siècles en incarnant la liberté. Celle de voyager sans entraves ou celle des femmes.

Avec U’Can’t Touch This, MC Hammer –Stanley Kirk Burrell de son vrai nom– signe en 1990 le plus gros tube de sa carrière. Outre la mélodie entêtante, la reprise du single de Rick James, Super Freak, sorti une dizaine d’années plus tôt, sera le point de départ de deux tendances planétaires: une version revisitée et électrisante de la «typewriter dance» et le retour improbable du pantalon sarouel, rebaptisé «pantalon Hammer».

En 2008, interrogé par le New York Times, celui que le quotidien américain qualifie d’«icône de la mode» après que des griffes comme Dior ou Burberry ont adopté le sarouel, MC Hammer décrit combien il apprécie la liberté de mouvement que lui procure ce pantalon à l’entrejambe basse.

En juin 2024, Dior, toujours, présente la nouvelle version de son sarouel, imaginé par le créateur anglais Kim Jones, censé incarner la figure de l’artisan, «en sabot et vêtements confortables». Récemment, certaines célébrités l’ont timidement enfilé en version classique ou sophistiquée, histoire de ne pas risquer le fashion faux pas.

C’est peut-être ça le secret du sarouel, pantalon à la forme indéfinie, entre la paire de tentures et le sac à patates: la fluidité et l’absence d’entraves. Il est pourtant plus qu’une simple pièce de tissu peu élégante mais confortable. Car le sarouel a su traverser les époques, passant du vêtement traditionnel à l’incarnation de sous-cultures sans jamais être tout à fait à la mode et en résistant à l’occidentalisation des styles de vie.

Qui porte la culotte?

Son histoire débute au IIIe siècle, en Chine. A l’époque, il permettait aux marchands nomades de se déplacer à cheval sur les plateaux montagneux sans être gênés par le frottement du tissu de leurs jambières. Porté par la Route de la soie, il atteint la Perse. Mais c’est surtout son arrivée dans la péninsule arabique puis dans toute l’Afrique du Nord qui le popularisera. Adopté par toutes les classes sociales, y compris la plus haute bourgeoisie, il perd de son aspect pratique pour incarner l’élégance. Ses bas de jambes resserrés aux chevilles permettent en outre de se protéger des piqûres d’insectes.

En Asie aussi, le sarouel devient un incontournable. De l’Inde au Sri Lanka, en passant par le Bangladesh, le Népal, le Tibet ou le Bhoutan. Partout sur le globe, il est à la fois revêtu par les marchands, les soldats, les explorateurs, les empereurs et les samouraïs, avec quelques variantes selon les spécificités locales, l’usage ou le statut de celui qui l’enfile.

Importé par les colons, qui le portent un peu plus court, le sarouel poursuit sa route jusqu’en Amérique du Sud et se pare des couleurs ethniques régionales.

Tyrannie de la mode

Il faudra attendre la moitié du XIXe siècle pour qu’il prenne une dimension plus politique. A l’époque, une militante américaine féministe, Amelia Bloomer, se met en tête de lancer une grande réforme vestimentaire. Employée des postes et éditrice d’une revue dans laquelle signent d’autres militantes féministes, Amelia Bloomer et l’une de ses amies, Elizabeth Cady Stanton, veulent inciter les femmes à laisser dans leur penderie les robes longues et étriquées de l’époque pour enfiler un ensemble composé d’une jupe courte portée sur un pantalon à la turque, sorte de culotte bouffante.

Le premier modèle de cette version raccourcie du sarouel, conçu par la cousine de Stanton, Elizabeth Smith Miller, reçut un accueil glacial. Trop osé, trop inconvenant pour les mœurs de l’époque, chaque apparition du bloomer provoque l’esclandre, comme le relate un article du journal Constitutionnel du 2 octobre 1851 dont un extrait fut publié par Le Figaro en décembre 2018: «Les dames américaines ont réfléchi qu’il y avait un autre esclavage à abolir, esclavage contre lequel la religion, la morale, la loi sont impuissantes. Vous avez déjà nommé le tyran: c’est la mode. […] La toilette actuelle des dames exerce sur elles une torture physique, spirituelle et morale.»

Adopté par toutes les classes sociales, il perd de son aspect pratique pour incarner l’élégance.

Quelques décennies plus tard, le bloomer tant moqué trouva toutefois une utilité dans la pratique de la bicyclette. «Comme les suffragistes, les réformateurs vestimentaires prenaient souvent leur cause beaucoup plus au sérieux que leurs adversaires. Dans les deux cas, les partisans de la réforme vestimentaire étaient confrontés à des attaques humiliantes et démoralisantes de la part de leurs adversaires, et les désaccords n’étaient pas rares entre les leaders des deux mouvements, peut-on lire dans un document publié en 2019 par une étudiante diplômée de l’université de Memphis. Malgré ces défis, les militantes se sont battues pendant des décennies et les deux mouvements ont finalement réussi. Dans les années 1890, la bicyclette a provoqué une révolution dans la mode féminine et la tenue bouffante est devenue plus largement acceptée; en 1920, le 19e amendement, accordant le droit de vote aux femmes, a été ratifié.»

Une libération de la femme à laquelle a aussi contribué le grand couturier français Paul Poiret, au tout début du XXe siècle. Réputé pour son audace, celui qui était également designer et modéliste, fut le premier créateur à supprimer le corset de ses créations. Inspiré par l’orientalisme, il commence à intégrer «le pantalon de harem», ou jupe-culotte, dans ses collections après avoir donné une somptueuse fête sur le thème de la Perse dans son hôtel particulier du Faubourg-Saint-Honoré. Par la suite, d’autres couturiers renommés ont tenté de répliquer le pantalon parachute, sans jamais vraiment le faire décoller.

Il faudra attendre les années 1960 et 1970 et les premiers hippies pour que le sarouel refasse son apparition et devienne une tenue unisexe ancrée dans son temps. De féministe, il devient un symbole plus large, celui d’un mouvement pacifiste et d’une contreculture réfractaire au conformisme et aux valeurs portées par la société capitaliste. A partir des années 2000, le sarouel prend encore un autre pli. Il incarne la multiculturalité et l’ouverture au monde, la décontraction. Les motifs sont colorés, inspirés des habits traditionnels indiens ou africains. Toujours un peu antisystème, il habille les altermondialistes, les amateurs de reggae, les zadistes, les backpackers et les «bobos». Mais aussi Rihanna, Heidi Klum et Kim Kardashian, qu’on classerait difficilement parmi les «antisystème». Après tout, le sarouel n’est-il pas le plus extensible des symboles?

Coiffé comme…

Les cheveux gris

«Au tout début de la quarantaine, mes cheveux blancs ont commencé à pousser, et chaque fois que mes enfants me voyaient, ils n’arrêtaient pas de me dire que j’avais l’air d’une dure à cuire avec mes cheveux gris.» Dans une interview accordée en juillet 2023 à Glamour US, Andie MacDowell expliquait pourquoi elle avait renoncé à se colorer les cheveux. Comme elle, d’autres personnalités médiatiques militent pour que les femmes n’aient plus à se sentir vieilles, ni moins féminines, parce qu’elles arborent une chevelure argentée.

Assumer ses cheveux gris ou blancs reste difficile pour de nombreuses femmes. L’effet «coup de vieux» ne passe pas inaperçu et donne souvent lieu à des remarques déplaisantes ou sexistes. Chez les hommes, en revanche, la chevelure argentée est perçue comme une preuve de maturité, de caractère. Qui rit des reflets de George Clooney?

Plus qu’une question d’esthétique, le cheveux gris renvoie à l’image de la ménopause, sujet toujours un peu tabou. «Un homme de 50 ans est la somme de toutes ses expériences. Une femme de 50 ans est la fin de tout ce qu’elle a été», résumait récemment l’actrice Julie Gayet.

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