Les rappeurs, comme le Français Orelsan, sont friands de cette sape associée à des mouvements revendicatifs. © Getty Images

Série (4/7) | La symbolique derrière le sweat à capuche: «Je sais que ça devient sérieux quand je la vois porter leur hoodie»

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

L’essentiel

• Le sweat à capuche, initialement conçu pour les sportifs américains, est devenu un vêtement populaire dans la contre-culture américaine (skate, rap, graffiti).
• Il est associé à la relation intime et représente un sentiment d’appartenance, notamment chez les jeunes adultes.
• Les universités américaines, les rappeurs et les marques de luxe ont contribué à sa popularisation.
• Le hoodie est devenu un symbole de la contre-culture et est porté par des célébrités comme Mark Zuckerberg.

Originellement conçu pour les jeunes sportifs américains, le hoodie a acquis ses lettres de noblesse au cœur de la contre-culture américaine (skate, rap, graffiti). Mais le vrai carburant de son succès est bien plus subtil…

Dans la galaxie de la sape passe-partout, il existe une place spéciale pour le sweat à capuche (hoodie, en anglais). Riche ou pauvre (ou entre les deux), jeune ou moins jeune, attentif ou non à son apparence, casanier ou gros sorteur, cette pièce qui fait en général la part belle au coton est portée (presque) partout, (presque) tout le temps, par à peu près… eh bien (presque) tout le monde. C’est sans doute l’acteur et rappeur américain Childish Gambino (Aka Donald Glover) qui résume le mieux le côté tout-terrain du pull à capuche dans sa chanson My hoodie. «Je porte mon sweat à capuche qu’il pleuve ou qu’il vente […] Il y a une poche à l’avant qui contient mes CD, et qui réchauffe mes mains quand il y a trop de vent.»

Ma fille de 17 ans est sortie avec quelques garçons. Je sais que la relation devient sérieuse quand elle porte leur sweat à capuche.»

Bref, qu’il soit cintré ou ample, monochrome ou bariolé, bardé d’un bon gros slogan ou pas, le «hoodie » sait rester simple, pratique. Même usé, oublié par son propriétaire au fin fond d’un placard, sa valeur sentimentale demeure intacte. Une autre petite chansonnette l’illustre, celle de la chanteuse américaine Hey Violet dans la bien nommée Hoodie: «Tu vas sans doute me prendre pour une dingue (si tu savais), mais je l’ai encore dans mon placard (triste mais vrai), je le mets sur mes épaules […] Je t’ai tout donné, et tout ce que j’ai eu, c’est ça; je porte toujours ton sweat à capuche; mâcher les cordons me fait penser à toi, alors je le porte quand je dors, j’ai gardé la fermeture Eclair cassée, et les brûlures de cigarette; bébé même si ça fait mal, je fais toujours vibrer ton hoodie…»

L’amour, la nostalgie

On aurait tort de se moquer de ce sentimentalisme un poil dégoulinant. Car c’est bien l’amour qui fait du hoodie, ou plutôt de certains d’entre eux, un vêtement pas comme les autres: la légende veut que ce dernier ait quitté les cercles sportifs des universités et lycées américains pour lesquels il fut conçu originellement dans les années 1930 grâce aux amourettes au cours desquelles ces valeureux jeunes hommes offraient diligemment leur pull à leur petite amie. Il y a sans doute un fond de vérité: aujourd’hui encore, le hoodie est clairement associé à la relation intime et à ce qu’elle représente, notamment chez les post-ados et jeunes adultes.

«Ma fille de 17 ans est sortie avec quelques garçons au lycée. Je sais que la relation devient sérieuse quand je la vois porter leur sweat à capuche», expliquait récemment une mère de famille au site Business Insider, apparemment pas très au fait de cette pratique pourtant ancienne (l’auteur de ces lignes peut en témoigner). Questionnée, sa fille lui a répondu simplement: «C’est ce qui se fait, maman. Tu portes le sweat à capuche de ton copain.» «J’ai cligné des yeux de surprise, dépeint la mère éplorée. Premièrement, elle et ce garçon étaient passés du stade de la discussion à celui de « petit ami » et « petite amie ». Deuxièmement, je ne savais pas qu’il était populaire de porter le sweat de son petit ami.» Pas de quoi en faire tout un plat; l’avantage est que cette gentille mère de famille, ainsi qu’elle le raconte, a ainsi trouvé le moyen de prendre le pouls de la vie sentimentale de sa fille, au rythme des pièces défilant dans sa penderie, jugeant du sérieux de la relation en fonction de la fréquence à laquelle sa progéniture arborait les mystérieux hoodies.

«Il est devenu un véritable courant dominant. Disponible dans toutes les couleurs, tissus, tailles et imprimés imaginables, de 30 à 3 000 dollars.»

Trishna Rikhy, spécialiste style et commerce pour Esquire.

Cœur de contre-culture

Voilà pour le côté «sacré» de ce vêtement aujourd’hui, dont il est ici et là considéré qu’il a atteint un âge d’or. «Le sweat à capuche est devenu un véritable courant dominant. Non seulement il est disponible dans toutes les couleurs, tissus, tailles et imprimés imaginables, mais vous pouvez en acheter un entre 30 dollars et 3.000 dollars», se réjouit Trishna Rikhy, spécialiste style et commerce pour le magazine Esquire, louant un vêtement «pour tout le monde.» Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Conçu pour les jeunes hommes sportifs dans les années 1930 par la firme américaine Champion, il s’est lentement frayé un chemin au sein de la jeunesse américaine, épousant comme un gant ses fulgurances et ses aspirations.

Déjà bien populaire au début des années 1980 après avoir été arboré par des sportifs en vue, tel le champion de base-ball Joe DiMaggio (et au cinéma par Sylvester Stallone dans Rocky), le hoodie s’est imposé dans l’univers de la contre-culture américaine. Paradoxalement chez les adeptes du skate, discipline alors en perte de vitesse (qui connaîtra un rebond spectaculaire quelques années plus tard), ainsi que dans le milieu du graffiti, qui se popularise au fil des années 1980. On comprend bien pourquoi le vêtement est prisé dans ce dernier cas: l’art de rue –comme le skate, d’ailleurs– nécessite une certaine discrétion. Quoi de mieux, alors, qu’un pull pourvu d’une capuche?

Un marché ouvert aux ultrariches

D’un point de vue commercial, chacun a bien saisi le potentiel symbolique et sentimental du hoodie, avec tout ce qu’il suggère de sentiment d’appartenance. A commencer par les universités américaines, où il s’est propagé au départ, et qui en produisent aujourd’hui à la pelle (de Harvard à UCLA en passant par Yale, pour ne citer que les plus prestigieuses). Les rappeurs, friands de cette sape associée à une kyrielle de mouvements revendicatifs, d’Occupy Wall Street à Black lives matter, y ont aussi vu une occasion de se diversifier; on citera à ce titre la marque du rappeur français Orelsan, Avnier, qui en propose plusieurs modèles.

Fatalement, le prêt-à-porter de luxe a compris qu’il y avait aussi une clientèle chez les plus fortunés: Yves Saint Laurent, à titre d’exemple, en propose à environ 800 euros la pièce; Gucci, à 2.000 euros; Balenciaga, jusqu’à près de 7.000 euros. Résultat: les nouveaux ultrariches n’ont aucun complexe à arborer leur hoodie préféré, même pas «cher». Le plus célèbre d’entre eux n’est autre que le magnat de la tech Mark Zuckerberg (Meta), connu (et critiqué à l’époque) pour avoir porté des pulls à capuche lors de réunions importantes avec des investisseurs ou pendant des présentations –il en mettait déjà à Harvard lorsqu’il y étudiait. Un événement de juin 2010 révèle le rapport qu’a entretenu le multimilliardaire avec le vêtement en question, et qui en dit long sur l’aura jamais démentie de celui-ci. Alors qu’il était interrogé en public sur les problèmes d’atteinte à la vie privée générés par Facebook, le jeune milliardaire est apparu transpirant et mal à l’aise sous les spots chauffés à blanc. «Vous ne voulez pas enlever votre hoodie», a fini par lui demander l’intervieweuse, Kara Swisher. «Je n’enlève jamais le hoodie», lui a rétorqué Zuckerberg. Une réponse qui ressemble furieusement au mantra de la jeune fille de 17 ans refusant d’expliquer à sa mère pourquoi elle porte les sweats à capuche de ses petits amis. Une réponse simple comme un bon vieux hoodie: c’est comme ça, c’est tout.

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