Pour simuler le goût du sucre, les sodas peuvent recourir à une dizaine d’édulcorants autorisés en Europe. © GETTY IMAGES

Zéro sucre, mais pas zéro risque: les effets néfastes indirects des sodas light

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

L’essentiel

20,4% des Belges consommeraient des sodas au moins une fois par jour
Les sodas sans sucre représentent 40% du marché en Europe
Les édulcorants utilisés peuvent avoir des effets nocifs à long terme
La consommation de sodas light peut entraîner une fringale de sucre et inciter à manger des aliments caloriques
Il est préférable d’éviter les sodas, qu’ils soient avec ou sans sucre, pour diminuer les risques métaboliques

Un Belge sur cinq consommerait des sodas une fois par jour. La nocivité des softs sucrés est bien connue. Mais qu’en est-il des boissons «zero sugar» qui envahissent le marché? Voici ce qu’en disent les experts.

C’est un résultat difficilement explicable, peut-être partiellement biaisé. Mais selon les chiffres d’Eurostat, basés sur une enquête déclarative de 2019, 20,4% des Belges disent consommer des sodas au moins une fois par jour. Cette proportion, qui grimpe même à 30,3% chez les 15-24 ans, les place largement en tête du classement des plus gros buveurs européens de boissons gazeuses sucrées, devant Malte (12,4%) et l’Allemagne (12,1%) –la moyenne étant de 9,1% dans l’UE. Les chiffres de l’Unesda, l’Union des associations européennes de boissons non alcoolisées, confortent ce constat: en 2023, le volume écoulé de «softs drinks» en Belgique, une appellation qui exclut les jus de fruits et les sirops, équivalait à 122 litres par habitant, contre 97 litres à l’échelle européenne et 61 dans un pays comme la France.

C’est connu: la consommation régulière de sodas sucrés constitue un facteur de risque de surpoids ou de maladies cardiovasculaires. Leur acidité attaque par ailleurs l’émail dentaire. On sait aussi qu’une canette de Coca «regular», par exemple, contient l’équivalent de sept morceaux de sucre. Pour gommer cette dérangeante réalité, les géants du secteur ont abondamment investi dans la promotion de boissons «light», puis «zéro» ou sans sucre. Un pari de déculpabilisation gagnant, comme l’attestent les chiffres du secteur: entre 2015 et 2023, la part de marché des sodas sans sucre ou faiblement calorique est passée de 26 à 40% en Europe, une proportion similaire en Belgique, toujours selon l’Unesda.

Pour simuler le goût du sucre, les sodas peuvent recourir à une dizaine d’édulcorants autorisés en Europe: l’aspartame (E951), la saccharine (E954), le cyclamate (E952), l’acésulfamenK (E950), le sucralose (E955), les glycosides de stéviol (E960)… Certaines boissons en combinent plusieurs, dont les propriétés de goût ou de solubilité diffèrent. En s’appuyant sur les résultats de nombreuses études, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l’aspartame comme potentiellement cancérigène pour l’homme. Dans les faits, cette éventualité est toutefois très peu probable, vu les niveaux de doses journalières admissibles qui ont été fixés (40 milligrammes par kilo corporel). Une étude de Sciensano indique par exemple que «même les consommateurs ayant des apports élevés n’ont pas été exposés à des niveaux excessifs […]. Il a été conclu que la population belge ne risque pas de dépasser les DJA (NDLR: doses journalières admissibles) établies pour les édulcorants.»

«Comme le goût pour le sucre ne diminue pas, sur le long terme, les sodas “zéro” n’ont aucun effet positif sur le contrôle du poids.»

Aude Dillis,

diététicienne et maître assistante à la Haute école Lucia De Brouckère

Comme le résume Jean-Charles Preiser, professeur de nutrition à l’ULB, «boire un soda « zéro » est un moindre mal par rapport à une boisson sucrée. Certaines études appliquées aux enfants en âge scolaire ont démontré que leur substitution engendrait moins de problèmes sur le plan métabolique, tels que l’obésité et les risques cardiovasculaires. Toutefois, il est évidemment préférable de boire de l’eau.» Pour Aude Dillis, diététicienne et maître assistante à la Haute école Lucia De Brouckère, la nocivité des sodas «zéro» est surtout liée aux systématismes qu’ils induisent. «Des études relayées par l’Organisation mondiale de la santé indiquent qu’à court terme, le remplacement de sodas classiques par des versions sans sucre favorise parfois la perte de poids chez les gros consommateurs. Mais comme le goût pour le sucre ne diminue pas, sur le long terme, cela n’a finalement aucun effet sur le contrôle du poids. Il pourrait même y avoir une augmentation de maladies cardiovasculaires, de diabète ou de cancer dans certains groupes.»

Gare, donc, aux effets indirects des sodas sans sucre, notamment sur les choix alimentaires. «Les édulcorants artificiels signalent au cerveau que le sucre arrive, ce qui pousse le pancréas à produire de l’insuline pour transporter ce sucre vers les cellules du corps, expliquait récemment le bioingénieur Eric De Maerteleire au Vif. Mais comme le sucre n’arrive pas, l’insuline commence à pousser le sucre déjà présent dans le sang vers les cellules. Conséquence: une fringale de sucre qui vous pousse à manger tout ce que vous trouvez. Et, généralement, ce ne sont pas de bonnes choses.» Avec ou sans sucre, la consommation de soda incite par ailleurs à manger gras ou salé. «On peut citer le rôle de la ghréline, qui est à la fois une hormone de croissance et de la faim, précise Jean-Charles Preiser. Plus l’estomac se remplit, moins l’organisme sécrète de la ghréline et moins on a envie de manger. Mais quand on boit un soda, la sécrétion de ghréline persiste, ce qui incite à manger des aliments caloriques.»

«Pour diminuer les risques métaboliques, mieux vaut éviter les sodas avec ou sans sucre.»

Jean-Charles Preiser,

professeur de nutrition à l’ULB

La consommation régulière de «softs» en tout genre n’est pas une addiction au sens scientifique du terme. «Je parlerais plutôt d’habitudes plus ou moins prononcées, poursuit Aude Dillis. Or, les sodas « zéro » alimentent le penchant pour le sucre. Et forcément, quand on en consomme, c’est un verre d’eau que l’on ne boit pas.» Même dans leur version sans sucre, l’acidité des sodas reste problématique pour l’émail dentaire, tandis que leur apport en phosphores peut aggraver l’ostéoporose chez les plus âgés. «De manière générale, les versions « zéro » sont quand même nettement moins à risque que les boissons sucrées, conclut Jean-Charles Preiser. Mais pour diminuer les risques métaboliques, mieux vaut éviter les sodas, avec ou sans sucre.» D’autant que la déculpabilisation associée à cette deuxième option pourrait inciter certaines personnes à en consommer davantage.

En chiffres

En 2019, seuls quatre Belges sur dix disaient ne jamais boire, ou très rarement, de sodas avec ou sans sucre, toujours selon Eurostat. Leur consommation est plus fréquente chez les hommes (50%) que chez les femmes (36%) et tend à diminuer avec l’âge. D’après les chiffres de l’Unesda, les volumes engloutis en Belgique (1.429 millions de litres en 2023) sont globalement stables d’année en année.

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