La surveillance vise à détecter les premiers signaux le plus rapidement possible pour pouvoir mettre en place des mesures dans les délais les plus brefs. © BELGA

Pourquoi la surveillance des épidémies s’est nettement améliorée depuis le Covid-19

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Comme les politiques et le secteur de la santé, la communauté scientifique a tiré les leçons de la pandémie. De nouveaux outils et de nouvelles méthodes de surveillance des virus ont été développés ou renforcés.

«Tout est sous contrôle.» Fin février 2020, alors que le virus continuait sa fulgurante progression à travers l’Italie, la France, l’Allemagne et que le chef de la mission d’observation internationale du coronavirus en Chine estimait que le monde n’était «simplement pas prêt», la ministre de la Santé, Maggie De Block, soutenait de son côté que le nombre de lits dans les hôpitaux était suffisant, que le pays serait capable de faire face à une situation sanitaire potentiellement grave. Il fallait, martelait-elle, «éviter les réflexes de panique et les mesures disproportionnées» (Le Soir, 25/02/2020).

Le pays ne comptait alors qu’un seul cas de coronavirus. Un homme originaire de Flandre-Occidentale, infecté, venait d’être rapatrié quelques jours plus tôt de Wuhan et placé en quarantaine. Début mars, alors que le nombre de contaminations grimpait en flèche et que le monde scientifique commençait à prendre la mesure du drame qui allait se jouer, le discours du gouvernement en affaires courantes ne variait pas d’un iota: «Nous sommes prêts.»

Trois ans plus tard, la Belgique vit sa dixième vague de Covid-19 et plus de 34.000 personnes ont succombé à la maladie. Les hôpitaux, les maisons de repos, tous les médecins, infirmiers et autres soignants qui y travaillent, émergent peu à peu d’une déferlante qui a rompu toutes les digues sanitaires. Non, la Belgique n’était pas prête. Pas plus que le reste du monde.

Aujourd’hui encore, le Covid fait 1.700 morts par semaine à travers le monde, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé. Mais la vitesse de propagation et la sévérité des symptômes du dernier sous-variant d’Omicron, nommé JN.1 ou «Juno», ne sont en rien comparables à celles de la souche originelle de Wuhan. Dans les transports, les masques ont presque disparu, les corps se sont rapprochés. Les salles d’attente des médecins ont désempli. Les soignants ont retrouvé un rythme moins effréné. Le télétravail est resté.

La crise est passée. Mais d’autres viendront. Le monde sera-t-il mieux armé pour les affronter? Et si le prochain virus s’annonçait plus contagieux, plus meurtrier encore? Depuis la pandémie, anticiper l’émergence de nouvelles maladies infectieuses est devenu l’un des défis majeurs de la communauté scientifique et des organismes de santé.

Maladie X

«La question n’est pas tant de savoir « si » une prochaine pandémie se produira, mais plutôt « quand »… Pourrons-nous en détecter les signes avant-coureurs suffisamment tôt, afin de ménager aux agences de santé et aux structures étatiques un temps d’avance pour mettre en place une réponse adaptée?», questionnent quatre chercheurs en développement dans une analyse de la situation parue sur le site The Conversation.

Dans un rapport publié par l’Institut Pasteur dans BMC Global and Public Health, des experts scientifiques de treize pays d’Europe de l’Ouest, dont la Belgique, reviennent sur les grands enseignements à tirer de la gestion de la crise sanitaire du Covid-19. Il en ressort que les Etats qui ont pris des mesures tôt ont enregistré moins de décès. Mais aussi qu’il est impératif de disposer d’un système de surveillance capable d’identifier rapidement la circulation communautaire d’un virus et son impact hospitalier. «Pour les pandémies futures, les pays ne devraient pas retarder la mise en œuvre des interventions non pharmaceutiques (IPN) lorsque les données de modélisation indiquent que les services de santé seront bientôt débordés». 

L’OMS, qui a joué le premier rôle dans la gestion de la pandémie de Covid-19, a réévalué son système de prévention des épidémies. L’organisation a dressé une liste de maladies présentant un risque de santé publique à grande échelle, en raison de leur potentiel épidémique et de l’absence, ou du nombre limité, de traitements ou de mesures de contrôle. La majorité de ces affections (Ebola, Zika, Mers, etc.) sont déjà connues mais l’OMS a inclus dans la liste une potentielle «maladie X» causée par un nouvel agent pathogène et susceptible de déclencher une nouvelle pandémie mondiale.

Qu’elles soient dues à des virus, des bactéries ou des parasites, plus de 70% des maladies infectieuses émergentes étaient d’origine animale (zoonoses) ces dernières décennies. Et s’il faut garder à l’esprit que certaines bactéries pourraient aussi être responsables de l’apparition de maladies, entre 2020 et 2024 ce sont principalement des virus qui furent responsables de flambées épidémiques majeures. Les virus à ARN, en particulier, ont un pouvoir d’émergence particulièrement important en raison de la petite taille de leur génome, de la simplicité de leur code génétique, ou encore de leur faculté à s’adapter rapidement aux contraintes de leurs hôtes et/ou de leur environnement. Il est donc fortement probable que cette «maladie X» sera liée à un virus appartenant à la famille des filovirus (Ebola, Marburg…), des coronavirus (Sars-CoV-1 et Sars-CoV-2, MERS…) ou des henipavirus (virus Nipah, virus de Hendra…), émettent pour hypothèse les quatre auteurs de l’analyse de situation, se basant sur une approche biogéographique.

De la ventilation aux eaux usées

La surveillance des maladies est profondément intégrée dans les systèmes de santé publique de tous les pays européens. En Belgique, certaines de ces maladies, comme la rougeole, doivent être notifiées par les médecins aux autorités puisqu’il s’agit de maladies qui, par l’agent pathogène qui les cause et leur mode de transmission, sont souvent liées à des épidémies. La surveillance des syndromes, tels que les syndromes grippaux ou les syndromes aigus respiratoires, fait aussi partie des mesures qui préexistaient à la pandémie de Covid-19 et qui permettaient déjà de monitorer la proportion de la population affectée par une maladie.

Un système de notifications qui souffrait, avant la pandémie, de quelques faiblesses, notamment dans la rapidité du signalement, de la couverture de l’ensemble des régions, des décisions prises sur la base des résultats d’analyses réalisées, etc. A présent, tous ces éléments sont consignés dans un rapport hebdomadaire permettant d’évaluer de manière plus régulière et plus complète le niveau épidémique pour toutes les maladies respiratoires.

L’objectif est d’être capable de traduire les informations techniques en risque sociétal et de déterminer s’il s’agit ou non d’une urgence.

Emmanuel André

Microbiologiste

Depuis la pandémie, un autre type de surveillance a été mis en place: celle de l’environnement et, plus particulièrement des eaux usées, afin de contrôler la progression d’un virus au sein de la population.  La surveillance des égouts est déjà utilisée dans certaines régions du monde pour contrôler des  groupes d’agents pathogènes responsables de la poliomyélite, du choléra ou de la fièvre typhoïde. «Aujourd’hui, avec les variants nettement moins sévères du Covid, on peut observer via ces analyses une circulation importante dans la communauté mais qui ne se traduit pas par des hospitalisations avec des syndromes respiratoires aigus comme c’était le cas au début de la pandémie», expose Emmanuel André, microbiologiste et responsable du laboratoire de diagnostic au pôle des maladies infectieuses de l’hôpital universitaire UZ Leuven. La qualité de l’air intérieur fait, elle aussi, l’objet d’un contrôle régulier à travers un système de capteurs dans la ventilation des bâtiments et ce, afin de mieux comprendre comment les virus circulent à certaines périodes de l’année. L’ensemble des données collectées représente une source d’informations beaucoup plus complète à disposition du risk assessment group (RAG, composé d’experts) et du risk management group (RMG, composé de politiques), lesquels ont la mission d’évaluer si des mesures sanitaires doivent être prises. «Si, avant la pandémie, les discussions au sein de ces deux groupes pouvaient tourner en rond sans qu’aucun consensus ne puisse être trouvé, ce n’est plus le cas aujourd’hui», évalue Emmanuel André

Ces données sont également transmises au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), lequel se charge de relayer les informations pertinentes et les signaux d’alarme aux pays européens. «La crise a permis à cet organe d’accumuler énormément d’expérience dans la gestion de problèmes.»

Les regards sont tournés vers les USA où trois personnes ont été infectées par le virus de la grippe aviaire (H5N1) sans que soit identifiée la source de contamination. © GETTY

Des scénarios et des solutions

Que ce soit concernant les risques pandémiques, les accidents chimiques ou nucléaires, les structures politiques de l’Union européenne et des pays membres ont intérêt à pouvoir mobiliser rapidement des groupes d’experts suffisamment diversifiés et capables de consensus. Afin d’anticiper ces situations d’urgence dont les conséquences pourraient affecter la santé de millions de citoyens, des experts, dont Emmanuel André, et des représentants de différents secteurs, sont sollicités pour étudier divers scénarios possibles (un problème viral avec une nouvelle mutation, par exemple), évaluer s’il s’agit d’une urgence ou non et donner les premières orientations sur les mesures à prendre. «L’objectif est d’être capable de traduire les informations techniques en risque sociétal et de déterminer s’il s’agit ou non d’une urgence. Il est aussi de développer une vision globale sur un nouveau phénomène aigu qui pourrait mettre en péril la santé publique. C’est un exercice extrêmement intéressant car il permet de créer de nouveaux outils, que ce soit à l’échelon belge, en matière de compétences, ou au niveau européen, pour la coordination et l’inclusion des différentes approches.»

Beaucoup d’efforts restent à produire pour que le système de surveillance à l’échelon mondial gagne encore en efficacité.

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers l’Amérique du Nord, où trois personnes ont été infectées par le virus de la grippe aviaire (H5N1), sans que la source de la contamination puisse être identifiée. Avant eux, une cinquantaine de travailleurs agricoles avaient été contaminés dans des élevages de vaches laitières et de volailles. Ces trois cas de contamination sans contact avec des animaux potentiellement infectés rappellent les circonstances dans lesquelles est survenue la pandémie de grippe H1N1, responsable de 280.000 morts entre 2019 et 2020.

«La question aujourd’hui est de savoir si ce virus est capable de se transmettre d’une personne à une autre. Toutes les observations que nous obtenons par les réseaux internationaux nous permettent de rester en alerte et d’accumuler de l’information, de faire certains tests, de préparer les stocks et de communiquer l’état de la situation auprès de la population. C’est précisément dans ce type de cas que la surveillance des facteurs environnementaux, comme les eaux usées ou de l’air intérieur, apparaît comme une approche moins intrusive pour la population, tout en permettant d’anticiper le développement de la maladie

Beaucoup d’efforts restent néanmoins à produire pour que le système de surveillance à l’échelon mondial gagne encore en efficacité. Notamment sur le temps de réponse entre les premiers signaux alarmants et la mise en place de mesures sanitaires.

Fin 2024, une maladie d’origine inconnue a fait une centaine de morts, des enfants de moins de 5 ans pour la plupart, dans le sud-ouest de la République démocratique du Congo (RDC). Une région forestière reculée où l’accès aux soins est limité et où la population a potentiellement des contacts avec la faune sauvage. Une situation préoccupante que suit de près l’Union européenne et les scientifiques en charge de la surveillance des virus et des épidémies. Parmi les victimes décédées, toutes souffraient de malnutrition sévère et présentaient des symptômes proches de ceux d’une grippe (fièvre, toux et maux de tête, difficultés respiratoires) ainsi que de l’anémie.

L’OMS suspectait des maladies connues comme le Covid, une pneumonie aiguë, le paludisme, ou encore la rougeole. L’envoi de scientifiques sur place, la collecte d’échantillons et leur transport par des températures ambiantes élevées, le rendant non analysables, avaient fait perdre beaucoup de temps aux chercheurs. Il est finalement apparu qu’il s’agissait de cas de maladies respiratoires combinées au paludisme et non d’une maladie émergente. Si cela avait été le cas, le délai entre la perception des premiers signaux et le moment où la maladie est identifiée aurait pu être suffisant pour que le virus se propage de manière exponentielle. Et incontrôlable.

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