Vaut-il mieux boire de l’eau en bouteille ou du robinet ? Pourquoi aucune n’est vraiment propre
A la suite du scandale des PFAS, les eaux en bouteille, souterraines et non traitées, pourraient tirer leur épingle du jeu. Ce n’est pas pour autant qu’il faut diaboliser l’eau courante.
L’affaire a fait grand bruit ces dernières semaines. Les concentrations élevées en PFAS dans l’eau courante de certaines entités du Hainaut suscitent de nombreux questionnements. A tel point qu’une certaine défiance pourrait s’installer. En corollaire, le secteur de l’eau en bouteille pourrait tirer son épingle du jeu.
A ce stade, néanmoins, il demeure difficile d’établir si la polémique a occasionné un réel impact sur les ventes en Belgique. Un petit coup de sonde auprès de la grande distribution indique qu’il n’y a pas d’augmentation spectaculaire. Les stocks d’eau en bouteille ont bien été approvisionnés en quantité, de façon préventive, dans les entités concernées, mais sans ruée perceptible à ce stade.
Evoquer l’eau en bouteille recouvre en réalité un ensemble assez varié de produits, classés en trois grandes catégories:
1. Les eaux minérales naturelles, tout d’abord, proviennent d’une nappe ou d’un gisement souterrain, dans des terrains qui permettent une filtration et protègent des contaminations. Elles ne sont pas traitées, mises en bouteille telles quelles, et la «pureté originelle» de leur composition (pureté microbiologique et chimique) implique qu’elles peuvent se prévaloir d’effets bénéfiques pour la santé. Leurs caractéristiques doivent être stables à long terme. On compte une vingtaine d’eaux minérales naturelles implantées en Belgique, parmi lesquelles figurent quelques marques bien connues comme Spa, Chaudfontaine, Bru, Valvert ou encore Villers Monopole.
Les eaux de source et minérales sont bien moins sujettes aux contaminations.
2. Les eaux de source, ensuite, sont également souterraines et non traitées, potables dans leur état naturel, mais leurs caractéristiques minérales ne doivent pas nécessairement être constantes.
3. Les eaux de table, enfin, peuvent avoir des origines diverses, y compris des rivières, lacs ou le réseau d’eau courante. Elles ont généralement fait l’objet de traitements avant d’être commercialisées.
L’eau en bouteille a ses défenseurs et ses détracteurs
Le secteur compte ses défenseurs, mais assurément aussi ses détracteurs. Une rapide recherche en ligne permet de compiler sans difficulté une multitude d’arguments qui, de prime abord, plaident en défaveur de la consommation d’eau en bouteille, depuis les conséquences du transport jusqu’au prix, en passant par la production de plastique et la présence d’une série de substances dans l’eau. Parmi les plus évoquées figurent des perturbateurs endocriniens, comme certains phtalates et le bisphénol A, et les particules de microplastiques et nanoplastiques qui se trouveraient dans l’eau.
Logiquement, le discours tenu par le secteur est tout autre. Cela fait même partie de sa marque de fabrique, la plupart du temps. Les marques mettent en avant le strict respect de l’environnement qui encadre leurs zones de captage et la pureté qui caractérise leurs eaux, filtrées au cours d’un long cheminement dans le sous-sol.
De réels efforts sont fournis, tant en matière de transport que de l’emploi de plastique recyclé ou de garanties de qualité des eaux. Les marques mettent en avant les labels écologiques qui leur ont été attribués, moyennant des critères les plus stricts. En surfant quelque peu sur la vague du greenwashing, leur reprocheront leurs détracteurs.
C’est que le secteur doit composer avec quelques paradoxes, ce qui rend sa communication d’autant plus déterminante, confirme Cécile Delcourt, professeure de marketing à HEC Liège. «Il s’agit d’un bien de commodité», précise-t-elle. L’eau est un produit extrêmement courant, essentiel même, autour duquel il n’est pas si simple de se distinguer. Les marques mobilisent un mot clé sur lequel elles concentrent leur communication. «On aura recours à des critères comme la nature, la pureté, la santé, le fitness, le sport, la protection des plus jeunes, la vitalité, etc.», précise l’experte.
Des eaux difficilement comparables
Au-delà de la communication, les consommateurs peuvent se demander si la qualité des eaux correspond aux messages rassurants, qu’elles proviennent du robinet ou soient consommées en bouteilles, d’ailleurs. «Quand l’eau en bouteille fait l’objet de critiques, il s’agit souvent de plastic bashing. Il est plus question de l’emballage que du produit», concède Philip Buisseret, secrétaire général de la Fédération de l’industrie des eaux et des boissons rafraîchissantes (FIEB). Eau courante et eau minérale naturelle ou de source sont difficilement comparables, selon lui. «D’un côté, on a une eau traitée, qui répond à un service public essentiel et qui est d’ailleurs utilisée à bien d’autres fins que l’hydratation. De l’autre, une eau qui ne peut pas transiter par les conduites et qui est embouteillée à la source, pure, non traitée, d’une très grande qualité.»
Le secteur lui-même dit considérer avec le plus grand sérieux la garantie de qualité. «La responsabilité est immense, ne serait-ce qu’envers les nourrissons et les personnes âgées, entre autres. Vous imaginez bien qu’on ne prendra pas le moindre risque», assure-t-on chez Nestlé, propriétaire de Valvert en Belgique. Coca-Cola Belgium, propriétaire de Chaudfontaine, faisait dernièrement savoir aux autorités de la commune éponyme que «la qualité et la sécurité alimentaire sont nos priorités absolues». Des contrôles ont lieu et «aucune présence de PFAS n’est détectée dans nos eaux minérales naturelles». Du côté de Spadel (Spa et Bru), on tient à rappeler que «la qualité exceptionnelle des eaux minérales naturelles est restée la même depuis des décennies grâce à ces mesures de protection très strictes». Quelque cent mille analyses de qualité sont effectuées chaque année, «tant en interne que dans des laboratoires externes accrédités».
La zone de protection autour de la Perle des Ardennes s’étend sur plus de treize mille hectares, «c’est une des plus grandes zones de protection aquifère d’Europe». Parmi les mesures en question, figurent l’interdiction de toute activité agricole ou industrielle, l’absence de sel de déneigement sur les routes, la préservation des zones humides, etc.
L’eau, une goutte dans l’océan
Qu’en pensent les scientifiques? Tout d’abord qu’on peut se féliciter, en Belgique, de disposer d’une eau courante de qualité élevée, comparativement à ce qui prévaut dans d’autres régions du monde. Cette observation est formulée tant par Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain, que par Patrick Kestemont, qui enseigne l’écotoxicologie à l’UNamur. Tous deux indiquent au passage boire de l’eau courante au quotidien. Cela n’empêche pas des contaminations occasionnelles plus importantes, qui imposent davantage de réactivité, comme l’actualité l’a démontré.
En partenariat avec l’ULiège, indique Patrick Kestemont, «un projet de développement d’analyses rapides et complètes sur tous les PFAS dans les eaux et les sols – pas uniquement la vingtaine dont on parle – avait été présenté l’an dernier auprès de la Région wallonne, dans le cadre des appels à projets GreenWin. Il avait bien été accepté techniquement et scientifiquement, après quoi le gouvernement wallon n’a pas suivi. Nous venons d’être rappelés pour relancer le projet, nous verrons s’il se confirme.»
Entre-temps, la préoccupation autour des PFAS a considérablement évolué. Sans minimiser le problème, le biologiste estime cependant utile de replacer la problématique dans une perspective plus large. «On en retrouve certes dans l’eau, mais dans des concentrations généralement très faibles par rapport à ce qu’on peut retrouver ailleurs. Le problème des PFAS se situe dans l’ensemble de la chaîne alimentaire.»
Il convient, explique-t-il, de garder à l’esprit un ensemble de concepts pour saisir la complexité du problème. Certaines substances se retrouvent dans des organismes dans des teneurs bien plus importantes que dans l’environnement (c’est la bioconcentration). Ces organismes sont parfois mangés (bioaccumulation) et leur présence s’accentue à mesure que l’on progresse dans la chaîne alimentaire (bioamplification).
Patrick Kestemont fait d’ailleurs remarquer que les doses admissibles de teneurs en PFAS à l’échelon européen – les quatre plus importants pour l’exposition par voie alimentaire – telles qu’elles ont été édictées en décembre 2022 se situent dans des valeurs considérablement plus élevées que les quelques dizaines de nanogrammes par litre dont il est question dans l’eau courante.
«Pour pouvoir commercialiser ces produits, on parle de 45 000 nanogrammes par kilo de chair de poisson d’eau douce sauvage, jusqu’à 66 000 par litre de lait, 1 700 par kilo d’œufs, 8 000 par kilo de poisson d’eau de mer. Attention, cela ne signifie pas qu’on en retrouve partout dans de telles quantités. Je pense que ce n’est pas le cas dans l’écrasante majorité des cas. Mais cela permet de recontextualiser quelque peu la polémique autour de l’eau», commente-t-il.
L’Afsca effectue d’ailleurs des contrôles réguliers. En 2022, 106 échantillons en provenance de Wallonie (trente prélevés sur des œufs, dix de lait et 66 de viande) ont été analysés et sept comportaient des PFAS, à des niveaux inférieurs aux normes européennes.
Ce n’est pas parce qu’on est contaminé par une substance qu’il y a des effets sur la santé.
Par leur origine souterraine, la filtration naturelle qui en découle, et les mesures de protection qui encadrent leurs zones de captage, les eaux de source et minérales sont bien moins sujettes aux contaminations, soutient Alfred Bernard. «On parle de quantités infimes. Mais une série de substances peuvent se retrouver dans l’eau courante, au demeurant valable pour la consommation, qu’on ne retrouvera en principe pas dans les eaux en bouteilles. Il peut s’agir de PFAS, parfois de nitrate, de résidus de pesticides ou de sous-produits de chloration résiduels», dus aux traitements appliqués à l’eau courante. Qui permettent surtout de préserver l’eau et de la rendre propre à la consommation, insiste tout de même Patrick Kestemont.
L’eau en bouteille demeure-t-elle irréprochable?
Intrinsèquement, sauf cas exceptionnel, les deux scientifiques s’accordent à dire que l’eau en bouteille telle qu’elle est captée à la source est plutôt irréprochable, indépendamment de l’avis qu’on peut avoir sur l’activité industrielle qui en découle. L’est-elle toujours au moment d’être ingurgitée?
«Il faut parfois faire attention à ce qu’on entend autour des perturbateurs endocriniens, prévient Alfred Bernard. Les bouteilles sont fabriquées en PET, qui ne libère pas de phtalates, ni de bisphénol A. On n’en trouve pas dans l’eau en bouteille.»
Patrick Kestemont se montre plus sceptique. Concernant les eaux en bouteille, des produits de qualités diverses se retrouvent sur le marché. Mais il est également possible qu’elles soient, une fois embouteillées, légèrement contaminées par ces substances. «Cela peut s’expliquer par les processus de recyclage, au cours desquels les PET peuvent être brassés avec d’autres plastiques qui, eux, en contiennent», souligne-t-il.
Quant à la présence de nanoplastiques (d’une taille allant du nanomètre au micromètre) et de microplastiques (du micromètre à cinq millimètres), estime Patrick Kestemont, «les producteurs d’eau en bouteille vous diront qu’il n’y en a pas. La réalité, c’est que, souvent, on ne le sait pas». Leur présence peut en effet survenir en raison «de la dégradation inéluctable du plastique. La concentration pourra aussi dépendre des conditions de conservation, dans la chaleur ou au soleil notamment.»
Cette réalité est assez peu reluisante, sans doute, mais le fait est que ces très petites particules, dont les origines sont multiples, «on en retrouve partout, même dans le placenta des femmes enceintes. En dessous de 250 nanomètres, ça passe la barrière hémato-encéphalique et peut se retrouver dans le cerveau». La seule bouteille d’eau en plastique est très loin d’être la seule responsable, naturellement.
Est-ce néanmoins une raison de se priver de boire de l’eau en bouteille? «Dans ce cas, on parle d’échelles de tailles de particules qui sont trop grosses pour être absorbées par l’organisme. Elles transitent simplement par le tube digestif», nuance Alfred Bernard.
«Ce n’est pas parce qu’on est contaminé par une substance que cela produit toujours des effets sur la santé, soutient Patrick Kestemont. On a parfois tendance à mélanger les choses ou à dramatiser excessivement. Les doses sont tellement faibles qu’elles peuvent ne rien induire dans votre corps, ou être éliminées», ce qui peut rassurer du point de vue de la santé humaine. Peut-être moins sur l’état de l’environnement.
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