Vaincre ses phobies, surmonter ses addictions: les pouvoirs insoupçonnés de l’autohypnose

Victime de sa spectacularisation, l'hypnose inspire parfois la méfiance. Pourtant, elle peut être utile... © getty images
Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

En modifiant l’état de conscience, on peut traiter nombre de dépendances, phobies et traumatismes. Les résultats sont variables d’une personne à l’autre mais peuvent être spectaculaires.

Trouver un chauffagiste, budgéter un nouveau projet, remonter le moral d’une copine en burnout, quel jour est-on encore ? Les mains agrippées sur le volant, l’esprit vagabonde. Il est en autohypnose. Cela n’empêchera pas le conducteur de freiner d’un coup sec si un obstacle se dresse devant lui. Ni de s’apercevoir qu’il s’est trompé d’itinéraire. Mais sa conscience se trouve dans un état modifié. Cet état lui permet de gérer ce qui encombre ses pensées tout en restant connecté au monde.

Méconnue, victime de sa spectacularisation, l’hypnose inspire généralement la curiosité amusée ou la méfiance. Il s’agit pourtant d’une méthode thérapeutique tout à fait sérieuse. Elle ne doit être pratiquée que par des personnes suffisamment formées.

Alliance thérapeutique

L’hypnose ne peut pas tout soigner. Cependant, la liste des troubles pour lesquels elle peut être utilisée est impressionnante. Il peut s’agir du stress, de l’anxiété, de la mauvaise estime de soi, des addictions, des troubles alimentaires, des phobies. L’hypnose est aussi utilisée dans le milieu médical pour atténuer les douleurs liées à certaines pathologies chroniques. Et en anesthésie pour limiter l’anxiété et la doule

Pour aider le patient à accéder à cet état modifié de la conscience, la psychologue ne brandit aucun pendule. Il n’ensorcelle pas en invoquant la lourdeur des paupières non plus. La première séance est dédiée à l’anamnèse. En questionnant le patient, le thérapeute pourra évaluer si l’hypnose peut lui être utile. Ce que l’on recherche, c’est l’alliance thérapeutique à travers laquelle des objectifs atteignables seront fixés.

AUtohypnose, voyage intérieur

Durant les séances d’hypnose, le thérapeute induira l’état modifié de conscience en faisant appel à l’imaginaire du patient. « Il s’agit de le plonger dans un voyage intérieur. Mais sans pour autant le décon- necter du monde extérieur. Si un bruit survient dans l’environnement, une porte qui claque par exemple, il l’entendra mais n’y prêtera pas attention. Lorsqu’il reviendra à son état de conscience habituel, il se souviendra avoir entendu le claquement de la porte, décrit la psychologue et hypno- thérapeute Alexandra Balikdjian. Dans ma pratique, j’utilise l’hypnose comme un outil parmi d’autres. Sauf dans les cas où le patient le demande spécifiquement. L’objectif est aussi que celui-ci puisse devenir acteur de sa prise en charge. Et que cet accompagnement lui permette de pratiquer par la suite l’autohypnose.»


Tous les êtres humains ont la capacité de se mettre en autohypnose.

L’induction hypnotique établie, le patient se laissera guider par cette voix extérieure qui le place en situation. « Le travail en imaginaire produit les mêmes effets que certaines situations vécues dans le réel. Si vous pensez à un dessert que vous aimez manger, mécaniquement , vous saliverez. Parce que le cerveau a traité l’information et a envoyé un signal aux glandes salivaires. Le processus est identique sous hypnose. Pour traiter le stress, par exemple, on créera un calme relatif pour travailler sur une situation stressante. On décortiquera les différentes étapes, on les fera revivre. Et réparer. »

Plus tard, lorsque le patient se retrouvera dans un contexte stressant, son cerveau sera alors capable de réagir autrement. En effet, cet événement, qui jusque-là induisait un sentiment négatif, est dorénavant associé à des affects positifs.

C’est donc autour de cette capacité qu’a l’être humain à s’autohypnotiser que le travail s’articule. C’est aussi ce que décrit le Dr Eric Mairlot, spécialiste en neuro- psychiatrie, psychothérapeute et formateur en hypnose thérapeutique.

«Tous les êtres humains ont la capacité de se mettre en autohypnose. Les animaux, par exemple, parviennent à se figer pour éviter de se faire repérer par les prédateurs. De la même manière, l’être humain, lorsqu’il est confronté à une difficulté, est capable de se mettre dans cet état de conscience et de créativité intense pour résoudre le problème. C’est à ce moment-là que notre regard se perd dans le vide.»

En sécurité

Cas pratique. Si l’on reprend l’exemple du dessert qui nous fait saliver mais que l’on se glisse cette fois dans la peau d’une personne souffrant de boulimie, l’objectif sera d’arriver à ce que la faim ne soit plus associée à une insécurité affective mais à une sensation positive. Pour guider le patient, Eric Mairlot utilise lui aussi l’hypnose Ericksonienne, technique la plus pratiquée.

«Un enfant qui tète au sein ou au biberon se trouve déjà dans cet état second. On peut même parfois observer qu’il a les yeux révulsés. Il éprouve un sentiment de sécurité affective et se sait protégé de la souffrance, de la faim et de la mort. C’est cette même sécurité affective que recherchent les personnes qui vivent des pulsions alimentaires. Le fait de manger leur procurera un sentiment positif. Mais les conséquences pour leur santé sont problématiques. Au cours des séances, on reproduira cet état de conscience dans lequel ils se sentent en sécurité en faisant appel à leurs sens. Puis on reliera cet état de sécurité à un mot ou un geste. Trois respirations profondes, par exemple. Ce réflexe conditionnel pavlovien produira une autohypnose légère mais suffisamment efficace pour chasser l’angoisse et l’anxiété.»

C’est justement cette manière de reprogrammer certaines choses, cette réinitialisation, qui aidera le cerveau à envoyer d’autres réponses.

Contrairement aux idées reçues, l’hypnose ne permet pas de prendre le contrôle du cerveau d’un individu. Ni même de l’amener à lui faire faire, ou dire, des choses contre son gré. Le sujet reste maître de lui-même. Au cours de ce voyage intérieur, il est toutefois possible que des souvenirs ou des traumatismes profondément enfouis surgissent. Et si la séance se révélait plus traumatisante qu’apaisante ? Le patient, rassure Alexandra Balikdjian, peut faire le choix de ne pas se souvenir. Le cadre sécurisé de l’accompagnement par un professionnel permet à l’inconscient de faire remonter à la surface des traumatismes. Mais il n’ouvre que les portes que l’individu est capable de gérer. Votre inconscient, c’est votre meilleur ami. »

L’hypnose ne permet pas de prendre le contrôle du cerveau d’un individu.

L’hypnose est également utilisée dans le cadre d’auditions judiciaires. La pratique est toutefois soumise à un cadre légal strict. Etant donné qu’il n’est possible d’obtenir un état hypnotique qu’avec l’entière collaboration du sujet, la technique ne peut être pratiquée qu’avec des témoins ou des victimes, jamais avec des suspects ou les auteurs des faits, rappelle dans ses écrits une autre psychologue et hypnothérapeute, Evelyne Josse. De plus, il est possible de mentir sous hypnose et de simuler un état hypnotique.

Les fumeurs, les plus réceptifs

De ce qu’a observé dans sa pratique Alexandra Balikdjian, c’est avec les fumeurs de tabac et les phobiques que l’on peut espérer les meilleurs résultats. Et chez les personnes hautement hypnotisables, dont les enfants qui ont une imagination débordante.

Chez les sujets très réceptifs, les états de conscience hypnotiques sont associés à des changements manifestes dans l’activation de différentes régions. Et dans la connectivité entre régions cérébrales. Ces changements se produisent rarement, et seulement de manière exceptionnelle, dans les états de conscience quotidiens, décrit le Conseil supérieur de la santé dans un rapport publié en 2020 sur l’usage de l’hypnose dans les soins de santé. Ces changements de fonctionnement cérébral peuvent être objectivés par l’imagerie fonctionnelle et la recherche électrophysiologique. Les personnes peu ou moyennement hypnotisables peuvent aussi bénéficier de l’outil hypnose en clinique. Mais les résultats sur ces sujets ont fait l’objet de moins de recherches.

Quoi qu’il en soit, les interventions utilisant de manière professionnelle des états de conscience hypnotiques conduisent à des effets thérapeutiques utiles sur le plan psychologique, somatique et donc psychosomatique, tranche le Conseil.

Des études ont été menées afin d’objectiver les effets de l’hypnose lorsqu’elle est utilisée hors du champ thérapeutique. Dans les cas d’hypnosédation, d’hypnoanalgésie (accouchement, intervention chirurgicale), ou de pathologies fonctionnelle, notamment. Elles ont livré des résultats variables.

L’intérêt serait plus évident pour les cas d’anesthésie préopératoire ou pour atténuer les symptômes de certaines pathologies, comme la colopathie fonctionnelle (colon irritable). Il apparaît de façon moins évidente ou insuffisamment documentée pour le sevrage tabagique ou la prise en charge de la douleur lors de l’accouchement, évalue l’Inserm, l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale, dans une note de 2015.

La difficile objectivation de l’autohypnose

L’évaluation de l’efficacité de la méthode, lorsqu’elle est utilisée en thérapie brève, se heurte à plusieurs obstacles. L’un d’eux est l’impossibilité d’utiliser des protocoles aussi standardisés que dans les études cliniques pharmacologiques. En effet, le thérapeute est censé s’adapter aux besoins des patients. D’autres sont la motivation et les attentes du patient, la relation qu’il a nouée avec son thérapeute.

Dans ces différentes applications, et plus encore avec l’hypnothérapie, se pose inévitablement la question de l’effet placebo. «Si vous pensez que l’hypnose résoudra tous vos problèmes, ça peut effectivement les résoudre», sourit Alexandra Balikdjian, pour qui l’effet placebo n’a pas forcément une connotation négative. Le principal étant que le patient se sente mieux. «D’autant qu’il ne s’agit que d’un outil parmi d’autres dans la palette thérapeutique.»

«D’autres techniques, comme le biofeedback, la méditation de pleine conscience ou la psychoéducation peuvent également se montrer efficaces dans certaines indications. L’efficacité de l’hypnose en comparaison à ces techniques n’a pas suffisamment été évaluée. Pas plus que les facteurs communs qui agissent pour que ces différentes techniques arrivent par différents moyens à un résultat comparable, ni quels sont les facteurs qui font qu’une technique sera plus ou moins appropriée pour un patient», évalue encore le Conseil supérieur de la santé. Reste donc au patient à évaluer ce qui lui conviendrait le mieux. Et à tester.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire