Vaccins anti-Covid: les ados, cible légitime
Est-il possible d’atteindre l’immunité collective sans vacciner les enfants et les adolescents? La question est sur la table du Conseil supérieur de la Santé (CSS). Et les laboratoires s’y préparent.
Mi-avril, environ 20% des Belges ont reçu une dose d’un vaccin contre la Covid-19 et presque 7% de la population est complètement vaccinée, mais une bonne partie échappe encore à l’injection. Les moins de 18 ans ne sont, dans aucun pays, concernés par les campagnes de vaccination. Aucun vaccin bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché au sein de l’Union européenne (UE) n’a encore reçu d’agrément pour une application chez les plus jeunes. Pourtant, depuis décembre 2020, les laboratoires pharmaceutiques à la pointe mènent des études cliniques sur les mineurs. Et les essais se succèdent, avec, comme chez les adultes, une longueur d’avance pour les détenteurs de l’ARN messager. La société américaine Moderna teste son produit sur 3 000 adolescents âgés de 12 à 18 ans. Pfizer/BioNTech en fait tout autant, à une différence près: le duo américano-germanique avait déjà inclus les 16-18 ans dans ses essais initiaux. Il s’est donc concentré sur les 12-15 ans, pour lesquels il vient de demander une extension en urgence de son vaccin auprès de l’Agence américaine des médicaments.
Les enfants peuvent aussi transmettre le virus et augmenter le risque de mutations dangereuses.
A présent, il s’agit de descendre en âge, par paliers. Moderna entame ainsi des tests cliniques chez les enfants de 6 mois à 11 ans. Le fabricant a commencé à recruter 6 750 petits « volontaires » aux Etats-Unis et au Canada. Les premières doses ont déjà été administrées. Le but: évaluer la sécurité, la tolérance, la quantité d’injections nécessaires, leur efficacité et leurs effets secondaires. De son côté, Pfizer teste son vaccin pédiatrique sur un groupe âgé de 5 à 11 ans et une cohorte plus jeune d’enfants de 2 à 5 ans et de 6 mois à 2 ans est aussi incluse dans son étude. AstraZeneca et Oxford ne sont pas en reste. Le laboratoire anglo-suédois et l’université britannique ont lancé, en février dernier, une étude sur 300 volontaires âgés de 6 à 17 ans. Enfin, Johnson & Johnson étudie également l’efficacité et la tolérance de son vaccin monodose chez les mineurs.
En Israël et aux Etats-Unis, on envisage de commencer à vacciner les enfants à la fin de l’été. Au Royaume-Uni, on évoque l’automne prochain. Ces pays peuvent, en effet, espérer avoir alors immunisé une grande partie des adultes. Pour les pays de l’UE, la population la plus jeune reste une cible lointaine. Mais est-ce seulement raisonnable? « Les enfants et les adolescents sont peu affectés par une forme grave de la Covid-19, même pour ceux atteints de pathologies chroniques », admet Niko Speybroeck, épidémiologiste et professeur à la faculté de santé publique de l’UCLouvain. L’Institut de santé publique Sciensano a rendu plusieurs avis en ce sens: en Belgique, il y a eu quatre morts chez les moins de 20 ans et les enfants sont très peu représentés au sein des patients hospitalisés pour la Covid-19 (1,6% durant la première vague). « Chez eux, la Covid-19 est le plus souvent asymptomatique« , poursuit le scientifique. Or, on sait que le caractère asymptomatique de l’infection réduit la contagiosité de 50% à 80%. « Mais cela ne veut pas dire qu’ils échappent totalement à la maladie. Ils peuvent aussi transmettre le virus et augmenter le risque de mutations dangereuses. La vaccination pourrait tout de même leur être bénéfique. » Bénéfique parce que les vacciner, avec des produits sûrs et efficaces, pourrait leur apporter des avantages directs.
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Le deuxième gain direct de la vaccination tient à un retour possible à une vie quotidienne normale pour les plus jeunes. Même si les écoles ne semblent pas constituer des amplificateurs de transmission, la vaccination des élèves (comme celle des enseignants, le plus souvent à l’origine des clusters) permettrait de revenir plus rapidement à une scolarité normale. Un enjeu crucial pour les jeunes issus de milieux défavorisés, qui ne disposent souvent ni du matériel ni du soutien éducatif nécessaires pour suivre les cours à distance dans de bonnes conditions. Dans leur énième carte blanche, datée du 19 avril, la task force pédiatrique, rejointe par un collectif de pédiatres, sonnait l’alarme et épinglait le « rôle primordial que jouent les écoles dans la santé biopsychosociale » des jeunes.
Satanés variants!
En réalité, aujourd’hui, ce sont surtout les bénéfices indirects que la société pourrait tirer d’une vaccination des enfants et des adolescents. Au début de la pandémie, les épidémiologistes avaient estimé qu’une immunisation de 60% à 70% de la population suffirait à empêcher la circulation du virus. Ce taux se base notamment sur la contagiosité du virus. Or, avec l’apparition de variants nettement plus contagieux, à l’instar du mutant britannique, le seuil a sensiblement grimpé. Dès janvier, nombre d’experts le situaient entre 80% et 85% et Charlotte Martin, virologue et cheffe de clinique au CHU Saint-Pierre, rappelait dans Le Vif que « pour la diphtérie, c’est 85% ; pour la rougeole, la barre est beaucoup plus élevée, soit 94% ».
« Les moins de 18 ans constituent à peu près 20% de la population belge, poursuit Niko Speybroeck. Faites le compte: il faudrait vacciner 100% des adultes! » Un chiffre peu probable dans le cadre d’une vaccination volontaire, voire franchement illusoire. D’abord, parce qu’être vacciné ne signifie pas être immunisé (aucun vaccin n’est efficace à 100%). Ensuite parce que les hésitants et les antivax risquent de retarder l’immunité collective. Selon les dernières données fournies par l’Université de Gand, l’UCLouvain et l’ULB, livrées le 31 mars, un peu moins de sept Belges sur dix ont exprimé l’intention de se faire vacciner.
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Bref, vacciner les plus jeunes présente un levier d’action potentiel pour augmenter la couverture vaccinale. Tous? Oui, estime l’épidémiologiste. Une analyse que conteste Yves Van Laethem, infectiologue au CHU Saint-Pierre et porte-parole interfédéral. « Peut-être pas en dessous de 10, voire 12 ans, évalue-t-il. Contrairement à la grippe, les enfants ne sont pas le réservoir de cette infection virale, ce sont plutôt les adultes qui la transmettent aux enfants et donc, il est tout à fait possible que ce virus devienne un virus saisonnier, et que les enfants s’infectent assez précocement dans la vie, et qu’ils développent ensuite une immunité qui permettra à ce virus de moins circuler. »
Satanés variants! Ils ont assombri l’année 2021, nourri la troisième vague et relevé le seuil de l’immunité collective. Surtout, ils menacent les campagnes de vaccination actuelles. Car le principal moteur de leur apparition est la circulation du virus. Plus il se réplique, plus le hasard risque de donner naissance à un vilain mutant. « Il faut impérativement diminuer la circulation. Dès lors, les adolescents âgés de plus de 12 deviennent une cible légitime, un âge à partir duquel ils semblent vraiment plus contagieux », estime Jean Ruelle, virologue et chercheur à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain. Qui précise qu’il manque cependant encore quelques données pour trancher définitivement. Ainsi, s’assurer que les vaccins protègent bien contre la transmission. Les dernières données vont dans ce sens, mais elles ne sont pas définitives.
Reste alors à convaincre les familles, les parents. Dans les pays anglo-saxons, où l’on vaccine déjà les enfants contre la grippe, afin de protéger leurs grands-parents, cela ne devrait pas poser trop de problèmes. Chez nous, où l’on est moins habitué à la vaccination indirecte, cela risque d’être moins évident. « Si on vaccine les enfants, c’est surtout pour empêcher le virus de circuler, c’est un acte altruiste, solidaire et un choix sociétal », conclut l’épidémiologiste Niko Speybroeck. Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a soumis la question au Conseil supérieur de la Santé (CSS), qui, pour l’heure, n’a pas encore émis d’avis.
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