gènes cancer
Les travaux de l’équipe de l’ULB permettront de faire avancer la recherche pour le développement de nouveaux traitements médicaux. © BELGA

Une découverte belge sur nos gènes pourrait révolutionner les traitements contre le cancer

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Contre le cancer, les traitements combinés sont souvent ceux qui donnent les meilleurs résultats tout en limitant les effets secondaires. Des chercheurs de l’ULB ont découvert un nouveau mécanisme permettant de réguler le fonctionnement des gènes et susceptible, à terme, d’agir sur les cellules malades des patients. Une découverte capitale pour le développement de futurs médicaments.

La recherche en épigénétique (science qui étudie l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes) avance à grands pas. Une équipe de chercheurs, emmenés par François Fuks, directeur du Laboratoire d’Epigénétique du Cancer (ULB) publie dans la prestigieuse revue scientifique Cell une découverte capitale en biologie qui ouvre la voie au développement de nouveaux traitements ciblés pour les patients atteints de cancer.

Au cours de leurs recherches, les scientifiques ont découvert un nouveau mécanisme qui, en combinant l’épigénétique de l’ADN et de l’ARN, permet une régulation précise des gènes.  L’ADN et l’ARN sont deux molécules clefs de la vie, deux éléments essentiels au fonctionnement des cellules. Ils sont d’ailleurs très proches chimiquement. L’ADN se compose d’un double brin de paires de nucléotides, tandis que l’ARN se compose généralement d’un seul brin.  Dans la cellule, l’ARN est produit par transcription à partir d’un segment d’ADN situé dans le noyau et dont il est une copie.

Fonctions complémentaires

Nos gènes contiennent toutes les instructions nécessaires pour faire fonctionner notre corps, mais leur expression doit être finement régulée pour garantir que chaque cellule réalise son rôle de manière optimale. C’est là qu’intervient l’épigénétique de l’ADN et de l’ARN: une série de mécanismes qui agissent comme des «marqueurs» sur les gènes, pour contrôler leur activité, sans modifier la séquence d’ADN ou d’ARN elle-même.

Jusqu’à présent, l’épigénétique de l’ADN et celle de l’ARN étaient étudiés comme des systèmes indépendants. Ces deux mécanismes semblaient fonctionner séparément, chacune jouant son rôle dans des étapes distinctes de la régulation des gènes. Mais les travaux publiés dans Cell révèlent que l’épigénétique de l’ADN et de l’ARN pourraient être plus interconnectés que ce qui était apparu jusqu’ici. Les deux molécules forment en réalité un système de régulation complémentaire des gènes.

Comment ce système fonctionne-t-il? La méthylation de l’ADN, autrement dit sa modification chimique, fait l’objet d’un premier étiquetage (5mC), tandis que la modification de l’ARN fait l’objet d’un second (m6A).

«Jusqu’ici, ces deux étiquetages étaient considérés comme deux voies distinctes. Nous savions qu’un mécanisme de régulation se produisait de chaque côté, que le gène était soit régulé par 5mC, soit par m6A, mais nous n’avions pas conscience qu’il existait un lien entre ces deux étiquetages, donc entre l’épigénétique de l’ADN et de l’ARN», développe François Fuks.

L’étude montre que lorsque ces deux marqueurs sont ajoutés conjointement sur un gène, ils permettent une activation plus efficace de ce dernier. En revanche, si l’un de ces processus ne fonctionne pas correctement, l’activité du gène diminue. Et des processus biologiques essentiels s’en trouve ainsi altéré.

Modifier l’étiquette

Ce système de régulation peut être comparé à des signaux routiers garantissant la bonne circulation des gènes. Un premier signal binaire (feu rouge ou vert) donne à l’ADN une information, en l’occurrence celle de s’exprimer ou non en tant que cellule neuronale ou musculaire, par exemple. Un autre signal (une flèche indiquant par exemple de tourner à droite) portant également sur la spécialisation de la cellule est adressé à l’ARN. Elle donne une information sur la direction qu’il doit prendre pour bien assurer sa fonction. «Ces deux types d’étiquetage permettent au gène de s’activer ou non, de se trouver sa spécialisation et d’aller vers la bonne cellule. C’est cette forme de collaboration, ce mariage entre les deux molécules, qui permet une régulation précise de l’action des gènes».

L’équipe de chercheurs de l’ULB a par ailleurs démontré que ce mécanisme est particulièrement important dans des étapes clés comme le développement des cellules ou leur spécialisation en différents types, par exemple dans le cadre des cellules souches embryonnaires.

Comment cette découverte sur le mécanisme de régulation de l’activité des gènes peut-elle favoriser le fonctionnement harmonieux des cellules ?  «En utilisant certaines techniques, il est possible de manipuler ces étiquettes et de marquer différemment la cellule de manière à obtenir une activation plus correcte du gène». En modifiant l’étiquetage, il est donc possible de changer la combinaison de l’ADN/ARN et de veiller à ce que le gène s’exprime bien de manière appropriée.

L’ADN et l’ARN ont des fonctionnements très semblables. Or, tous deux sont impliqués dans le développement des cancers.

«On sait aujourd’hui que le cancer est à la fois lié à une altération épigénétique de l’ADN et de l’ARN. Les traitements reposent de plus en plus sur une combinaison de différentes thérapies, notamment la chimiothérapie et l’immunothérapie. Le développement de nouvelles thérapies épigénétiques permettrait de cibler à la fois l’épigénétique de l’ADN et de l’ARN, en modifiant ces feux de signalisation devenus dysfonctionnels dans le cancer pour que les cellules se développent à nouveau harmonieusement. Des médicaments permettant de modifier l’étiquetage 5mC (modification de l’ADN) existent déjà et sont utilisés dans les traitements de première ligne, notamment pour les cancers du sang. Mais pour l’étiquetage m6A (modification de l’ARN), les essais cliniques n’en sont qu’à leurs débuts. L’objectif est de pouvoir combiner les deux médicaments épigénétiques pour restaurer l’équilibre dans les cellules malades chez les patients atteints de cancer. Et notre étude permettra de guider la recherche dans le développement de ces nouveaux traitements».

«C’est cette forme de collaboration, ce mariage entre les deux molécules, qui permet une régulation précise de l’action des gènes»

François Fuks

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