«Un parcours délétère» : la fibromyalgie, cette maladie «invisible» aux douleurs bien réelles
Des douleurs chroniques, mais pas de lésion visible: la fibromyalgie touche 2% à 4% de la population mondiale. Pourtant, elle semble toujours aussi difficile à diagnostiquer. Symptômes, causes, traitement: Le Vif fait le point sur cette maladie.
Qu’est-ce que la fibromyalgie (FM) ?
La fibromyalgie est une une maladie chronique reconnue par l’OMS, caractérisée par des douleurs généralisées au niveau de l’appareil locomoteur, mais aussi un syndrome polyalgique idiopathique diffus.
Pourquoi fibromyalgie ? Le terme fait référence à trois racines :
- « Fibro », pour tissus fibreux, comme les tendons et les ligaments.
- « My » pour les muscles.
- « Algie » pour la douleur.
Malgré des douleurs musculaires chroniques, aucune lésion n’est visible dans les muscles. Il s’agirait plutôt d’une association de facteurs liés à un dysfonctionnement du système nerveux central, à des troubles hormonaux et à une déficience dans le système de perception de la douleur. Des facteurs génétiques pourraient également entrer en jeu, de même que des facteurs environnementaux : un évènement traumatisant physique ou moral (accident, deuil, agression…), un agent infectieux (maladie de Lyme, hépatite B ou C) ou encore une accumulation de stress physiques ou psychologiques répétitifs.
Symptômes : comment déceler une fibromyalgie ?
Les symptômes de la fibromyalgie peuvent être associés à d’autres maladies : c’est en partie ce qui la rend si complexe à identifier. Elle est à l’origine de nombreux désagréments pour ceux en souffrent.
La fibromyalgie peut se présenter à des degrés divers, on peut en être légèrement comme très sévèrement atteint. Elle affecte principalement les tissus mous du corps. Les douleurs chroniques sont répandues sur plusieurs endroits du corps et on note également une fatigabilité à l’effort. Les patients présentent aussi un sommeil non récupérateur et de la raideur musculaire. D’autres symptômes peuvent apparaître, mais ils ne sont pas les mêmes pour tous. Leur intensité peut également varier.
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On entend souvent parler des « 18 points de la fibromyalgie », mais c’est une catégorisation incomplète. « Le diagnostic est plus complexe que cela. Ces 18 points, ces ‘tender points’, étaient un critère de classification dans les années 1990, essentiellement conçus par des rhumatologues. Mais cela n’attire l’attention que sur la douleur, en occultant des symptômes clés comme la fatigue, les troubles du sommeil ou encore les troubles cognitifs », explique Etienne Masquelier, chef de clinique à Mont-Godinne et Coordinateur centre de douleur chronique, et professeur chargé de cours à l’UCL. Tous les patients ne présentent cependant pas tous les symptômes, « c’est pour cela qu’on dit que c’est une maladie hétérogène ».
Nadine Chard’homme, présidente de l’ASBL FOCUS fibromyalgie Belgique et infirmière spécialisée en douleur chronique clinique détaille les 4 symptômes principaux :
- Des douleurs diffuses dans tout le corps de manière intense, ou dans tout le corps avec certaines zones plus intenses. « Elles peuvent voyager et varier en intensité. Certains patients évoquent comme une sensation d’hématome généralisé, parfois des sensations de picotements, de brûlures… Ces douleurs s’aggravent par l’effort, parfois elles sont de faible intensité mais peuvent augmenter par l’humidité, le froid et par des facteurs de stress. »
- Un sommeil non récupérateur, ainsi qu’un état de fatigue général. « Cette fatigue peut aussi aggraver les douleurs. »
- La raideur. « C’est-à-dire un blocage ou des difficultés à rester dans la même position. On note aussi une lenteur dans les déplacements, présente le matin ou lors d’un changement de position. Il peut aussi être difficile de rester statique. »
- Des troubles cognitifs : perturbation de la mémoire du travail, distraction, sensation d’être dans le brouillard continu… « C’est invalidant au quotidien. »
Les autres symptômes, dits « accompagnants », varient d’une personne à l’autre. Voici une liste non-exhaustive de symptômes :
- Maux de tête
- Troubles digestifs (côlon irritable)
- Sensation d’oppression
- Engourdissement ou fourmillements dans le corps
- Sensation de gonflement
- Difficultés à se concentrer
- Etat dépressif ou anxieux
- Mains et pieds froids
- Hypersensibilité généralisée (lumière, changement de température, bruit, odeurs…)
Quelles causes ?
Ses causes sont encore incertaines. On avance néanmoins dans la compréhension, à la fois du comment et du pourquoi. Les neurosciences s’y intéressent de plus en plus et on comprend de mieux en mieux comment fonctionnent les systèmes nerveux central, périphérique et autonome.
« On a une compréhension plus globale de la fibromyalgie avec une vision biopsychosociale, les trois dimensions interagissant entre elles. Au niveau biologique, il y a de plus en plus d’éléments qui vont dans le même sens : on a un système interne qui régule le message de la douleur, et dans la fibromyalgie, le système s’opposant à la douleur ne fonctionne plus comme il devrait, ce qui fait que les stimuli externes comme la pression, le chaud, le froid ou des perceptions sensorielles comme le bruit, la lumière ou l’odorat peuvent être amplifiées », détaille Etienne Masquelier.
On ne connait pas vraiment les causes, même si différentes pistes sont envisagées. « C’est multifactoriel », confirme le professeur Masquelier. « Il pourrait y avoir, par exemple, un élément génétique, mais on doit être très prudent avec ce genre d’affirmations. On manque encore de données. »
Qui est touché par la fibromyalgie ?
En Belgique, on estime qu’une personne sur cinq souffre de douleurs chroniques en général. Pour la fibromyalgie, cela toucherait environ entre 200.000 à 300.000 patients. La maladie concernerait entre 2% à 4% de la population mondiale.
Cette pathologie chronique touche majoritairement les femmes dans toutes les tranches d’âges, mais elle est plus rare chez les jeunes. On estime qu’elle concerne environ 70% de femmes par rapport à 30% d’hommes. Des données récentes montrent que la fréquence du syndrome fibromyalgique serait peut-être en réalité plus élevée chez l’homme.
Une maladie difficile à diagnostiquer
La fibromyalgie s’accompagne de symptômes médicaux parfois inexplicables, malgré des troubles persistants. Quand les médecins ne trouvent pas l’origine de la douleur chronique et de la fatigue d’un patient, ils posent parfois ce diagnostic.
Certaines personnes doivent parfois attendre plusieurs années avant d’avoir un diagnostic de fibromyalgie. Etienne Masquelier confirme : « Parfois, on perd du temps. Trop souvent, on voit trop d’examens complémentaires. Avec les symptômes divers et sans marqueurs clinique, on peut toujours penser à autre chose, mais au final il faut que le diagnostic soit fait. »
Pour établir un diagnostic, le médecin effectue divers examens, comme une prise de sang, des radiographies, etc. afin d’écarter d’autres maladies. Si on ne trouve pas d’anomalies, notamment inflammatoires, et si les douleurs chroniques et intenses persistent pendant plusieurs mois, le diagnostic peut alors mener vers une fibromyalgie. Encore trop souvent , le diagnostic de la fibromyalgie se fait avec un trop grand retard, entre 4 à 5 ans.
Si le chemin est long, il y a des choses qui s’améliorent en médecine et en kinésithérapie, notamment. « Il y a à l’UCL un cursus en douleurs chroniques. Mais il y a encore des lacunes en Belgique. On n’étudie pas spécialement la douleur chronique non cancéreuse. C’est quand même hallucinant, car les soignants sont confrontés à la douleur quel que soit le patient et le service, et malgré ça il y a encore un manque de formation dans ce domaine », précise Mme Chard’homme.
Approche thérapeutique: le patient acteur de sa santé
La fibromyalgie est dite incurable – il n’existe aucun traitement spécifique-, même si un certain nombre de rémissions sont observées dans l’expérience clinique et la littérature. « Il n’y a aucun médicament qui va rétablir le mauvais équilibre qui existe dans le système nerveux central, donc pas de solution de guérison », confirme la présidente de FOCUS Fibromyalgie Belgique. « On peut essayer de corriger ou améliorer certains symptômes, mais on est forts limités. D’autant qu’avec le temps, certains effets indésirables aux médicaments font qu’ils sont parfois plus embêtants que les effets bénéfiques. »
Le professeur Masquelier s’intéresse notamment aux hypothèses concernant les cellules gliales. Il s’agit de cellules de soutien, qui représentent une bonne partie des cellules du système nerveux. « Les cellules gliales, en particulier la microglie et les astrocytes, semblent activées de facon anormale dans la fibromyalgie et participent à la persistance de la douleur et aux phénomènes d’allodynie (état neuro-inflammatoire ). Des médicaments à action neuroprotectrice font l’objet d’études cliniques sur la fibromyalgie et la douleur chronique en recherche clinique et sont source d’espoir pour l’avenir. »
Mais il n’existe pas de médicament ou traitement miracle. D’où l’intérêt, pour soulager les douleurs, d’avoir une bonne hygiène de vie et d’avoir une approche multiple, notamment via l’activité physique. Pour Nadine Chard’homme, c’est même le premier « traitement » : la pratique d’exercice physique adapté et la réadaptation. « Les études montrent vraiment que c’est LE traitement de choix. » La pratique d’exercices physiques, qui renforcent le tonus musculaire et améliorent l’endurance, est également indiquée pour soulager la douleur. Les exercices doivent être adaptés. La marche et le vélo sont une bonne option. Des séances de kinésithérapie peuvent également aider à maintenir en forme. Les bains et les exercices en eau chaude peuvent également soulager la douleur, ainsi que les techniques de relaxation et des exercices doux (méditation en pleine conscience, relaxation musculaire progressive, tai-chi…). C’est notamment ce qui se fait dans les centres de douleurs chroniques : « On développe diverses méthodes, en fonction de la réactivité des patients, on les accompagne et on essaie de trouver les bons fils sur lesquels tirer », confirme Mr Masquelier, qui insiste également sur l’intérêt du « pacing » et du changement de rythme dans la gestion de la vie quotidienne de ces patients .
Le long chemin vers la reconnaissance
La fibromyalgie a été officiellement reconnue en 1992 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Selon Focus Fribomyalgie Belgique, qui fêtera ses 25 ans le 18 mars 2023, le Parlement fédéral belge a voté une résolution en 2011 comprenant un plan d’actions visant à faire reconnaître ce syndrome. Des centres de la douleur chronique sont financés depuis 2009 par le Ministère de la Santé pour évaluer et traiter notamment les personnes atteintes de fibromyalgie. En mai 2015, le Parlement bruxellois vote une résolution. « Le Covid et la crise ont mis un frein à nos actions, mais on est en train de relancer tout ça. Il ne faudrait pas qu’autant de citoyens tombent dans l’oubli. »
Certains ont toujours du mal à accepter cette maladie en 2022. Il y a des sceptiques dans le monde médical lui-même, mais également au sein des compagnies d’assurances ou sur le lieu de travail des patients. Etienne Masquelier pointe une stigmatisation et une discrimination des patients atteints de douleurs chroniques, pas que de fibromyalgie d’ailleurs : « Des patients ne peuvent plus travailler, ou doivent changer de fonction ou de rythme de travail, mais l’employeur ne comprend pas toujours et n’accède pas toujours aux demandes de changements. »
Pour Nadine Chard’homme, la grande difficulté, c’est effectivement la reconnaissance du handicap car dans la fibromyalgie, il n’est pas visible. « Les médecins conseils sont un peu sensibilisés, mieux qu’avant, mais certains sont toujours convaincus que ça n’existe pas car on ne trouve aucune lésion détectable aux examens. » Un parcours du combattant que Mme Chard’homme évoque notamment dans un ouvrage, « La fibromyalgie à livre ouvert » : « Mon but était d’informer les patients parce qu’on leur dit qu’il n’y a plus rien à faire, c’est délétère ce parcours. »
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