Travail de nuit: « Entre 4 et 5 heures du matin, j’ai un coup de fatigue »
Grâce à l’essor des achats en ligne et des livraisons ultra-rapides, le travail de nuit a le vent en poupe. Les experts estiment pourtant qu’il est malsain. Mais les travailleurs de nuit n’y voient pas d’inconvénients. « Après une nuit de travail, je vais au fitness ou à la mer, sans embouteillages. »
Selon un rapport du bureau de statistique Statbel, près de 12% des Belges actifs travaillent de nuit de manière régulière ou occasionnelle. Lode Godderis, professeur en médecine du travail (KU Leuven), considère ce chiffre comme alarmant. « Bien sûr, c’est nécessaire dans certains secteurs, comme celui de la santé. Dans l’industrie aussi, il y a des machines qu’on ne peut pas arrêter la nuit. Mais si nous devons faire appel à des travailleurs de nuit pour nous assurer que nos colis sont livrés dans les 24 heures, je me pose des questions. Aux Pays-Bas, le marché est beaucoup plus libéral que chez nous, et nous constatons une augmentation énorme du travail de nuit. Il est urgent de mener un débat social à ce sujet. »
Il est en effet prouvé que le travail de nuit est nocif pour la santé. « À court terme, nous constatons que 50% à 90% des travailleurs de nuit – dépendant d’une étude à l’autre – souffrent de troubles du sommeil et de fatigue. En une semaine, ils accumulent une privation de sommeil de sept heures. De plus, une personne sur trois souffre de problèmes gastro-intestinaux, car notre corps digère moins bien la nourriture la nuit. Et puis il y a les risques à long terme : un risque accru de diabète et de maladies cardiovasculaires. En outre, l’Organisation mondiale de la santé a classé le travail de nuit comme « probablement cancérigène », mais il n’existe pas encore de consensus à ce sujet. Cependant, il est clair que mieux vaut ne pas travailler de nuit durant toute une carrière, car cela augmenterait les risques ». Pour ceux qui le font, Godderis a encore quelques conseils. « Une petite sieste réparatrice entre deux et trois heures du matin peut faire des miracles. Et portez également des lunettes de soleil lorsque vous rentrez chez vous : moins vous avez de soleil, plus vous avez de chances de bien dormir. »
YASMINE VEREECKE (26 ans) – Ouvrière chez Volvo Car Gand
« Au début, je travaillais en équipe, mais le travail de nuit me convient mieux. J’ai toujours été un oiseau de nuit. Tous les matins, je rentre à la maison à six heures et je vais directement me coucher. Je me réveille vers midi et demi, mais je me sens reposé. Plusieurs fois par semaine, je me rends au fitness et un samedi sur deux, je travaille dans une friterie pour arrondir mes fins de mois. Le vendredi, nous allons même parfois boire un verre avec nos collègues après le boulot. Au niveau de l’énergie, tout va bien. »
« Mon compagnon travaille aussi de nuit chez Volvo, ce qui nous permet d’économiser pour acheter une maison. Et la journée nous sommes toujours ensemble. En hiver, il est parfois difficile de ne pas rester dans son canapé toute la journée en mangeant des sucreries. En été, nous allons parfois à la mer, sans embouteillages. Cependant, je me rends compte que ce sera différent quand on aura des enfants. L’un de nous devra peut-être abandonner le travail de nuit. »
« L’atmosphère au boulot est plus détendue la nuit. Il y a moins de patrons. Et les travailleurs de nuit sont un peu plus décontractés et plus joyeux. Dans mon département, il y a environ cinq femmes, contre une centaine d’hommes. Nous devons être assertives parce qu’il y a une culture machiste. Mais il y a une bonne ambiance. Du coup, le temps passe plus vite. »
KRIS SWAEGERS (59 ans) – Veilleur de nuit au musée royal des Beaux-Arts d’Anvers
« Je travaille pour le musée depuis dix ans. D’abord la journée, jusqu’à ce qu’un veilleur de nuit prenne sa retraite en 2016. À l’époque, j’ai travaillé en équipe dans une entreprise métallurgique, donc je connaissais les avantages et les inconvénients. C’est surtout le salaire qui m’a attiré : pour le travail de nuit, on a droit à un sérieux bonus. »
« Je travaille toujours douze heures d’affilée: de 19 heures à 7 heures. L’avantage, c’est qu’en commençant vous êtes encore assez alerte. Mais ce n’est pas à sous-estimer : le matin, j’ai du mal à me concentrer. Et après une nuit de travail, je ne dors que 5 à 6 heures. Heureusement, après une série de nuits, nous avons toujours des jours de récupération qui sont nécessaires pour retrouver son biorythme. »
Entre mes rondes, je m’installe généralement dans la salle de contrôle. Mais quand l’alarme se déclenche, je me dépêche d’aller dans la salle, avec une lampe de poche. C’est parfois exaltant. Mais je n’ai jamais vraiment peur. En ce moment, le musée est en rénovation, de sorte que de temps en temps, des fêtards ivres tentent de grimper par-dessus la clôture. Et quand il y avait encore une grue, il y avait parfois des casse-cou qui y montaient. C’est mortellement dangereux ».
NIELS AMANT (32 ans) – Infirmier à l’hôpital d’Alost
« Vendredi soir, je commence mon premier service de nuit, j’en fais cinq d’affilée. Viennent ensuite deux autres services au début de la journée. Ainsi, je travaille 64 heures par semaine au total. C’est dur, mais c’est un choix conscient que j’ai fait il y a cinq ans. J’avais divorcé et j’ai eu la coparentalité de nos deux enfants. Après une semaine si chargée, je suis à la maison toute une semaine, alors je peux être un père à temps plein. »
Il arrive que je sois tout seul. Parfois, c’est solitaire. Il faut tout résoudre soi-même. Ce n’est qu’en cas d’urgence extrême que je peux appeler quelqu’un de l’équipe mobile ou un médecin de garde. Ce qui est bien, c’est que je suis plus ou moins mon propre patron. Bien sûr, il y a beaucoup à faire – les patients sont éveillés beaucoup plus souvent qu’on ne le pense – mais je peux décider par moi-même comment j’organise mon travail.
« Entre quatre et cinq heures du matin, j’ai un coup de fatigue. Je dois alors boire beaucoup. Cela permet d’aller souvent aller aux toilettes, ce qui aide à rester éveillé. Vers huit heures, je suis chez moi et heureusement, je dors comme une souche. Il y a cinq ans, je pouvais dormir jusqu’à 18 heures, mais ces derniers temps, je me réveille souvent à 13 heures. Et dès que je vois de la lumière, c’est fini. »
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