Le striatum est une région clé dans le système de récompense. © Getty Images

Traiter les addictions grâce à des électrodes posées sur la tête? «Les résultats sont encourageants, mais ce n’est pas pour demain»

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Des chercheurs ont réussi à stimuler le cerveau de manière profonde, ciblée et non invasive. Une découverte qui offre de l’espoir pour les patients souffrant de pathologies neuropsychiatriques.

Pourra-t-on bientôt traiter les addictions via la stimulation cérébrale? Une équipe de recherche de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est parvenue à stimuler profondément le cerveau humain de manière non invasive, sans chirurgie ni implants. Une première mondiale. Il était déjà possible de le stimuler profondément, mais seuls des moyens invasifs étaient jusqu’à présent utilisés.

Non invasif

Cette nouvelle technique repose sur la «stimulation électrique par interférence temporelle transcrânienne» (tTIS), via des électrodes positionnées sur la tête du sujet. «Des champs électriques faibles sont appliqués à haute fréquence par deux paires d’électrodes. Appliqués simultanément, ces deux champs vont se croiser dans le cerveau, explique l’auteur de l’article et postdoctorant Pierre Vassiliadis (EPFL et Institut de neuroscience de l’UCLouvain). A cet endroit, il peut se passer une interférence temporelle s’il y a une petite différence de fréquence. Par exemple, 2000 hertz dans l’une et 2080 dans l’autre. En positionnant les électrodes de façon spécifique, cette interférence peut se produire dans une zone profonde et ciblée du cerveau.» Une précision qui est néanmoins plus de l’ordre de centimètres que de millimètres, précise-t-il.

Si la technique est novatrice, c’est surtout en raison de son aspect complètement non invasif. «A l’heure actuelle, les techniques non invasives ciblent principalement le cortex et la majorité du champ électrique s’y focalise. Impossible donc de stimuler localement une région profonde du cerveau; ce n’était possible que par la chirurgie», explique le chercheur.

L’avantage du procédé, c’est qu’il ne présente pour l’instant pas d’effets secondaires sérieux. Globalement, 30% des participants ne sentent rien pendant la stimulation. Les autres décrivent une sensation, comme un picotement, mais faible. Parmi le peu de sujets qui la caractérisent comme forte, personne n’a souhaité arrêter l’expérience.

Striatum

La faible différence de fréquence permet de se focaliser uniquement sur une région. «Avec les techniques actuelles, en augmentant l’intensité et en induisant des champs électriques, notamment dans des zones profondes, ce qui est sur le chemin est stimulé, y compris le cortex. Avec un risque d’avoir des effets complètement indifférenciés.»

Ici, c’est le striatum qui était visé, la partie du cerveau qui régule notamment les impulsions. Et ce n’est pas anodin. Une équipe de l’Imperial College de Londres a, aussi, développé la même approche pour l’hippocampe. «Ces régions profondes sont impliquées dans de nombreuses pathologies neuropsychiatriques. Pensons notamment à la maladie d’Alzheimer ou Parkinson. Il y a aussi des altérations dans les pathologies psychiatriques comme les addictions ou la dépression.»

Le striatum est une région clé dans le système de récompense. Système qui est déficient dans toute une série de pathologies. «Notre technique fonctionne pour stimuler le striatum de façon sélective. Elle montre que, quelque part, il est possible de réduire le comportement, l’apprentissage par les récompenses. On pourrait tout à fait imaginer que, en appliquant des paramètres similaires à ceux utilisés dans l’étude, on pourrait essayer de réduire l’exagération pathologique. Mais à l’heure actuelle, ce sont des perspectives à explorer.»

De l’espoir, mais…

Des perspectives encourageantes puisqu’en Belgique, le nombre de demandes de traitement pour soigner une addiction à la cocaïne a augmenté de 2.500 en 2015 à 4.200 en 2022, selon les chiffres de l’Institut de Santé publique Sciensano. Si le nombre de patients soignés pour leur consommation d’opioïdes, et en particulier d’héroïne, a diminué, l’utilisation de substances stimulantes (comme l’ecstasy, les amphétamines et la cocaïne) a augmenté dans la population belge.

De là à offrir, in fine, un traitement pour les patients concernés? Ce n’est pas (encore) pour demain. «Actuellement, la preuve a été démontrée sur des sujets sains. Des expériences sont en cours sur des patients avec un déficit cognitif léger et d’autres traumatisés crâniens qui ont des troubles de la mémoire ou des troubles de fonctions cognitives. C’est l’objectif, mais il va falloir plus d’études démontrer l’intérêt pour ces pathologies.» Une piste à explorer pour les problématiques liées aux addictions, mais aussi pour les personnes qui souffrent d’apathie. Chez ces derniers, qui n’ont plus envie de rien, n’ont plus envie de faire le moindre effort pour obtenir des récompenses, le striatum est trop peu actif. Les scientifiques cherchent à savoir dans quelle mesure sa plasticité peut être stimulée pour améliorer leur motivation.

«On croit vraiment dans ces applications, mais ce sont des études qui prennent du temps. Pour faire un essai clinique, il faut plusieurs années. L’espoir de voir un traitement accessible à tous, ce n’est pas avant cinq à dix ansPlusieurs études vont cependant dans la bonne direction. «On est assez optimistes mais il faut confirmer à plus grande échelle, et vérifier un éventuel bénéfice clinique pour des patients. Mais cela bouge dans le champ de la stimulation cérébrale, et c’est une bonne chose.»

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