«Tournée minérale»: le roi Alcool perd peu à peu son trône
Après huit éditions de la Tournée minérale et une explosion des boissons 0,0%, la place de l’alcool au sein de la société est en train de changer. Pourtant, des experts réclament des mesures plus strictes.
La Tournée minérale, cette campagne qui invite à relever le défi de ne pas consommer d’alcool durant le mois de février, constitue pour beaucoup un point de repère annuel pour mettre fin à des habitudes «malsaines» liées à l’alcool, qui se sont insidieusement glissées dans leur routine.
Malgré l’impact positif de ces mesures préventives, notre culture reste imprégnée d’alcool: environ 80% des Belges en consomment régulièrement, 10% le font quotidiennement. Environ 15% consomment de l’alcool à un niveau potentiellement risqué. Chaque année, 2,6 millions de personnes dans le monde meurent des suites d’une consommation excessive. En Europe, 800.000 décès annuels sont directement imputables à l’alcool. Les experts en alcool et addictions estiment qu’il est nécessaire d’adopter des mesures plus structurelles. Parmi celles-ci: une augmentation des taxes, des restrictions sur la publicité, une réduction de l’accessibilité (par exemple, dans les magasins de nuit et les stations-service) et une augmentation de l’âge légal à partir duquel l’achat et la consommation sont autorisés.
Le point avec Frieda Matthys, professeure de psychiatrie (VUB).
Les huit éditions de la Tournée minérale n’ont-elles pas entraîné un changement?
La Tournée minérale est devenu un concept. Elle a créé une prise de conscience durable autour de l’alcool, y compris dans le secteur de l’Horeca, avec une large offre de boissons sans alcool. On se moque parfois des initiatives de prévention, mais grâce à des campagnes comme la Tournée minérale, la consommation d’alcool est en baisse depuis plusieurs années. Les études montrent que de nombreux participants réfléchissent à leur consommation et modifient durablement leurs habitudes en développant de nouvelles routines. Reste à savoir s’ils maintiennent ces changements après quatre ou cinq ans. J’ai tendance à penser que oui. Mais nous devons continuer à mettre ce sujet à l’agenda.
«Grâce à des campagnes comme la Tournée minérale, la consommation d’alcool est en baisse depuis plusieurs années.»
La Tournée minérale ne s’adresse pas aux personnes gravement dépendantes à long terme, pourtant un public-clé.
Cela peut être un outil précieux pour ceux qui réalisent qu’ils ne contrôlent plus leur consommation d’alcool et sont à la limite de faire face à un réel souci. On évoque parfois une grande lacune dans le traitement de la dépendance à l’alcool: seuls 8 à 10% des personnes ayant un problème suivent un traitement. Pourtant, des études montrent que de nombreuses personnes ajustent elles-mêmes leur consommation lorsqu’elles se rendent compte qu’elles sont sur une mauvaise pente. Les gens n’ont pas besoin d’un médecin ou d’un psychologue pour tout.
La demande de mesures plus strictes se fait de plus en plus entendre. Parmi celles-ci, une mise en garde contre le cancer sur les étiquettes de bouteilles de vin et les canettes de bière, à l’instar de ce qui se fait pour le tabac. Une bonne idée?
Avec le Conseil supérieur de la santé, nous travaillons actuellement sur un avis concernant les avertissements sanitaires pour l’alcool. L’objectif est de faire tourner différents messages. Montrer toujours le même message est moins efficace, car les gens finissent par ne plus le lire. Ces avertissements portent notamment sur les effets directs de l’alcool sur le sommeil et le comportement, mais nous proposons aussi un message établissant un lien direct entre la consommation d’alcool et le cancer. Un tel message pousse les gens à y réfléchir à deux fois.
Cela impliquera d’affronter le puissant lobby de l’alcool…
Lorsque l’industrie de l’alcool a appris que nous entamions une nouvelle réflexion autour des avertissements, elle a immédiatement pris les devants en lançant elle-même le slogan «l’abus d’alcool nuit à la santé», tout en suggérant que boire modérément ne présentait aucun risque. L’industrie est une grande partisane des campagnes de sensibilisation visant les personnes qui boivent de manière excessive, mais elle s’oppose fermement aux mesures structurelles de politique générale.
«Seuls 8 à 10% des personnes ayant un problème d’alcool suivent un traitement.»
Il existe désormais un consensus scientifique: il n’y a pas de limite sécuritaire pour l’alcool. Pourtant, certains organismes, comme le Vlaams Expertisecentrum voor Alcohol en andere Drugs (VAD), recommandent de ne pas dépasser dix verres standards par semaine.
Le VAD est une organisation qui cherche à influencer le comportement des gens en fournissant des informations. Elle n’a pas pour mission d’interdire quoi que ce soit. Réduire la limite des dix verres standards à zéro ne ferait que provoquer une forme de mécontentement et de résistance, et, au final, ne toucherait personne. Il est vrai que le meilleur conseil est de ne pas boire du tout, mais dans ce cas, autant dire qu’il vaut mieux ne plus conduire si l’on veut éviter tout risque d’accident. Moins on consomme d’alcool, plus le risque diminue.
Comment réduire les risques si vous consommez tout de même de l’alcool?
· Commencez la soirée avec de l’eau ou une autre boisson sans alcool. Cela remplit un peu l’estomac et réduit la sensation de soif.
· Alternez chaque verre d’alcool avec un verre d’eau. Cela aide à rester hydraté et ralentit la consommation d’alcool.
· Définissez à l’avance le nombre de verres que vous allez boire et respectez cette limite, ou fixez un maximum de verres que vous pouvez consommer par heure.
· Privilégiez des boissons à faible teneur en alcool, comme la bière plutôt que des alcools forts.
· Optez pour une petite pinte ou un demi-verre de vin au lieu d’un verre plein.
· Entourez-vous de personnes qui vous soutiennent dans votre objectif de réduire votre consommation.
· Echelonnez votre consommation dans le temps. Il vaut mieux boire un verre par jour que sept verres le samedi soir et rien le reste de la semaine.
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