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Toujours plus mal au dos: la faute aux… smartphones (interview)

Sensations de cou et de lombaires un peu «rouillés»? La chiropractrice Anneke Verbeeck aborde les douleurs dorsales et cervicales sous un jour nouveau, conseils à l’appui.

Près de 1,3 million de Belges souffrent de douleurs au cou ou au dos. Et plus de la moitié de la population sera confrontée un jour à des douleurs cervicales, et 80% à des douleurs dorsales. La faute à nos mauvaises postures et au temps, toujours plus long, passé assis?

«D’un point de vue évolutif, la posture debout, conservant les trois courbures naturelles de la colonne vertébrale, est la moins contraignante pour le dos, commente la chiropractrice Anneke Verbeeck. Or, dès l’entrée à l’école, on nous impose la station assise. Peut-être notre mécanique corporelle évoluera-t-elle au cours des prochains millénaires pour faire de cette dernière une posture naturelle, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas, et les conséquences sur le corps constatées aujourd’hui en découlent.»

La lombalgie n’est-elle pas en train d’être supplantée par le «text neck», à savoir les raideurs des cervicales causées par l’utilisation du smartphone?

Dans mon cabinet, ces deux problèmes sont tout aussi fréquents. Mais il est vrai que les jeunes, en particulier, mais aussi les adultes mettent leur colonne vertébrale à rude épreuve en raison d’un usage excessif des smartphones. Récemment, dans le tram, j’étais entourée uniquement de passagers tête penchée vers l’avant. Ce n’est pas une évolution saine. Il m’arrive aussi aujourd’hui de recevoir des patients âgés de 10 ans! Un enfant de 40 kilos ne devrait pas devoir porter plus de quatre kilos. Or, les cartables pèsent régulièrement dix kilos.

Les douleurs dorsales et cervicales ne sont pas exclusivement des problèmes physiques…

Elles n’ont pas une cause unique, en effet, elles résultent d’une combinaison de facteurs. Au fil des années, sans qu’on s’en aperçoive, nous accumulons les causes. Quand le «vase» atteint un seuil critique, il déborde et la douleur se manifeste réellement. Cette combinaison de facteurs à l’origine du débordement du vase, les fameux déclencheurs, diffère pour chaque patient.

«Il m’arrive aujourd’hui de recevoir des patients âgés de 10 ans.»

Quels sont ces déclencheurs?

L’évolution du mode de vie et la prospérité ont favorisé ces douleurs. Il s’agit clairement d’un problème sociétal: manque d’exercice, de sommeil, sédentarité, fast-foods toujours plus nombreux, surpoids, attentes élevées à l’égard de la vie, nécessité d’être toujours joignable, volonté incessante d’avancer… Nous portons littéralement les exigences de la société sur notre dos, jusqu’à ce que notre corps cède. Le stress sous-jacent à cette situation joue un rôle sur les muscles, souvent de manière inconsciente. Les conflits, les soucis financiers, la solitude, le mal-être… ne sont pas des causes associées immédiatement aux douleurs dorsales. Peu de gens savent également que la déshydratation peut provoquer ces maux, en rendant les muscles plus rigides. Beaucoup ne boivent pas assez d’eau, alors que notre corps en est composé à 60 %. Les patients déshydratés constatent une amélioration notable dès qu’ils réajustent leur consommation. Autre facteur souvent ignoré: l’hyperventilation chronique. Une respiration rapide et superficielle surcharge les muscles du cou, des épaules et de la nuque, et prive les autres muscles d’oxygène.

Les douleurs chroniques au cou et au dos sont donc plutôt un signal envoyé par le corps pour alerter d’un problème sous-jacent, plutôt qu’une véritable maladie. Est-ce vrai, également, en cas de hernie ou d’une protrusion discale?

Cinq pour cent des douleurs cervicales et dorsales ont une cause pathologique évidente, comme une hernie sévère accompagnée de lésions nerveuses, une fracture, une tumeur, de l’ostéoporose ou des problèmes intestinaux. Mais pour les 95% restants, ce sont des muscles et des articulations en souffrance qui appellent à l’attention. Une personne atteinte d’une hernie sévère avec atteinte nerveuse ne peut pas être traitée par un chiropracteur. Ces cas sont orientés immédiatement vers la médecine classique, spécialisée dans le traitement par médicaments, injections ou chirurgie. Les chirurgiens orthopédistes accomplissent des merveilles, ils peuvent faire disparaître une douleur comme par magie. Dans le cas d’une hernie légère ou d’une protrusion, un chiropracteur peut offrir un soulagement, mais ces patients devront écouter leur corps avec encore plus d’attention. Leur «vase» est endommagé et risque de déborder plus facilement.

Anneke Verbeeck regrette que la société ait perdu le contact avec le corps et ignore ses signaux au profit d’autres priorités. © DR

La hernie est-elle donc parfois surestimée?

Non, une hernie aiguë est extrêmement douloureuse. Cependant, une hernie découverte par hasard est souvent considérée à tort comme la source des douleurs. De nombreuses lésions des disques intervertébraux observées à l’imagerie médicale sont en réalité des phénomènes normaux du vieillissement et n’expliquent en rien la douleur dorsale. Une étude menée en 2015 auprès de 3.110 patients a montré que 30% des personnes de 20 ans avaient une protrusion discale sans symptômes, 84% des octogénaires en présentaient également et entre 20% et 43% du panel avaient effectivement une hernie, sans aucune douleur.

«Nous portons littéralement les exigences de la société sur notre dos.»

Pourquoi la douleur finit-elle par devenir chronique, même si le problème sous-jacent est résolu?

En cas de douleur, le corps produit des substances qui, via les nerfs, envoient au cerveau le signal qu’un danger est présent. Si la douleur est ignorée pendant longtemps, ces substances de signalisation s’accumulent. Et plus on utilise les voies nerveuses de la douleur, plus elles se renforcent, rendant l’apaisement difficile. La douleur chronique est étroitement liée à la douleur fantôme. Les nerfs continuent d’envoyer des signaux au cerveau alors qu’il n’y a plus de source de douleur. Il devient alors nécessaire de «reprogrammer» l’ensemble du système nerveux. Dans le cas de la douleur fantôme, cela signifie, par exemple, se tenir devant un miroir pour montrer littéralement au cerveau que le membre n’est plus là et ne peut donc plus ressentir de douleur. Pour les douleurs lombaires, il s’agit de montrer au cerveau que le mouvement est possible et qu’il est sans danger. La démarche demande de la patience et de la persévérance.

Quelle est la meilleure astuce contre l’arthrose?

En cas de douleurs aiguës ou si le patient a du mal à s’endormir à cause de la douleur, les analgésiques sont indiqués, car le repos est essentiel pour la récupération. Cependant, il existe peu de médicaments efficaces contre les douleurs musculaires. Pour détendre les muscles, il faut surtout de l’oxygène, de la chaleur, de l’attention et des mouvements doux. Je ne suis pas partisane des analgésiques. Le corps indique lorsqu’il est temps de stopper ce qu’on fait. Malheureusement, nous avons perdu le contact avec notre corps et nous ignorons ses signaux au profit d’autres priorités.

Comment traiter l’arthrose de la colonne vertébrale qui apparaît avec l’âge?

L’arthrose commence à se développer dès 40 ans. Le corps crée du tissu osseux supplémentaire aux endroits les plus sollicités. Il est essentiel de se lever régulièrement. Et de faire bouger en douceur les articulations déjà touchées pour éviter que le nouvel os n’immobilise complètement l’articulation. La règle d’or est: «Le repos rouille, l’excès nuit.» Mais le meilleur conseil est de déménager dans un pays chaud.

Vraiment? N’est-ce pas un mythe, le mauvais temps qui affecte les articulations?

Certes, cela n’a pas été prouvé scientifiquement, mais lorsque le temps devient pluvieux, je constate une augmentation significative de patients dans mon cabinet, en particulier ceux dont une articulation est inflammée. Celle-ci contient davantage de liquide, qui se dilate en cas de baisse de la pression atmosphérique et exerce une pression accrue sur les structures environnantes. Il est frappant de voir combien de personnes assurent voir disparaître leur douleur dès qu’elles posent le pied en Espagne. Ça ne s’explique pas uniquement par la détente.

Les chiropracteurs n’ont pas toujours bonne presse, en raison, notamment, de leur surnom peu flatteur de «craqueurs».

Bien que nous soyons très bien formés, des histoires circulent. La chiropraxie se situe dans une zone grise. Heureusement, lorsque les médecins comprennent ce que nous faisons, la confiance s’installe. La pratique consiste à écouter l’ensemble de l’histoire du patient et à examiner le système nerveux pour détecter d’éventuels dommages, puis nous recherchons les limitations de mouvement des articulations et relâchons les muscles environnants. Nous redonnons de la mobilité aux articulations par un mouvement d’étirement rapide, accompagné, parfois, du fameux craquement dû à l’échappement de bulles de gaz du liquide synovial entre les articulations.

Quelle est la différence avec un ostéopathe?

Un bon ostéopathe est aussi précieux qu’un bon chiropracteur. Les ostéopathes traitent les problèmes en se concentrant sur la circulation sanguine et manipulent également les organes. Le problème avec l’ostéopathie est qu’il existe de grandes disparités entre les praticiens. Certains font un travail similaire à celui des chiropracteurs, tandis que d’autres ne pratiquent que l’imposition des mains. En tant que profane, il est difficile de savoir à qui s’adresser. Comme la profession de chiropracteur n’est pas non plus reconnue en Belgique, n’importe qui peut se revendiquer «chiropracteur» sans avoir suivi la formation universitaire de cinq ans ni la formation continue annuelle. Ces personnes nuisent à notre métier. Il est urgent que la profession soit reconnue et protégée.

Pourquoi la chiropraxie n’obtient-elle pas cette reconnaissance? Selon les directives, seules l’exercice physique et la thérapie cognitive comportementale sont des traitements fondés sur des preuves pour les douleurs chroniques au cou et au dos.

Le principal problème est que 95% des douleurs chroniques non spécifiques sont regroupées sans distinction, sans tenir compte de la diversité des déclencheurs. Par ailleurs, la diversité des patients rend compliquée la mise en place d’études contrôlées et randomisées pour prouver l’efficacité de la chiropraxie. L’exercice physique et la thérapie cognitive comportementale –adapter l’état d’esprit face à la douleur– sont des interventions dont nous savons qu’elles agissent sur divers déclencheurs. Cependant, il y a bien d’autres éléments qui, selon mon expérience, aident en cas de douleurs cervicales et dorsales, mais que nous ne pouvons prouver.

On accorde souvent une importance excessive au renforcement de la ceinture abdominale.

Quel type d’exercice est le plus bénéfique pour un dos en bonne santé?

L’entraînement de la stabilité du tronc est excellent pour prévenir les douleurs dorsales, mais il faut éviter les sit-up, à savoir les exercices de redressement assis de renforcement abdominal. Chez beaucoup de gens, les muscles abdominaux profonds ne sont pas assez forts ou se fatiguent rapidement, ce qui pousse le muscle psoas à prendre le relais. Ce muscle fléchisseur de la hanche, qui s’attache dans le bas du dos sous les côtes, peut, en cas de surmenage, tirer sur le dos. Pour ceux qui souffrent de douleurs aiguës au dos, je recommande plutôt des exercices abdominaux plus doux comme le pont ou le Pilates 100. Les cours intensifs en groupe dans les centres de fitness sont aussi à proscrire. Les mouvements réguliers et doux sont à privilégier. Une demi-heure de marche, de vélo ou de natation par jour est idéale.

Un dernier conseil pour soutenir la colonne vertébrale?

En cas de hernie, je recommande de ne pas se pencher en avant pour enfiler ses chaussettes le matin. Comme les disques intervertébraux absorbent de l’humidité durant la nuit, ils sont plus épais le matin. C’est la raison pour laquelle nous sommes environ deux centimètres plus grands le matin que le soir. Lorsqu’un disque intervertébral endommagé est gonflé, le risque de blessure est accru. Pour prévenir les douleurs, mon conseil est de bouger au moins une demi-heure par jour, d’utiliser un bureau debout et, surtout, de réapprendre à écouter son cou et son dos. Notre corps a besoin d’être entendu.

6 conseils à suivre au quotidien

• Assis, ne pas croiser les jambes, toujours les garder parallèles.

• Retirer le portefeuille de sa poche arrière lorsqu’on s’assoit. Celui-ci peut irriter le muscle piriforme et le nerf sciatique sous-jacent.

• Agrandir la taille de la police de caractères des documents sur PC pour éviter d’avancer le menton en regardant l’écran.

• Varier ses postures de travail: une heure sur un ballon, une heure debout, une heure sur une chaise.

• Eviter les mouvements de rotation en entrant et en sortant de la voiture.

• Faire des exercices abdominaux doux.

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