La gouttière transparente amovible, semblable à un protège-dents de sportif, est très populaire. © getty images

Toujours plus d’adultes chez l’orthodontiste: la faute aux selfies et… au Covid

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les adultes sont de plus en plus nombreux à recourir à l’orthodontie. Parce qu’ils n’ont pu en bénéficier enfant mais aussi parce que les problèmes d’alignement des dents peuvent apparaître sur le tard.

Ce sont des chiffres étonnants qui, d’ailleurs, demeurent en constante augmentation. En 2017, plus de la moitié des adolescents (55%) avaient entamé ou terminé un traitement orthodontique. Les données de l’Inami indiquent également une hausse chez les enfants de moins de 9 ans. Ainsi dans la classe de Gilles, 13 ans, plus de la moitié des 24 élèves portent un appareil dentaire… Si le nombre de jeunes qui consultent un orthodontiste croît, c’est parce que leurs mâchoires subissent les évolutions sociétales. Il y a d’abord notre mastication, devenue obsolète et qui n’a plus rien à voir avec celle des origines. Les modes alimentaires ont évolué, d’une nourriture crue ou peu cuite, arrachée à pleines dents, à des aliments mous, onctueux et (très) cuits. Or, ce type d’alimentation, dès les premières années, ne permet pas à la mâchoire de se développer, de se former en s’étirant et en se modelant et, enfin, d’accueillir toutes les futures dents. D’où cette observation: au cours de cette transformation alimentaire, les mâchoires se sont rétrécies.

Il y a un tas de précautions à prendre. Il ne faut pas déplacer les dents n’importe comment.

Autre facteur, occasionnant par ailleurs quelques frictions entre les parents et les professionnels de l’orthodontie: la tétine, le pouce ou encore le biberon, que les tout-petits tètent tardivement, jusqu’à 5, 6, voire 8 ans. A terme, ces enfants présentent un palais plus étroit, plus creux, et une mâchoire pas assez large. Ce qui engendre forcément une mauvaise position des dents et des incisives beaucoup trop avancées. Un quart des patients traités par les orthodontistes sont ainsi des anciens «suceurs tardifs».

L’ennui, c’est qu’une mâchoire ou un palais trop petit, notamment pour accueillir les dents adultes, incite à respirer par la bouche. Cette respiration entraînera à son tour un mauvais développement des mâchoires et d’autres troubles, comme les apnées du sommeil, qui peuvent se manifester dès l’enfance. «En élargissant le maxillaire, l’orthodontiste élargira les fosses nasales, ce qui permettra à l’air de mieux circuler par le nez, explique la docteure An Van Olmen. Au-delà de l’esthétique, l’orthodontie est d’abord un traitement médical. Elle consiste à assurer l’optimisation des fonctions de la bouche que sont la mastication, la déglutition, la phonation et l’élocution.»

Moins de caries

Autre avantage d’un traitement orthodontique: des dents alignées sont plus faciles à brosser, ce qui diminue le risque de caries. A long terme, cela contribue à la protection des gencives et donc prévient le risque de déchaussement dentaire.

A Bruxelles et en Wallonie, les orthodontistes interviennent de plus en plus tôt pour éviter des traitements plus lourds par la suite. Les médecins interrogés sont unanimes: il faut intervenir précocement. Porter un appareil durant l’enfance dispense-t-il d’en porter un autre à l’adolescence? Pas à coup sûr. «Si, plus jeune, on a corrigé la mauvaise position dentaire, on devra peut-être travailler uniquement sur l’alignement, poursuit la spécialiste. Un traitement précoce est un bon moyen d’éviter des traitements longs et sévères à l’adolescence ou à l’âge adulte.»

Si les patients sont appareillés de plus en plus jeunes, les adultes sont toujours plus nombreux à se rendre «chez l’ortho». Aux Mutualités libres, chez les plus de 21 ans, la hausse était de 10% entre 2013 et 2017, soit de 7% à 17%. Même constat chez Solidaris: de 9% en 2016 à 13% en 2019. Aucune donnée, en revanche, sur les motifs de traitement. Passer chez l’orthodontiste n’est plus rare ni honteux à l’âge adulte. Il y a quelques années, Caroline s’est lancée dans ce parcours médical. Sa frustration était d’autant plus grande qu’elle avait déjà porté un appareil dentaire à l’adolescence. Elle avait 46 ans à l’époque.Elle souffrait de problèmes associés à une mâchoire mal agencée: des douleurs articulaires et un déchaussement de dents.

Il n’existe aucune statistique officielle sur le nombre d’adultes ayant recours à un traitement orthodontique, et pour cause: s’il n’a pas débuté avant 15 ans, il n’est pas pris en charge par la sécurité sociale. Mais les orthodontistes font ce constat: depuis dix ans, de plus en plus d’adultes arrivent dans leur cabinet. Ils représentent désormais un tiers des patients, jusqu’à la moitié dans certains cabinets. Ceux qui franchissent leur porte viennent pour un problème d’occlusion qui n’a pas été soigné durant l’enfance, ou pour reprendre un traitement effectué plus jeune: avec l’âge, les tissus mous et osseux de la face se modifient et les défauts des dents deviennent plus visibles.

L’orthodontie chez l’adulte n’est pas, ou juste partiellement, prise en charge par la sécurité sociale.
L’orthodontie chez l’adulte n’est pas, ou juste partiellement, prise en charge par la sécurité sociale. © getty images

Une récidive est également courante chez les personnes qui n’ont pas bénéficié de contention après leur traitement. En effet, jusqu’il y a une quinzaine d’années, on ne plaçait pas automatiquement un dispositif de consolidation (le plus souvent, des fils collés à l’arrière des incisives et des canines), nécessaire pour stabiliser la position des dents sur le long terme.

D’autres patients encore sont adressés par le kinésithérapeute ou l’ostéopathe, pour des douleurs aux articulations ou des irradiations à l’épaule ou dans le dos. Il arrive aussi qu’ils soient envoyés par des chirurgiens-dentistes. Ce sont des patients qui n’ont pas immédiatement remplacé des dents extraites et qui, au moment de placer un implant ou un bridge, découvrent que les dents restantes ont changé de position et qu’elles empêchent la pose d’une prothèse fonctionnelle.

Plus long, plus cher

Selon les spécialistes sondés, leur motivation officielle est la plupart du temps fonctionnelle, mais leur motivation essentielle est esthétique. Montrer ses dents est devenu un atout, mais il y a désormais des règles: des dents saines, blanches et bien alignées. Très souvent, après leur traitement, ils recourent ensuite au blanchiment.

C’est le perfectionnement des techniques invisibles au début des années 2000 qui a fait décoller l’orthodontie chez l’adulte (lire l’encadré). Totalement invisibles de l’extérieur, les bagues linguales séduisent depuis la miniaturisation des brackets (petites pièces de métal qui composent un appareil, les «plaquettes») placés sur la face interne de la dent et reliés par un arc métallique qui exerce une force permettant de déplacer les dents. La gouttière transparente est une alternative très populaire. La méthode consiste à enserrer les dents dans un sillon de plastique transparent d’un demi-millimètre d’épaisseur, à la manière d’un protège-dents pour sportifs. Amovible, il se fixe à l’aide de rivets collés aux dents.

Il y a un tas de précautions à prendre. Il ne faut pas déplacer les dents n’importe comment.

La vogue des selfies a contribué, elle aussi, à doper la demande. Enfin, le succès de l’orthodontie adulte serait un effet inattendu du Covid. A l’instar de Virginie, quadragénaire employée dans une grande banque, qui s’est décidée durant la pandémie à consulter un orthodontiste. «Le recours à la visioconférence a été un révélateur. Toute la journée, j’ai subi le décalage entre mes incisives.»

En pratique, ce n’est pas parce que le problème semble simple (deux dents qui se chevauchent, par exemple) que sa résolution l’est. Chez un adulte dont la mâchoire supérieure est bien positionnée par rapport à celle du bas, sans décalage entre les deux et sans autre problème associé (respiration et déglutition normales, pas de troubles de l’articulation temporo- mandibulaire), quelques mois suffiront généralement pour aligner ses dents. Cette situation, pour autant, est peu fréquente. «Deux dents qui se chevauchent se doublent souvent d’un décalage présentant un axe allant de la partie avant à la partie arrière, explique An Van Olmen. Toutes les dents du haut sont trop en avant pour des raisons génétiques ou à la suite de la poussée des dents de sagesse… Pour les aligner, il faudra reculer toutes les autres, parfois même en retirer.» Ce qui prend davantage de temps: deux ans en moyenne.

Mais ces appareils prescrits par les orthodontistes, remboursés en petite partie jusqu’à 15 ans et partiellement par certaines mutuelles pour les adultes, demeurent chers, très chers. Des gouttières bon marché se multiplient, souvent sur Internet. Certaines sociétés commercialisent leurs produits directement auprès des patients, en contournant les praticiens. Qui, eux, mettent en garde: ils seraient inefficaces, ou pire, dangereux. «Il y a un tas de précautions à prendre. Il ne faut pas déplacer les dents n’importe comment», prévient An Van Olmen. Pas question, par exemple, d’entamer un traitement orthodontique à un patient qui a une parodontite, le risque étant d’entraîner la perte des dents. Enfin, en fin de traitement, l’orthodontiste procède à une contention des dents pour qu’elles conservent leur nouvelle position. «Ce qui n’est pas le cas en achetant des gouttières sur Internet.»

Dans Le Vif du 22 juin, retrouvez la suite de notre série consacrée aux dents: «Le blanchiment «

Trois techniques

Les attaches en métal ou en céramique

La technique repose sur la pose de bagues collées sur la face avant des dents et dans lesquelles passe un arc métallique qui exerce des forces de manière à réaligner les dents et coordonner les mâchoires entre elles avec des élastiques. Malgré son apparence peu discrète, l’appareil reste un moyen très efficace pour les malocclusions complexes. C’est la technique utilisée chez les enfants et les adolescents, moins fragile et moins coûteuse: 750 euros en moyenne par semestre.

Aligneurs

La méthode est en plein essor car plus discrète et plus confortable, mais son coût est plus élevé (1 600 euros en moyenne par semestre). Elle consiste à porter une succession de gouttières réalisées sur mesure, chacune durant 7 à 14 jours. Il faut les garder 22 heures sur 24: on les retire juste pour manger, boire des boissons chaudes ou sucrées et se laver les dents. C’est l’appareil le plus populaire chez l’adulte. Le traitement est plus rapide, réduit de six mois.

Les bagues linguales

Invisible, puisque les bagues sont placées sur la face interne des dents, la technique et également prisée des adultes. Elle est plus compliquée à mettre en œuvre par le praticien. C’est donc la plus coûteuse: 1 700 euros par semestre. Le traitement est aussi un peu plus long mais permet de mener un travail précis.

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