Thérapie familiale: quand le fossé se creuse entre les parents et les enfants
Les jeunes qui souffrent d’anxiété, de dépression ou d’idées suicidaires sont parfois réticents à se confier à leurs parents, pourtant aimants. La thérapie familiale basée sur l’attachement s’efforcera alors de rétablir le lien de confiance entre adultes et ados.
Les conflits, les reproches qui fusent de part et d’autre, l’amertume et l’incompréhension peuvent mettre à mal la relation entre les parents et leurs grands enfants… C’est cette rupture de confiance que la thérapie familiale basée sur l’attachement (Attachment Based Family Therapy ou ABFT) cherche à réparer, afin que les parents puissent reprendre leur rôle de pourvoyeurs de soins et de soutien et que les enfants se sentent à nouveau en sécurité. Cette forme de thérapie a été développée à Philadelphie par des experts qui ont analysé des méthodes qui fonctionnent vraiment dans différents modes de psychothérapie. « L’ABFT réunit les meilleurs éléments d’approches très diverses », confirme Guy Bosmans, professeur de psychologie clinique à la KU Leuven.
Séances individuelles
Durant 3 ou 4 séances, le thérapeute travaillera séparément avec le jeune et le(s) parent(s) avant de préparer des séances communes au cours desquelles il jouera un rôle de facilitateur ou de coach. L’objectif de ces séances individuelles est avant tout de mieux comprendre d’où vient la rupture de confiance. « Nous nous mettons en quête de ces fractures avec le jeune en l’invitant à en parler, et nous le préparons à exprimer sa souffrance vis-à-vis de ses parents. En parallèle, nous organisons des séances avec ces derniers et nous nous efforçons de réactiver leur amour pour leur enfant, qui est parfois un peu enseveli sous les conflits. » Dans certaines familles, plusieurs personnes sont si profondément blessées qu’elles ne peuvent pour ainsi dire plus se voir, alors qu’elles aspirent en réalité à revenir à des relations plus harmonieuses. « L’enfant blessé a souvent beaucoup de mal à parler de son chagrin de peur d’être rejeté, tandis que les parents ont des difficultés à écouter sans vouloir immédiatement proposer des solutions. »
En dialogue
Dans un second temps, les deux parties se retrouvent pour une série de séances qui aborderont dans un esprit constructif, avec le thérapeute comme coach, ce que le jeune a ressenti dans sa relation avec ses parents, ses chagrins, ses frustrations, ses déceptions. « Au cours de ces séances conjointes, nous veillons à ce que le jeune puisse parler de ce qui le préoccupe et son ressenti dans un cadre sûr, mais aussi à ce que les parents l’écoutent vraiment, en toute ouverture. Ils apprendront peu à peu à mieux comprendre sa souffrance et à saisir comment la confiance s’est perdue – le tout sans juger, minimiser ou corriger. » Le fait de voir que ses parents prennent sa souffrance au sérieux représente, pour l’enfant, une expérience d’attachement correctrice qui va désamorcer la situation conflictuelle et tempérer du même coup les sentiments dépressifs. Il pourra partager plus facilement sa peine et ses parents pourront reprendre leur rôle de soutien. Lorsque les échanges communs sont menés de cette manière, il est possible de réparer les ruptures de confiance.
La théorie de l’attachement surestimée
L’ABFT accorde énormément d’importance aux facteurs relationnels à l’intérieur de la famille. « Ne sous-estimez pas l’importance de la famille proche, souligne le Pr Bosmans. Il est fréquent qu’un comportement difficile chez l’enfant découle d’un désir de proximité avec ses parents. Aussi grand que le fossé puisse paraître entre les deux, cela vaut toujours la peine de tenter de réparer ce lien. »
L’ABFT s’inspire beaucoup de la théorie de l’attachement. « Celle-ci a toutefois des forces et des faiblesses. Ce concept très riche est souvent interprété par chaque thérapeute à sa manière, considérant l’attachement comme ‘insécure’, comme si les rapports de l’enfant avec les personnes qui se sont occupées d’eux dans la prime enfance déterminaient irrémédiablement leur vie relationnelle future. » Une vision trop rigide, selon Guy Bosmans, qui estime que « les problèmes d’attachement peuvent être corrigés tout au long de la vie ».
De nouvelles expériences et phases de développement influencent aussi en permanence l‘attachement au parent ou pourvoyeur de soins. Un enfant n’a pas les mêmes besoins bébé, enfant ou adolescent. Ses interactions avec ses parents aussi se modifient et peuvent à tout moment buter sur des nuances ou des incompréhensions. « Une remarque pourtant bien intentionnée peut lui sembler terriblement blessante… et le problème vient parfois d’une minuscule nuance. »
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Du « pas assez bien » à la réconciliation
Le désir de plaire ou à tout le moins de donner satisfaction est profondément ancré en chacun de nous et les jeunes sont secrètement terrifiés à l’idée que leurs parents ne les trouvent « pas assez bien ». Les parents, eux, rêvent d’être de bons parents. Lorsque ces jeunes accusent leurs parents d’être responsables de tout ce qui ne va pas dans leur vie, il y a aussi en toile de fond un sentiment de culpabilité, parce qu’ils craignent de leur avoir fait du tort et donc de ne pas être assez bien. « Nous nous efforçons en permanence d’épargner des souffrances aux autres, mais un feedback systématiquement positif n’est pas toujours la meilleure solution pour éviter les conflits. Il faut sans cesse chercher un équilibre. » L’ABFT cherche à identifier et à mettre des mots sur les moments douloureux. « En tant que parent, on ne guérit pas les blessures de son enfant en s’excusant, mais en prêtant l’oreille à sa détresse et en comprenant comment il l’a vécue. Dans un second temps, vous pourrez alors lui expliquer que vos mots ont dépassé votre pensée ou que vous n’aviez pas conscience qu’ils l’avaient tant marqué, mais que vos échanges vous ont ouvert les yeux. L’enfant doit avoir le sentiment que son parent a compris pourquoi il a réagi de telle ou telle manière ou pourquoi il était tellement en colère. Cette reconnaissance est capitale. »
Si les parents cherchent à expliquer leur réaction négative en invoquant toutes sortes d’arguments (p.ex. une période difficile, des problèmes au travail, etc.), cela risque de bloquer le dialogue. « Les jeunes ne veulent pas être une charge pour leurs parents et risquent de se sentir encore plus coupables. » Pour difficiles qu’elles soient, les discussions entre parents et enfants sont toutefois très instructives pour les deux parties. « Ressentir combien on s’aime, reconnaître qu’on a blessé son enfant et lui montrer qu’on en est désolé, faire preuve d’ouverture, comprendre que les parents ont les meilleures intentions même s’ils ne sont pas parfaits… tout cela peut contribuer à rétablir les liens. »
Pour l’enfant ou le jeune, il est capital de savoir qu’il peut parler à ses parents sans qu’ils cherchent immédiatement à le corriger ou à résoudre ses problèmes.
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