Théorie de l’attachement: pourquoi les premières minutes de vie d’un bébé déterminent la qualité future des relations aux autres
La qualité de notre relation aux autres dépend du lien que nous créons dès les premières minutes de notre vie: soixante ans après qu’elle a été énoncée, la théorie de l’attachement reste valide. Aujourd’hui, elle ouvre aussi de nouvelles perspectives.
Née en 1958, « la théorie de l’attachement s’appuie sur les études d’éthologues comme Konrad Lorenz et, surtout, Harry Harlow, qui a démontré que des bébés singes privés de leur maman préféraient se tourner vers une poupée en laine plutôt que vers une poupée en fer munie d’un biberon », évoque Marie Stiévenart, titulaire d’un doctorat en sciences psychologiques à l’UCLouvain. « En parallèle, le mouvement de la psychothérapie institutionnelle s’est intéressé aux grands orphelinats, très répandus en Angleterre après la Seconde Guerre mondiale », poursuit le pédopsychiatre Emmanuel Thill. « En partant des études sur l’hospitalisme de René Spitz, John Bowlby a théorisé le concept d’attachement dans une inspiration évolutionniste« , enchaîne Marie Stiévenart.
Avec l’explosion des neurosciences, on étudie désormais les neurohormones qui peuvent empêcher l’attachement de se construire.
Que nous apprend cette théorie? « Il existe chez l’humain, de façon innée et dès les premières minutes de la vie, une série de comportements visant à retenir l’attention de la figure d’attachement, le plus souvent la mère ou le père », résume Emmanuel Thill. « L’ attachement est important pour le développement de l’enfant et influencera son adaptation sociale », enchaîne Marie Stiévenart. Encore faut-il définir qui endosse le rôle de la figure d’attachement... « Ce n’est pas seulement la mère, mais aussi le père, un coparent, une institutrice, bref toute personne qui accompagne quotidiennement l’enfant dans la régulation de ses émotions », détaille Marie Stiévenart. « Ainsi, dans d’autres cultures que la nôtre, l’enfant est élevé de façon collective dans un village, par une tribu ou un clan », ajoute Emmanuel Thill.
Des pistes, pas d’impasse
Le type de lien créé à la naissance déterminera donc la qualité des relations de l’individu jusqu’à l’âge adulte. On distingue ainsi quatre styles d’attachement, du plus sain au plus problématique. Cette conception fait peser le risque de vivre des relations compliquées en cas de premier lien « défectueux ». Heureusement, même si « beaucoup de choses se jouent dans le développement précoce, ce n’est pas irréversible: il existe des phénomènes comme la résilience et la plasticité cérébrale », rassure Marie Stiévenart. « Mais une équation demeure: plus on attend, plus l’investissement éducatif devra être important », souligne Emmanuel Thill.
Aujourd’hui, « on s’intéresse de plus en plus aux troubles complexes de certains enfants jugés difficiles, relève le pédopsychiatre en évoquant une nouvelle piste de recherche. « Avec l’explosion des neurosciences, on étudie désormais les neurohormones, comme l’ocytocine, qui peuvent empêcher l’attachement de se construire. » « On peut mesurer l’attachement chez l’enfant en bas âge, mais un no man’s land demeure en période scolaire, insiste Marie Stiévenart. En psychopathologie, on met également en perspective la construction de ce précieux lien avec d’autres variables, comme le burnout parental. » Plus de soixante ans après sa naissance, cette théorie offre ainsi de nouvelles promesses pour comprendre les relations du bébé avec son entourage et le début de la vie sociale. Elle est en outre observable dans toutes les cultures et quel que soit le regard scientifique porté.
Quatre types d’attachement
Sécure. Le plus courant. L’ enfant s’autorise à exprimer ses besoins et est capable d’explorer son environnement. Quand il est seul, il peut ré-évoquer la présence intériorisée de l’image de ses figures d’attachement.
Insécure évitant. Le petit peut donner l’impression d’être très indépendant, mais, en réalité, il n’est pas à l’aise avec l’expression de ses besoins. Dans la majorité des cas, il manifestera peu d’ émotion en cas de stress. Insécure ambivalent. Quand il est séparé de sa figure d’attachement, le bambin exprime sa détresse. Mais au moment des retrouvailles, il témoigne de la colère, voire de la violence. Très fusionnel avec ses parents, il pleure fort et est difficile à réconforter.
Insécure désorganisé. On observe un mouvement paradoxal chez ces enfants qui semblent portés par une pulsion de vie, mais considèrent la figure d’attachement comme une source de stress. Particulièrement « abîmés » par des traumatismes, de la violence ou une carence affective, ils sont marqués par des comportements étranges, comme des mouvements de balancement ou des stéréotypies (NDLR: répétitions de gestes ou de paroles). « C’est un facteur de risque pour leur développement », prévient Marie Stiévenart. Attention toutefois: « Le but n’est pas de culpabiliser les parents », insiste Emmanuel Thill.
Par Jérôme Rombaux
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