Le Centre de prévention et de contrôle des maladies dispose d'un système d'alerte pour avertir les équipes médicales du centre d'une éventuelle épidémie. © L.Z.

Taïwan veut sa place sur la scène internationale de la santé

Laurent Zanella Journaliste

Taïwan se voit refuser l’accès aux activités de l’OMS depuis l’an dernier. Raison pour laquelle cette petite île à peine plus grande que la Belgique a invité la presse internationale, à un peu plus d’un mois de la tenue de l’Assemblée mondiale de la Santé.

L’Assemblée mondiale de la Santé (AMS), qui prendra place du 21 au 26 mai prochain, est l’organe décisionnel suprême de l’OMS. Elle se réunit généralement à Genève, en mai de chaque année. Des délégations de ses États membres y assistent. Sa principale fonction consiste à arrêter la politique de l’organisation. Elle nomme le Directeur général, contrôle la politique financière de l’organisation, et examine et approuve le projet de budget programme.

Taïwan a participé à l’AMS en tant qu’observateur de 2009 à 2016 après 38 ans d’exclusion. Une exclusion qui date de 1972 et coïncide avec l’admission du gouvernement communiste de Pékin par les Nations Unies. À partir de cet instant, l’OMS et d’autres organismes internationaux ont refusé l’adhésion de Taïwan. L’explication : la Chine ne reconnaît pas le gouvernement de Taïwan – île qu’elle considère comme sa province – où les nationalistes chinois menés par Chang Kaï-chek se sont retirés lorsque les communistes ont pris le contrôle du continent en 1949.

Depuis 2016, la République de Chine se voit à nouveau refuser l’accès aux festivités. La raison ? Elle est complexe. Quelques élements de réponse avec le Dr Chen Shih-chung, ministre taïwanais de la Santé ainsi que Hsu Pei-yung, directeur général du département des organisations internationales du ministère des affaires étrangères.

Les atouts taïwanais

« Nous espérons sincèrement pouvoir participer à la prochaine AMS », explique Chen Shih-chung. « Le thème principal de cette assemblée est la couverture universelle en santé et Taïwan est pleinement capable de fournir son aide dans ce domaine. » L’homme est sûr de lui. Il ne sera pas le seul à nous vanter les mérites du système de santé taïwanais, parfois avec une naïveté contagieuse. Mais les faits sont là : 99,9 % de la population est couverte par le programme d’assurance santé national (National insurance health ou NIH, thème sur lequel le journal reviendra dans le prochain épisode de ce focus, ndlr). « Il s’agit d’un système sans restriction qui permet à tous les citoyens de bénéficier de soins de santé de qualité », souligne le ministre. « Plus de 85 % des Taïwanais se montrent d’ailleurs très satisfaits de notre assurance santé nationale. »

L’île a d’autres atouts dans sa manche. « Nous avons une grande expérience dans le traitement et la prévention des maladies épidémiques et pandémiques », développe le ministre qui cite l’exemple de la dengue qui, après deux ans de lutte, a été endiguée dans le pays, tandis que dans les autres pays du sud-est de l’Asie, la grippe tropicale constitue toujours une menace sérieuse. « Taïwan est capable d’endiguer de tels fléaux. Nous pouvons partager cette expertise avec d’autres. »

23 millions d’oubliés

Malgré tout, les chances de participer à la prochaine AMS sont faibles. Une non-participation constituerait une défaite pour cette île de la mer de Chine, mais aussi pour la communauté internationale. « Les maladies ne connaissent pas de frontières », appuie Hsu Pei-yung. « Taïwan joue un rôle influent dans la sécurité sanitaire internationale de par sa position clé en Asie du Sudest. Ce qui rend également Taïwan vulnérable à la transmission de certaines maladies. »

« Si Taïwan ne peut participer à l’AMS, cela sera bien sûr préjudiciable pour le pays, mais également la communauté internationale », affirme également le ministre de la Santé local. « L’OMS promeut une égalité des soins pour tous, mais exclut dans le même temps Taïwan et ses 23 millions d’habitants et va à l’encontre de ses propres valeurs. Cette participation est importante pour nous et nous permet de jouer un rôle tant dans le partage d’informations que dans l’aide d’autres pays. »

Les causes du blocage

Bien sûr, les relations avec la Chine continentale constituent la majeure partie du problème. Mais cette évidence cache une problématique bien plus complexe.

La Chine exerce maintes pressions sur Taïwan pour que l’île soit exclue de toutes les instances internationales. Cela ne se résume donc pas seulement à l’OMS mais également, par exemple, à Interpol. Son leitmotiv est clair : unifier le peuple chinois. Désormais président à vie, Xi Jinping a récemment durcit le ton, menaçant Taïwan d’une « punition de l’histoire » en cas de séparatisme.

À Taïwan, le parti démocrate progressiste a pris les rênes du pouvoir par l’entremise de Tsai Ing-wen en 2016. Depuis, les relations se sont refroidies avec la Chine, sans pour autant voir poindre un mouvement séparatiste. Les Taïwanais ne sont pas fous : ils prennent beaucoup de précautions avec l’omnipotent empereur rouge et prônent le statu quo.

Sur la scène internationale, ces tensions se traduisent par une vision pessimiste du futur. « Notre participation aux activités internationales est mise en danger par l’attitude agressive de la Chine et la passivité des autres pays », confie Hsu Pei-yung. « Mais si ces pays se réveillent et travaillent ensemble pour empêcher la Chine de devenir une autre dictature, ce sera différent, et je serais alors optimiste quant au futur. »

Malgré le poids important et grandissant de la Chine sur la scène internationale, Taïwan ne manque pas d’alliés dans sa course à la reconnaissance internationale. Des alliés, qui ne se résument d’ailleurs pas à la liste de la vingtaine de pays qui ont des relations diplomatiques officielles avec l’île (on citera, pêle-mêle, El Salvador, Haïti, le Swaziland, le Paraguay ou le Burkina Faso). Certains, plus ou moins officiellement, aspirent à ce que la République de Chine puisse jouer son rôle dans la communauté internationale. C’est le cas du Canada, des États-Unis ou du Japon, qui a un intérêt réel à voir les épidémies s’éteindre avant d’atteindre le pays du Soleil-Levant.

Des actes

Le moment est donc particulièrement critique pour Taïwan. L’OMS pourrait refuser sa participation dans le futur, ce qui impacterait les efforts fournis par le pays pour intégrer l’espace international. « Il y aura une délégation à Genève », affirme Hsu Pei-yung. « Nous rencontrerons les délégations d’autres pays pour discuter des problèmes de santé publique. Notre délégation organisera également un symposium sur la santé et l’égalité parallèlement à l’AMS pour échanger avec des experts du monde de la santé. Nous voulons participer aux affaires internationales de la santé pour montrer l’importance et la nécessité de Taïwan aux yeux de l’OMS et de l’AMS. Exclure Taïwan de l’AMS pour des raisons politiques viole non seulement la constitution de l’OMS, mais prive aussi le peuple taïwanais de ses droits. »

Finalement, dans ce débat géopolitique, c’est l’Europe qui tarde à se positionner. Pourtant, les droits de l’Homme supposent une action nécessaire de la part du vieux continent qui ne prend que trop peu part aux débats internationaux, en tout cas dans l’espace public, comparé aux pays nord-américains, à la Russie, ou encore, dans ce cas précis, au Japon.

Focus sur l’épidémie de SARS

Apparu pour la première fois en 2003, le syndrome respiratoire aigu sévère lié au coronavirus ou plus simplement syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) représente bien le risque que constitue la non-participation de Taïwan aux activités de l’OMS.

Le SARS est apparu pour la première fois en Chine en novembre 2002, et a provoqué une épidémie en mai 2003. À cause de la non-reconnaissance de Taïwan à l’OMS, les chercheurs du pays n’ont pas pu prendre connaissance de l’enquête globale qui avait lieu alors. La réponse de l’OMS aux chercheurs désirant des informations sur le syndrome à l’époque : « Adressez-vous à la République populaire de Chine qui, elle, est reconnue ». Même constat pour l’obtention de matériel émanant de l’OMS.

« Les informations émanant de l’OMS ont tardé à arriver », explique Hsu Yu-chen, épidémiologiste active au Centre de prévention et de contrôle des maladies (CDC). Les chercheurs ont alors dû se contenter de l’information présente sur le site internet de l’OMS. « Heureusement, nous avons pu compter sur l’aide du CDC américain. C’est seulement deux mois après le début de cette épidémie de SRAS que l’OMS s’est décidée à dépêcher des experts à Taïwan. C’était la première fois que cet organisme nous en fournissait en 31 ans. »

Le prix lourd

Il n’empêche que Taïwan a été dévasté par l’arrivée du SRAS. Une grande partie du personnel soignant a été infectée lors de la prise en charge des patients et, malheureusement, certains en sont morts. Plusieurs hôpitaux ont été fermés, plus de 151.000 personnes ont été mises en quarantaine à leur domicile, un avertissement aux voyageurs a été émis tandis que les écoles restaient fermées. « Nous avons payé le prix lourd pour reconnaître l’importance de la collaboration internationale face à la menace des maladies infectieuses », regrette Chen Shih-Chung.

Résultat : malgré son isolation, Taïwan a réussi à gérer efficacement cette épidémie, bien mieux que Singapour et Hong Kong par exemple. Notamment grâce au CDC qui permet de gérer en temps réel bon nombre de maladies infectieuses.

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