Surdité de l’enfant: plus qu’un problème d’audition!
En Belgique chaque année, 1 à 2 enfants sur mille naissent avec une déficience auditive, de moyenne à profonde. Leur » malentendance » ou leur surdité n’a pas qu’un effet sur le fait d’être coupé d’une partie de leur environnement sonore : les conséquences sont aussi neurologiques.
Le dépistage systématique de la surdité chez les nouveau-nés est recommandé par l’OMS, afin de limiter ses conséquences, et c’est bien ce qui est réalisé en Belgique (lire encadré). » On parle de perte auditive moyenne dès que la perte d’audition est supérieure à 40 décibels (dB). L’enfant n’entend pas toutes les consonnes. Cette confusion sonore n’inquiète pas dans l’immédiat, mais seulement lorsque l’enfant commence à parler. Sans dépistage auditif, le diagnostic n’est alors posé que vers 3-4 ans en moyenne. Par contre, grâce au dépistage, il peut être posé dès la naissance ; les premiers examens seront complétés par des tests comportementaux « , explique le Dr Chantal Ligny, Médecin-Directeur, spécialiste en réadaptation fonctionnelle au Centre Comprendre et Parler, une asbl qui vise à la réadaptation pédiatrique dans un cadre multidisciplinaire.
Communiquer avant tout
Lorsque la surdité est objectivée, différentes solutions existent et l’enfant doit bénéficier d’une prise en charge multidisciplinaire. Autrefois, l’apprentissage de la langue des signes restait la seule option pour aider les enfants sourds à communiquer. Ensuite est apparu l’appareillage auditif qui a bien progressé depuis ses débuts. Il s’accompagne d’un suivi logopédique ainsi que de différentes techniques de communication comme la lecture labiale complétée par l’utilisation d’un code (LPC ou langage parlé complété) qui permet de lever les ambiguïtés de la lecture labiale par différentes positions et configurations de la main réalisées à hauteur du visage. Les signes, empruntés à la langue des signes, sont également utilisés en fonction du degré de surdité. La langue des signes seule est généralement limitée à la communication avec des personnes qui y sont habituées : » Seuls les parents sourds qui communiquent en langue des signes l’utilisent avec leurs enfants et beaucoup d’entre eux la refusent pour leurs enfants sourds « , précise le Dr Ligny.
Si l’appareillage avec des prothèses auditives est possible pour les surdités modérées – 40 à 70 dB – ou sévères – 70 à 90 dB – il est peu performant pour les surdités plus profondes. » Vu qu’il amplifie les restes auditifs, s’ils sont de trop mauvaise qualité, par exemple parce que les cellules ciliées sont très abîmées et non fonctionnelles, les résultats seront qualitativement très limités. »
La révolution de l’implant cochléaire
Selon une étude, 60 % des enfants sourds profonds présentent des troubles vestibulaires, responsables de problèmes d’équilibre.
Aujourd’hui, l’implant cochléaire évite ce problème car il repose sur la stimulation électrique du nerf auditif. » L’implant est aujourd’hui bilatéral, c’est-à-dire posé aux deux oreilles, et intégralement remboursé « , précise le Dr Ligny. L’intervention se fait simultanément ou en deux temps : le premier implant est mis à l’âge de 9 à 12 mois, le second dans l’année qui suit. » Cette bilatéralité se justifie non seulement par la possibilité de mieux entendre, grâce à la ‘stéréophonie’ et donc de pouvoir mieux reproduire les sons pour parler, mais aussi par des effets neurologiques, insoupçonnés jusqu’il y a peu. Car la surdité, même légère, peut avoir des répercussions sur le développement social – difficultés scolaires, sociales, d’accès aux études supérieures – et physique. »
Selon une étude, 60 % des enfants sourds profonds présentent des troubles vestibulaires, responsables de problèmes d’équilibre. » De ce fait, ces enfants présentent des problèmes psychomoteurs : ils marchent tardivement (au-delà de 20 mois), s’assoient tardivement, sont comme dans un état d’ébriété permanent, en particulier lorsque leur regard passe d’un objet à l’autre (du tableau à leur feuille). » Un implant spécifique pouvant restaurer la fonction vestibulaire est actuellement à l’étude et donne de premiers résultats encourageants.
Apprentissages en jeu
Mais le bénéfice des prothèses auditives et des implants peut être plus subtil encore. Ainsi des liens ont-ils été établis entre l’audition et différentes capacités : langage, écriture, attention, schémas de pensée, ouverture au monde… » Les différentes études démontrent que de nombreuses compétences s’acquièrent avant 3 ans. Si l’enfant est privé de contacts avec le milieu sonore, cela aura des implications sur ses interactions avec le monde extérieur : par exemple, il ne peut pas anticiper la personne qui arrive et fait irruption dans ‘son monde’. Ensuite, il n’a pas accès aux différents sons de la langue et son développement du langage oral est alors compromis. On sait que le nourrisson reconnaît très précocement sa langue maternelle et que son ‘crible phonologique’ se restreint très tôt. Pour bien parler, il lui faut donc accéder à une phonologie ‘stable’ et précise. Si l’enfant sourd n’a pas pu bénéficier de ces acquis précoces durant la période ‘sensible’, il faudra tout construire par la logopédie, ce qui sera plus difficile l’âge avançant. «
Les apprentissages peuvent aussi souffrir de la surdité : » Des études ont démontré les liens entre phonologie et mémoire immédiate, la mémoire de travail qui permet de retenir des mots nouveaux, les chiffres… Par ailleurs, la phonologie va favoriser le langage oral et ensuite l’apprentissage de la lecture, mais également certains pré-requis comme l’attention visuelle, l’attention conjointe, la prise de parole, le tour de rôle… Tout cela est beaucoup plus compliqué pour les enfants sourds, n’ayant pas de ‘représentations phonologiques’. »
Accès au monde sonore
Or, les implants cochléaires permettent justement d’accéder au monde sonore et de développer ces capacités, dont le langage oral, mais le plus difficile reste encore à réaliser. Comme par exemple l’accès à des notions plus complexes sur le plan cognitif et linguistique : second degré, messages implicites, humour… » Cela se travaille en logopédie, mais reste très difficile. Néanmoins, on a constaté que l’accès à la bilatéralité précoce donne un confort d’écoute qui permet aux enfants sourds des ‘apprentissages fortuits’ susceptibles d’y aider (ils captent les conversations des autres – grands ou petits -entendent la télévision, perçoivent la musique). Peut-être que ce nouveau confort auditif permettra à cette nouvelle génération d’enfants d’accéder à ces niveaux complexes de développement linguistique. »
Le Dr Ligny est donc formelle : le choix de l’implant cochléaire doit être précoce. » Implanter un enfant de 6 ans qui n’a pas eu de stimulations sonores est inutile : il ne développera plus le langage oral, les aires neuronales de l’audition ayant été colonisées par des cellules visuelles, tactiles… qui sont venues en compensation. D’ailleurs, certains enfants qui ont un implant tardif rapportent des sensations kinesthésiques désagréables comme des fourmillements dans les bras ou les jambes lorsqu’ils entendent un son ! »
Le dépistage, concrètement
– Le test est réalisé à la maternité
– Il repose sur les auto-émissions acoustiques provoquées : une sonde est placée dans le conduit auditif et émet des « clics », le but est de tester la réponse des cellules ciliées externes au niveau de la cochlée
– Prix : max. 15 €. 5 € remboursés par la Communauté Wallonie-Bruxelles, le reste par la mutuelle.
Commentaire de la spécialiste : « Les résultats de ce test peuvent cependant être faussés par la présence de liquide (amniotique) derrière le tympan. Si les résultats sont insatisfaisants, ils nécessitent d’être répétés et confirmés par un ORL.«
Par Carine Maillard
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