Insomnies, maux de tête mais aussi douleurs et crampes musculaires font partie des reproches soulevés par l’emploi des statines. © Getty Images

Statines: ce qu’il faut savoir avant de prendre (ou d’arrêter) ces médicaments contre le cholestérol

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les médicaments contre le «mauvais cholestérol» suscitent toujours la méfiance en raison de leurs effets secondaires. La question est plutôt de savoir à quel type de patients prescrire des statines et pour quels bénéfices attendus.

S’il n’est pas en soi une maladie mais un facteur de risque parmi d’autres, le cholestérol est progressivement devenu l’un des sujets médicaux les plus controversés. Ce lipide de la famille des stérols est rendu responsable d’un très grand nombre de décès chaque année à travers le monde: près de trois millions, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Par cholestérol, on entend celui qu’on désigne souvent par les termes «mauvais cholestérol» ou LDL-cholestérol (pour low-density lipoprotein, ou lipoprotéines de faible densité), que l’on distingue du «bon cholestérol», ou HDL-cholestérol (pour high-density lipoprotein).

Quelle différence? Les deux particules, LDL et HDL, sont chargées de transporter le cholestérol mais n’ont pas tout à fait la même fonction. Les LDL apportent le cholestérol aux cellules tandis que les HDL captent le cholestérol en excès dans le sang et l’acheminent vers le foie pour qu’il puisse être éliminé par la bile.

Présent naturellement dans notre organisme et intégré à notre alimentation, le bon cholestérol (HDL) est indispensable à la synthèse de nombreuses hormones et à la structure de la membrane qui entoure les cellules. Il est fabriqué à 75% par le foie, les 25% restants sont issus de l’alimentation. Il a un effet protecteur puisqu’il réduit les risques de développer des maladies cardiovasculaires.

En revanche, le mauvais cholestérol (LDL), qui représente la majorité du cholestérol total présent dans le sang, se dépose sur la paroi des artères sous forme de plaques graisseuses, appelées «plaques d’athérome». Celles-ci vont s’épaissir au fil du temps, perdre de leur élasticité et gêner la bonne circulation sanguine: c’est l’athérosclérose. Si rien n’est fait pour diminuer le taux de LDL dans le sang, le patient s’expose à un risque plus élevé d’infarctus et d’AVC. A la naissance, un individu affiche un taux de mauvais cholestérol de l’ordre de 30 milligrammes par décilitre. A l’âge adulte, il est au moins trois fois plus élevé. Ce taux de 30 milligrammes correspond donc au taux nécessaire à l’individu pour que son organisme fonctionne correctement.

Intox et suspicions

Les effets du cholestérol sur le système cardiovasculaire sont démontrés par de nombreuses études. Ils font pourtant l’objet de discussions dans le monde médical et de croyances populaires tenaces depuis plus de quinze ans. La première a été véhiculée par le cardiologue français et spécialiste du régime méditerranéen Michel de Lorgeril, lequel affirmait dans les médias et dans Dites à votre médecin que le cholestérol est innocent, il vous soignera sans médicament (Thierry Souccar éd., 2007) que «non, le cholestérol ne bouche pas les artères» (Le Monde, 12 juin 2007). Ses prises de position ont été vertement critiquées par la Haute autorité de la santé et certains de ses confrères.

La seconde thèse, soutenue par le même médecin, est que les statines, l’une des classes de médicaments utilisés pour faire baisser le taux de cholestérol, sont inutiles dans le traitement de l’hypercholestérolémie. Une position soutenue par un autre professeur, le pneumologue Philippe Even, à travers ses ouvrages: Guide des 4.000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux (Le Cherche Midi, 2012) et La Vérité sur le cholestérol (Le Cherche Midi, 2013). Des écrits dans lesquels celui qui a été interdit d’exercer pendant un an mettait également en garde contre les conflits d’intérêts – dont on parlait assez peu à l’époque et que la crise du Covid a mis en évidence – des chercheurs qui publient des études tout en étant sous contrat avec des firmes pharmaceutiques. Selon lui, les grands laboratoires pharmaceutiques auraient tout fait pour s’enrichir grâce aux statines.

Bien des voix se sont fait entendre pour réfuter les arguments des deux médecins ou, à tout le moins, pour les nuancer fortement. Reste que leurs positions radicales ont laissé des traces et ont eu des effets directs sur la santé des patients qui ont adhéré à ces théories, déplore le Pr. Philippe van de Borne, cardiologue à l’hôpital Erasme, à Bruxelles. «Le débat ne vit plus tant dans le milieu médical aujourd’hui, poursuit-il. La recherche a progressé et de nouveaux médicaments pour faire baisser le cholestérol sont apparus. Il est cependant toujours très présent dans la population et les médias.» Selon une étude menée par le Centre de recherche en santé des populations de Bordeaux, le taux de patients concernés par les problèmes de cholestérol a grimpé de 40% dans les neuf mois qui ont suivi le début de la polémique.

88% des patients sous statines n’ont jamais eu d’accident cardiovasculaire.

Des tests permettent de comparer le risque de mourir d’un infarctus ou d’un AVC dans les dix ans, avec ou sans statines. © Getty Images

Douleurs musculaires

Les statines font partie d’une classe de médicaments, les hypolipémiants (ou hypolipidémiants) qui permettent de diminuer la quantité de lipides, dont le cholestérol, circulant dans le sang. Le principal reproche à leur égard: leurs effets secondaires. Sont principalement rapportés des douleurs ou des crampes musculaires, des troubles hépatiques et digestifs, des insomnies et des maux de tête. La pratique clinique mentionne entre 20% et 30% de patients concernés. Soit un nombre élevé. La prévalence de ces effets indésirables, surtout en ce qui concerne les douleurs musculaires, est pourtant difficile à évaluer, puisque subjective. Les études qui ont été menées sur le sujet ont en outre utilisé des outils de mesure différents.

Des chiffres alarmants que vient relativiser une étude publiée en 2021 dans Journal of the American College of Cardiology sur les «croyances» des patients qui se disent intolérants aux statines. Les résultats ont permis de mieux cerner la réalité de ces effets indésirables. Chaque participant avait reçu douze flacons de médicaments correspondant chacun à un mois de traitement: quatre contenaient 20 milligrammes d’atorvastatine, quatre un placebo et quatre des gélules vides. Il est apparu que les patients ne ressentaient plus, ou peu, de douleurs au cours des mois sans prise d’atorvastatine. Par ailleurs, les plaintes pour douleurs musculaires ou des «articulations qui craquent» étaient les mêmes pendant la période sous statines que pendant celle sous placebo. Enfin, l’arrêt du traitement pour cause d’effets secondaires n’était pas plus fréquent avec les statines qu’avec les gélules placebo. Six mois après l’essai, 50 % des participants prenaient à nouveau des statines. Des observations qui, selon les auteurs de l’étude, mettent en évidence l’effet nocebo (effet psychologique ou physiologique négatif associé à la prise d’une substance sans effet pharmacologique) induit par certaines croyances.

De là à affirmer que les statines sont totalement sans danger, il y a un pas que ne franchit pas le Pr. van de Borne: «La prise de statines à haute dose rend les patients plus résistants à l’insuline. Ça, c’est un réel effet secondaire. Si une personne est prédiabétique, elle risque en effet de devenir diabétique. Ce risque reste toutefois léger au regard de la baisse significative – 25% – du risque de faire une myocardie grâce aux statines.» Il s’agit donc de faire la balance, au cas par cas, entre les bénéfices et les désavantages du traitement.

La prudence s’impose aussi en ce qui concerne l’usage des statines comme moyen de prévention primaire ou secondaire, autrement dit selon que le patient a déjà été victime ou non d’un événement cardiovasculaire.

Dans un rapport publié en 2019, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) s’inquiète de la consommation accrue des statines dans la population. Depuis 2002, le nombre annuel d’utilisateurs belges est passé de 400.000 à 1.500.000. Chez les 40 ans et plus, c’est même 25% de la population qui en consomme. Or, 88% des patients sous statines n’ont jamais eu d’accident cardiovasculaire alors que sur 100 patients sous traitement, cinq auront des douleurs musculaires, un du diabète et moins de un, une insuffisance rénale.

«En dépit des baisses de prix dues au fait que toutes les statines existent désormais sous forme générique, leur coût total pèse toujours 160 millions d’euros par an. De plus, l’analyse de la consommation individuelle en Belgique montre qu’environ 55% des nouveaux utilisateurs de statines ne prennent pas ce traitement correctement ou l’abandonnent en cours de route», souligne le KCE.

«Excepté les cas d’anomalies, on ne peut prédire qui fera un événement coronarien et qui n’en fera pas.»

Evaluer pour mieux décider

Apporter des changements dans son alimentation en réduisant sa consommation de graisses saturées aide à faire baisser le taux de cholestérol, mais de 15% seulement. Par ailleurs, la génétique peut aussi jouer un rôle dans la production de ce mauvais gras. On parle alors d’hyper ou d’hypocholestérolémie familiale. Pour les personnes qui présentent cette particularité, le risque de faire un infarctus du myocarde ou un AVC est plus élevé.

S’il y a consensus sur les effets bénéfiques du traitement en prévention secondaire, pour éviter les récidives quel que soit l’âge du patient, son utilité est moins évidente en prévention primaire, surtout pour les plus de 75 ans. Pour cette catégorie de personnes, les bénéfices potentiels restent limités du fait de l’avancée en âge tandis que les effets secondaires restent inchangés, voire amplifiés en raison de leur fragilité.

«Excepté les cas d’anomalies, on ne peut prédire qui fera un événement coronarien et qui n’en fera pas. On peut toutefois se baser sur certains critères, comme le fait que le patient est en hypertension et qu’il souffre déjà d’une insuffisance rénale. Dans ce cas, on peut estimer que les bénéfices sont en faveur du traitement. Pour les patients âgés, ces bénéfices sont effectivement moins évidents. Pour ceux qui sont déjà sous statines, on recommande de ne pas arrêter. Pour ceux chez qui on découvre le problème et qui ont plus de 80 ans, la question se pose. D’autant qu’il faut un certain temps pour que le traitement agisse.»

Pour aiguiller les médecins et les patients dans leur prise de décision, le KCE a développé un outil consultable sur statines.kce.be. Après avoir calculé le risque cardiovasculaire du patient, le test compare son risque de mourir d’un infarctus ou d’un AVC dans les dix ans avec et sans statines. Ce qui permet de prendre une décision éclairée.

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