© BELGAIMAGE

Sommeil, stress, concentration… Comment le bruit vous mine la santé

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

A la ville, à la campagne, au travail ou chez soi, l’impact du bruit sur la santé n’est pas toujours facile à mesurer, mais il est réel. Une forte exposition peut favoriser l’apparition de pathologies.

L’oreille ne décide jamais, n’a pas de paupières, ne dort jamais. Elle est chargée de réagir à des signaux d’alerte pour assurer notre survie, même la nuit – le cerveau reste à son écoute. Et pourtant, on la compte pour peu. Dans la rue, les klaxons, les coups de frein, le marteau-piqueur ; dans le parc, le souffleur de feuilles ; à la brasserie, ce fond musical ; la nuit, la moto qui pétarade, la sirène des ambulances ; chez soi, le chahut du voisin. Le bruit déborde de partout et l’oreille souffre de cette hypervigilance. Les effets sur la santé les plus évidents sont auditifs: perte d’acuité, bourdonnements, douleurs, hyperacousie (hypersensibilité à certains sons), acouphènes. De plus en plus dans le viseur des spécialistes: les sons compressés. Ils sont omniprésents: salles de concert, plateformes de musique en ligne, cinéma, télévision, radio, portables, jeux vidéo…

Apparu dans les années 1960 avec la musique, pour éviter que les guitares soient couvertes par la batterie, ou les voix noyées par les cuivres, le son compressé consiste à tasser les sons électroniquement, et donc à réduire les écarts entre les sons forts et les sons faibles. Le but est que ce son compressé soit toujours entendu au-dessus du bruit ambiant. Et comme il est plat, sans relief, pour ressentir le même plaisir qu’avec un son non compressé, il faut monter le volume. Surtout, ce son, à l’inverse du son non compressé, n’est ponctué d’aucun microsilence, aucune respiration nécessaire au repos de l’oreille et du cerveau. Son écoute continue sature l’oreille. Celle-ci, habituée à des sons constamment denses, devient paresseuse. L’ acuité auditive s’appauvrit, avec une difficulté à percevoir les sons faibles. Cette surexposition permanente a d’autres conséquences potentielles, comme des risques de déficience auditive et de surdité précoce. En résumé, les cellules internes ne peuvent ni se reposer ni se régénérer, elles s’atrophient et finissent par exploser.

L’idée que l’on s’habitue au bruit relève du mythe. En réalité, le corps ne s’acclimate pas.

Des poussées d’hormones

Mais l’oreille n’est pas la seule à trinquer. La compression a aussi des effets sur le psychisme tels que stress, fatigue, altération de la compréhension et de la réflexion. Le sommeil encaisse également. Un bruit soudain supérieur à 30 décibels (dB) suffit à dégrader sa qualité, sans que le dormeur ne s’en rende compte. Un bruit inopiné supérieur à 40 dB suffit à réveiller. Des bruits continus de 50 dB, en moyenne, peuvent avoir des effets sur la santé, quand un bruit d’un niveau moyen supérieur à 55 dB est considéré par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme nocif. Un bruit qui se distingue la nuit provoque une poussée d’hormones, similaire à de l’adrénaline. Si durant la nuit, un véhicule bruyant passe trente fois, ce n’est peut-être pas suffisant pour vous réveiller, mais déclenche trente pics d’hormones. Ce qui, en cascade, augmentera le rythme cardiaque et la tension artérielle.

En effet, à court terme, la libération des hormones de stress (adrénaline, cortisol et noradrénaline) entraîne une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. Elle mobilise également les réserves de glucose pour alimenter le cerveau et les muscles. Or, la présence, à long terme, de ces hormones affecte l’organisme. Par exemple, l’adrénaline et la noradrénaline favorisent la coagulation sanguine. Ce qui augmente le risque d’infarctus du myocarde. Un niveau élevé de cortisol est, lui, associé au développement de la graisse abdominale. Ce qui, ici, contribue au développement de maladies cardiovasculaires.

Ces poussées de stress peuvent diminuer la durée de sommeil, mais aussi sa qualité, en touchant les phases les plus profondes, qui sont aussi les plus réparatrices. Une fatigue chronique, voire un épuisement, peut alors s’installer.

L’idée que l’on s’habitue au bruit relève du mythe, de la fausse croyance. En réalité, le corps ne s’acclimate pas et le sommeil reste perturbé, fragmenté, raccourci, car les alertes hormonales sont produites de manière réflexe. Bref, l’organisme réagit toujours.

Et ce n’est pas qu’une question d’intensité sonore: être exposé la nuit durant vingt ans à un bruit routier de 50 dB, soit l’équivalent d’un quartier résidentiel, augmente d’un tiers le risque de souffrir de maladies cardiovasculaires.

Difficultés de concentration

Le bruit ne nuit pas qu’au sommeil, d’ailleurs. En plus des nuisances fortes au travail – 143 cas d’hypoacousie ou de surdité ont été reconnus comme maladie professionnelle par la sécurité sociale rien qu’au cours de l’année 2021 –, il y a la difficulté à se concentrer. Dans un open space et à l’école, par exemple, la gêne occasionnée par les nuisances sonores modifie la vigilance, les opérations mentales et les réactions psychiques.

Aussi, de multiples études ont démontré les effets négatifs du bruit sur les apprentissages de l’enfant. Le bruit causé par la circulation automobile hors de la classe affecte l’attention et la mémoire des élèves. Une étude menée par l’Institut de santé mondiale de Barcelone montre que les enfants fréquentant des écoles à proximité desquelles la circulation est plus bruyante présentent un développement cognitif plus lent. Une augmentation de 5 dB des niveaux de bruit extérieur entraîne un développement de la mémoire de travail 11,4% plus lent que la moyenne et un développement de la mémoire de travail complexe 23,5% plus lent que la moyenne. De même, l’exposition à seulement 5 dB supplémentaires de bruit de circulation extérieure engendre un développement de la capacité d’attention 4,8% plus lent que la moyenne. Une autre étude, réalisée auprès de près de 3 000 enfants aux alentours de trois grands aéroports européens, a, elle, confirmé une corrélation entre baisse de performance scolaire et niveau de bruit ambiant.

© SOURCE: RAPPORT DE L'AEE – NOISE IN EUROPE 2020.

A l’intérieur des salles de classe, l’intelligibilité de la voix de l’enseignant, la capacité à se concentrer, à mémoriser des éléments, à acquérir des apprentissages ou à réussir des exercices évoluent selon le niveau sonore.

Dans un espace de travail ouvert, faire répéter, devoir parler plus fort ou refaire ses calculs en raison du bruit ambiant est pénible. L’effet sur la santé n’est pas direct mais cela induit des facteurs de stress qui, eux, affecteront la santé – par ricochet. Même raisonnement pour l’irritabilité liée à l’exposition au bruit. Des liens plus faibles ont été établis entre l’exposition à des nuisances sonores et l’affaiblissement du système immunitaire ou l’apparition de diabète.

On manque d’ailleurs de données et d’études. Peu de travaux sont ainsi menés entre la pollution sonore et les troubles psychiques, comme la dépression ou l’anxiété. Ainsi, s’il a été montré que les mêmes régions cérébrales – le cortex préfrontal et cortex pariétal – sont touchées lors d’acouphènes ou de dépressions, les chercheurs reconnaissent qu’au-delà du bruit, la dépression est multifactorielle, au même titre que de nombreux autres facteurs comme l’obésité, la sédentarité, l’hypertension et le diabète jouent un rôle dans les maladies cardiovasculaires.

L’exposition à seulement 5 dB supplémentaires de bruit de circulation engendre un développement de la capacité d’attention 4,8% plus lent.

Un besoin vital

Le silence est pourtant un besoin majeur, vital. Il permet d’abord au cerveau de se régénérer et d’évacuer ses «déchets». A plein régime, il consomme énormément de glucose, ce qui engendre une accumulation de toxines protéiniques. Leur évacuation demeure la plus active lors de périodes de repos et de calme, la plus efficace même (jusqu’à 25% en plus) lors d’une phase de sommeil profond.

Ensuite, le silence influe sur le système de régulation vitale. Tout se joue dans le système nerveux autonome, une sorte de racine qui pénètre dans le corps et permet la régulation des fonctions vitales de l’organisme. Il est constitué de deux grandes branches, le système sympathique, une espèce d’accélérateur physiologique, et le parasympathique, qui est, à l’inverse, un frein. Lorsqu’on entend un bruit, le premier se déclenche. Pendant les moments de calme et de régénération du corps, l’autre prend le relais. Lorsque l’un d’eux est actif, l’autre ne l’est pas.

«Comme le bruit ne se voit pas (ou vu comme un facteur de nuisance à la qualité de vie), il a longtemps été sous-estimé en tant que danger pour la santé», conclut Michel Le Van Quyen, chercheur en neurosciences à l’Inserm (Paris), auteur de Cerveau et silence (Flammarion, 2019). Le sujet reste peu médiatisé. Voire tabou: les chercheurs eux-mêmes n’ont pas accès, par exemple, aux données sur les prises de somnifères ou les plaintes exprimées auprès des généralistes pour, dans un second temps, les croiser avec l’exposition au bruit et dresser une cartographie. Contacté, l’Inami ne possède, lui non plus, aucun élément en la matière.

Les chiffres

Le bruit est lié au son et aux vibrations qui se propagent dans l’air et se mesure en décibels (dB). Les bruits s’additionnent mais pas en décibels. Ainsi, deux sources sonores identiques ne doublent pas le niveau de décibels. Seuls quelques décibels de plus suffisent souvent à doubler l’énergie sonore perçue par l’oreille. En l’occurrence, le bruit double tous les 3 décibels.

Selon Bruxelles Environnement, la pollution sonore engendre annuellement 700 millions d’euros de coût sociaux. Ce montant ne porte que sur les effets liés à la «gêne» et aux «troubles du sommeil». Ce coût est donc largement sous-estimé.

Selon des chiffres diffusés par Bruxelles Environnement en 2016, chaque Bruxellois perd en moyenne huit mois de vie en bonne santé à cause de l’exposition au bruit. A l’échelle de la Région, cela représente 10 000 années de vie en bonne santé.

En Wallonie, le trafic routier a exposé plus de deux millions de personnes à des niveaux sonores jugés néfastes pour leur santé en 2017, estime Inter Environnement.

En 2016, à Bruxelles, le bruit des transports exposait près des trois quarts des habitants (72%) à des niveaux susceptibles de provoquer une gêne auditive importante. Près de 37% de la population est potentiellement soumise à des niveaux sonores très élevés. Dans les deux cas, le trafic routier est, de loin, le principal contributeur.

L’installation de zones 30 permet de gagner 3 dB, soit une diminution du bruit de moitié.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire