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Soigner l’esprit sans soigner le corps est un non-sens, et inversement

La recherche a montré que les maladies psychiatriques comme la bipolarité ou la schizophrénie présentaient une composante inflammatoire, susceptible d’être (ré)activée par un virus. Un lien que le contexte pandémique devrait encourager à considérer. C’est ce qu’étudie notamment l’immuno-psychiatrie, en plein essor.

« Le plus grand cas d’école, c’est la grippe espagnole dans les années 1920, évoque le chercheur et immunologiste Ryad Tamouza. Dans les dix à quinze ans qui ont suivi cette épidémie ayant entraîné quelque cinquante millions de morts, on a observé une flambée de psychoses, qu’on appelait aussi « démences précoces ». » A l’époque déjà, des médecins soupçonnaient qu’aux traumatismes provoqués par la Première Guerre mondiale s’ajoutait, pour expliquer ces psychoses, la cause virale. Il faudra cependant plusieurs décennies pour que le lien entre immunité et pathologies psychiatriques fasse l’objet de recherches plus approfondies, notamment sous l’impulsion de la psychiatre française Marion Leboyer, directrice de la Fondation FondaMental, récemment couronnée du Grand prix Inserm 2021 pour ses travaux innovants dans ce domaine.

La véritable épidémie est devant nous.

Ryad Tamouza, chercheur et immunologiste

C’est avec elle que Ryad Tamouza a fondé la première consultation européenne d’immuno-psychiatrie, au Centre hospitalier universitaire Henri-Mondor, à Créteil, convaincu de la nécessité de penser l’interdépendance de la santé et de la santé mentale. « On ignore, par exemple, que les patients atteints de troubles psychiatriques – qui ont vingt ans d’espérance de vie de moins que la moyenne – ne meurent pas majoritairement de leur maladie psychiatrique mais de ses comorbidités somatiques », éclaire-t-il. Les études de cohortes ont ainsi révélé que le syndrome métabolique, qui prédispose aux maladies cardiovasculaires, est deux à quatre fois plus fréquent chez les patients psychiatriques que dans la population globale. Les maladies autoimmunes, comme la polyarthrite rhumatoïde, sont, elles aussi, particulièrement fréquentes chez ces patients.

Soigner l'esprit sans soigner le corps est un non-sens, et inversement
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Signature immunologique

Pour comprendre ces liens, il est utile de se pencher sur l’étude récemment menée par Ryad Tamouza et ses confrères au sujet d’Herv-W, un rétrovirus endogène humain. « Nous avons tous ce rétrovirus dans notre génome, à hauteur de 7 ou 8%. Il s’agit de séquelles d’infections qui ont eu lieu il y a quelques centaines de millions d’années. Ainsi s’est construite notre immunité génétique: en combattant les agressions extérieures. Mais vient un moment où le rétrovirus s’épuise, n’est plus actif et s’éparpille dans le génome. »

Or, les recherches ont dévoilé que sous l’impulsion de pathologies infectieuses banales comme la grippe, un réassemblage des « morceaux » du rétrovirus pouvait avoir lieu et produire des protéines virales circulantes, attirées spécifiquement vers le cerveau (neurotropisme). « Ces protéines ont des propriétés neurotoxiques: elles créent un foyer inflammatoire qui peut entretenir, voire impulser le développement d’une schizophrénie ou d’un trouble bipolaire », souligne Ryad Tamouza.

Cette activation a été retrouvée chez 40 à 50% des patients atteints de schizophrénie ou de troubles bipolaires. Il existe donc chez eux une forme de « signature immunologique ». Plus étonnant encore: cette réactivation de Herv-W pourrait être liée à une infection mais parfois aussi à un traumatisme. « Il a été démontré que les traumas infantiles, comme des agressions sexuelles, s’accompagnent d’une inflammation qui persiste à distance de l’événement, sans qu’on sache vraiment pourquoi. D’ autres études ont montré qu’on retrouvait très fréquemment cette composante de maltraitance dans l’enfance dans les pathologies autoimmunes. Tout est lié, avec, comme fil conducteur, l’inflammation », résume Ryad Tamouza.

S’il existe bien une barrière « hémato-encéphalique », certains virus comme le Sars-CoV2 parviennent à la franchir

Médecine personnalisée

Aujourd’hui, la Covid-19 éclaire d’un jour nouveau la recherche en immuno-psychiatrie. Des travaux très récents attestent ainsi que l’infection par le Sars-CoV2 est à même de réactiver Herv-W chez les patients souffrant d’un trouble psychiatrique et/ou l’ayant déjà réactivé (réactivation secondaire). Les conséquences pourraient en être d’autant plus délétères que le stress et l’isolement social liés à la situation sanitaire ont mis à mal les plus fragiles. « La véritable épidémie est devant nous », estime Ryad Tamouza.

Pour l’immuno-psychiatrie, soigner l’esprit sans soigner le corps est donc un non-sens, et inversement. Bien qu’il ait longtemps prévalu en médecine, le concept d’ « immuno-privilège » du cerveau, selon lequel les composants circulant dans le sang (comme les facteurs inflammatoires) ne pourraient pas pénétrer dans le cerveau, doit aujourd’hui être largement nuancé. S’il existe bien une barrière « hémato-encéphalique », certains virus parviennent à la franchir.

« La prise en charge psychologique est essentielle, mais on essaie aussi de voir quelle est l’histoire infectieuse du patient, de dresser un bilan immunologique et de proposer une prise en charge thérapeutique, qui peut inclure des anti-inflammatoires, des prébiotiques ou probiotiques, certains antibiotiques… » Ryad Tamouza rappelle à ce propos que la majorité des psychotropes ont d’ailleurs des activités anti-inflammatoires.

A l’inverse, les traitements antituberculeux découverts dans les années 1950 étaient à l’origine destinés à la prise en charge des psychoses… « Nous travaillons sur une vision globale de la pathologie humaine, conclut le chercheur, qui plaide avec Marion Leboyer pour une médecine « personnalisée », comme elle s’est largement développée en cardiologie ou en cancérologie. De quoi laisser entrevoir un autre avenir pour la psychiatrie et la santé mentale.

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