Snus: la nicotine sans fumée, pas sans risques
Interdits depuis plus d’un an en Belgique, les snus sans tabac se trouvent pourtant facilement en ville et en ligne. Un danger pour la Gen Z qui en raffole: les doses de nicotine et d’arsenic explosent les compteurs.
Par David Leloup, Louis Noël, Edmond Mbenda Bikok et
«C’est monté d’un coup. Après un seul snus, je me suis senti mal. J’ai dû aller vomir et ma soirée était foutue. J’avais bu mais je ne fume pas. Mon corps n’était pas prêt à encaisser autant de nicotine d’un coup», témoigne Lucas (1), 23 ans, employé dans le secteur du service après-vente. K.O. debout, le jeune homme ne renouvellera pas l’expérience. Cependant, les «nicotine pouches» ou «snus sans tabac», ces petits sachets de fibres végétales à la nicotine, semblent de plus en plus populaires chez les 15-25 ans. Ils sont pourtant interdits en Belgique depuis le 1er octobre 2023.
La nicotine, ici, ne se fume pas: un sachet se glisse entre la lèvre supérieure et la gencive. La salive aide à libérer la substance, qui se diffuse alors dans le système sanguin par la muqueuse buccale, très vascularisée. L’effet est presque immédiat et plus long que celui d’une cigarette.
Un snus, dix cigarettes
Il existe trois types de snus: nicotinés au tabac, nicotinés sans tabac, caféinés sans tabac (lire par ailleurs). Les deux premiers sont interdits à la vente, les troisièmes légaux, malgré des concentrations parfois folles en caféine. Ceux qui font fureur depuis quelques années, ce sont les snus nicotinés sans tabac. «Le taux moyen de nicotine par sachet est d’environ 10 milligrammes. A titre de comparaison, une cigarette en contient entre 1 et 3 milligrammes. Un taux très élevé de nicotine arrive au cerveau», décode Adrien Meunier, infirmier tabacologue à l’hôpital de la Citadelle de Liège. Un seul snus de 10 milligrammes équivaudrait donc à quatre cigarettes en cas d’aspiration forte (4 x 2,5 milligrammes), et à dix cigarettes en cas d’aspiration modérée (10 x 1 milligramme). Et il ne s’agit ici que d’une moyenne. On trouve facilement des «pouches» beaucoup plus puissantes. Avec 25 milligrammes par sachet, soit l’équivalent de la nicotine présente dans 25 cigarettes fumées avec une puissance d’aspiration modérée, les snus NOIS Extreme Mango promettent une «ivresse absolue de nicotine». Le summum est atteint avec le CUBA Cherry Strong qui affiche 43 milligrammes par sachet.
«Les produits vendus illégalement n’ont pas fait l’objet d’une analyse de risques.»
Nicotine, arsenic et sucre
Au-delà de la dépendance et des symptômes de sevrage qu’elle génère (irritabilité, anxiété, dépression), la nicotine peut nuire gravement aux jeunes cerveaux. «Toutes les études montrent que si l’on expose un cerveau de moins de 25 ans à de la nicotine, cela risque d’entraîner des problèmes d’apprentissage, d’hyperactivité ainsi que des syndromes dépressifs», poursuit Adrien Meunier. La nicotine augmente également le risque d’hypertension et d’événements cardiovasculaires. Elle peut irriter les gencives et les muqueuses buccales.
«J’ai commencé dans le but d’arrêter de fumer, et ça a marché. Mais maintenant je suis accro au snus.»
De plus, «ces produits vendus illégalement n’ont pas fait l’objet d’une analyse de risques», pointe Justine Cerise, porte-parole du SPF Santé publique. Or, justement, une des (trop) rares études sur ces produits vient d’être publiée en France par le Comité national contre le tabagisme (CNCT) et l’Institut national de la consommation (INC). Elle révèle que tous les sachets de nicotine analysés contiennent… de l’arsenic. La concentration varie fortement selon les marques –de 0,04 à 0,59 microgramme–, soit «jusqu’à 6,5 fois les quantités d’arsenic présentes dans une cigarette traditionnelle». Cancérogène avéré, fortement irritant pour les voies respiratoires et toxique en cas d’ingestion, ce métal lourd présent dans les snus a de quoi inquiéter.
L’étude pointe également la présence, chez deux des sept marques étudiées, de sucralose, une substance qui dispose d’un «pouvoir sucrant 600 fois supérieur à celui du saccharose (sucre de table)». La sucralose permet «aux jeunes consommateurs de s’accoutumer à leur insu à la nicotine». Conclusion: les snus nicotinés ne sont pas des produits d’aide au sevrage, mais bien «des vecteurs de dépendance à la nicotine».
«Si, en soirée par exemple, le jeune ne trouve pas de snus, il risque de se tourner vers la cigarette.»
Accro au snus
Jérémy, 23 ans, étudiant en marketing, en a fait les frais. «Je consomme environ dix doses de snus par jour. J’ai commencé dans le but d’arrêter de fumer, et ça a marché. Mais maintenant je suis accro au snus. J’angoisse quand je n’ai pas de boîte sur moi.» Depuis que c’est illégal, il en commande sur un site Internet tchèque où il trouve une profusion de marques, parfums, dosages en nicotine… Les plus pressés, eux, se fournissent directement dans certains night shops (lire par ailleurs).
Adrien Meunier insiste sur les jeunes qui n’ont jamais fumé: «Les snus sont tellement chargés en nicotine que leur cerveau va en réclamer. Si, en soirée par exemple, ils ne trouvent pas de snus, ils risquent de se tourner vers la cigarette.» Voilà sans doute le vrai enjeu.
(1) Tous les prénoms ont été modifiés.Tabac, nicotine, caféine: des mutations pour contourner la loi
Le snus «historique» avec tabac (snus brun), est interdit dans l’Union européenne depuis 1992, sauf en Suède (exception culturelle). Pour contourner la directive, un deuxième type de snus est né: le snus nicotiné sans tabac (snus blanc). C’est ce type de snus «2.0» qui fait débat aujourd’hui. Le tabac est remplacé par de la fibre végétale parfumée (menthe, fraise, cola…) mais la nicotine est toujours bien présente, et son taux peut exploser. Une poignée de pays ont interdit ces snus, dont la Belgique.
Pour contourner la loi, le snus blanc sans nicotine a vu le jour. Mais cette dernière est souvent remplacée par diverses molécules psychostimulantes, comme la caféine. «Avec une quantité impressionnante de 100 milligrammes de caféine par sachet (NDLR: l’équivalent d’un litre de Coca-Cola), Wakey Boost Blizzard Mint est l’un des sachets énergétiques les plus puissants du marché», peut-on lire sur Snussie.com. La dose est énorme: le Conseil supérieur de la santé recommande que la quantité de caféine ajoutée dans tout produit «soit limitée à 80 milligrammes de caféine par portion journalière». Ces snus «3.0» sans nicotine sont légaux. Pour l’instant.
Quatre magasins sur huit
Malgré leur interdiction de vente en Belgique, les snus nicotinés sans tabac sont très faciles à se procurer en milieu urbain. Le Vif a sondé sept night shops et un press shop du centre de Liège. Cachées dans une boîte en carton derrière le comptoir ou au sein d’un tonneau de lessive dans l’arrière-boutique, les boites de 20 sachets sont vendues entre 6,50 et 8,50 euros. Sur les huit commerces visités, la moitié vend des snus nicotinés illégaux. Le marchand de journaux visité ne commercialise plus que des snus légaux sans nicotine… à la caféine.
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