Simon, infirmier en soins intensifs: « Ce que je conseille à un jeune infirmier? Change, tout de suite »
Un préavis de grève a été déposé ce vendredi pour tous les travailleurs des hôpitaux privés et publics bruxellois. Les infirmiers en ont ras-le-bol. Simon, lui, est en burnout depuis plusieurs mois. Les conditions de travail, encore alourdies par le Covid, lui donnaient parfois l’impression d’avoir mis la tête « dans une machine à laver ». Témoignage.
Ce vendredi, les syndicats socialistes Setca et CGSP ont déposé conjointement un préavis de grève avec effet immédiat concernant tous les travailleurs des hôpitaux privés et publics bruxellois. Le préavis couvre toute action protestant contre la charge de travail, les coupes budgétaires, le manque de personnel, les normes d’encadrement « datées » ou encore le raccourcissement des durées de séjour. Le dépôt de préavis de grève a été précipité par le cadre décidé lundi par le gouvernement fédéral pour la vaccination obligatoire du personnel soignant.
Dans le cadre du podcast « Le burnout, ce n’est pas si tabou » sorti en septembre dernier, Le Vif avait recueilli le témoignage de Simon, infirmier en soins intensifs en arrêt depuis plusieurs mois. Voici ce qu’il nous avait confié.
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« Je suis arrêté depuis le mois de février. Je suis infirmier aux soins intensifs depuis 2010. Et je suis arrêté parce que je suis allé je pense au bout de mes limites. C’est un peu gênant d’expliquer cela. C’est un métier qui est prenant, infirmier aux soins intensifs. Et qui demande beaucoup d’adaptations et la charge de travail étant vraiment intense pour les dernières années que j’ai faites. Le Covid a fait que c’est devenu vraiment très compliqué. Ça m’a abimé. J’ai toujours foncé tête baissée en disant on va y arriver, on va y arriver et à un moment c’est le corps qui montre qu’on a des limites qui sont très définies. Et le mental s’écroule aussi. J’ai dû m’arrêter parce que personnellement, mentalement ça n’allait pas. Physiquement ça n’allait plus et ça devenait compliqué.
Le terme abimé, ce n’est pas anodin. J’ai mis des mois à le trouver. Ca peut paraitre débile parce que c’est un mot très simple. Je cherchais un mot sur comment je me sentais et je cherchais le mot juste. Les trois quarts des gens avec qui je parle qui ont eu besoin de prendre une pause plus ou moins longue, ce sont des gens qui aiment soigner les gens et qui ne supportent plus de travailler comme ça. »
Qu’aviez-vous comme symptômes physiques ?
Beaucoup d’insomnies et des crises d’angoisse avec du mal à récupérer ma respiration. Des pleurs.
Ca ne vous était jamais arrivé avant ?
Non, des insomnies à ce point-là, non. Maintenant, les insomnies ne sont pas totalement parties. C’est surtout quand je m’approche de la reprise.
C’est vous qui avez fait la démarche d’aller voir votre médecin ?
Au départ ce n’est pas vraiment moi qui l’avait envisagé, c’est plus mon épouse. J’ai deux enfants, en bas âge, ils ont 3 et 7 ans. J’ai fait des enfants pour kiffer avec eux, pour jouer et les regarder grandir. Et je me rendais compte que le peu de temps que je prenais encore pour eux, je n’étais vraiment plus patient. A partir du moment où on n’est plus un père, on a du mal à être un mari. Je m’isolais aussi beaucoup en rentrant du travail. Ce sont plein de signaux d’alarme et ma femme m’a dit à un moment : « Il faut que tu arrêtes, c’est pas possible ».
Qu’est-ce qui est mis en place pour vous soutenir ?
J’ai deux suivis psychologiques. Ma psychologue avec qui j’entame un travail depuis quelques années. Et une psychologue à l’hôpital qui me reçoit pour parler plus spécifiquement du milieu professionnel et un peu plus particulièrement de la période Covid.
C’est un épuisement lié au métier et pas au reste de votre vie ?
Mon épouse fait le même métier que moi. Le rythme est très soutenu : deux infirmiers, deux enfants, c’est compliqué. C’est aussi la satisfaction du travail, la façon dont on nous demande de travailler maintenant. C’est vraiment très difficile la quantité de soins qu’on doit produire, le nombre de jours qu’on doit faire. Je sortais de là essoré. On a l’impression que vous avez passé votre tête à la machine à laver. On est vide dans sa tête et on espère qu’on a bien fait. Je pense qu’en faisant un autre métier, je n’aurais pas eu les mêmes symptômes. Je n’aurais pas craqué comme ça.
Moi je sortais de lu0026#xE0; essoru0026#xE9;. On a l’impression que vous avez passu0026#xE9; votre tu0026#xEA;te u0026#xE0; la machine u0026#xE0; laver.
Vous faites ce métier depuis 2010, avez-vous vu une dégradation des conditions de travail ?
C’est compliqué de répondre parce que j’ai fait trois hôpitaux. L’hôpital où je travaille actuellement, je n’y suis que depuis trois ans. Je dirais que depuis les trois dernières années par exemple, on a eu plus de travail avec le Covid mais ça, c’est logique. C’était la pandémie, on a multiplié les lits et pas les infirmiers. En terme de travail en temps normal, ça s’est un peu intensifié, je trouve. C’est sensible, ce n’est pas du tout au tout. Mais quand on écoute les anciennes collègues par exemple, elles sont unanimes quand elles disent que ça a toujours été un métier dur mais jamais à ce point.
Et quand vous vous êtes arrêté, qu’est-ce que cela vous a fait ?
C’est très difficile de s’arrêter, très culpabilisant, d’autant plus quand on est dans une réelle équipe qui s’entraide et qui essaye que ça aille toujours bien. Quand on a entendu la troisième vague arriver, je me suis senti très mal. Et en même temps, à chaque fois que la fin de mon certificat approchait, je remontais dans des crises d’angoisse et dans des insomnies. C’est très difficile de se dire je prends soin de moi, je reste chez moi alors que tous les collègues sont sur le front. C’est très culpabilisant. J’ai l’impression de les lâcher. On sait que les infirmiers on ne les fabrique pas en deux jours.
Pour expliquer à mes frères et soeurs, je leur dis toujours que la charge de travail est un tarte. Si on est cinq à manger la tarte, chacun en mangera un cinquième. Si un dit qu’il n’a pas faim mais qu’il faut absolument finir la tarte, cela veut dire que les quatre autres vont en manger un quart. A chaque fois que quelqu’un tombe, la charge de travail ne diminue jamais. Elle est là. On soigne les gens, on est là pour ça et puis c’est très dur de dire je vais un peu laisser tomber mes collègues.
Vous vous sentez comment, depuis février ?
En reconstruction. Cela passe par beaucoup de psychothérapie. C’est un travail long. Je pense que quand on ne fait pas attention à soi, on ne se rend pas compte de tout ce qu’on est en train soit démolir de manière active, soit de laisser partir certaines choses. Du coup il faut identifier tout cela, recoller un peu les morceaux et voir comment avancer. Je ne suis même plus sûr de vouloir encore être infirmier même si fondamentalement, je me sens infirmier en soins intensifs. C’est quelque chose qui est pour moi très important. C’est un métier que j’aime, c’est un métier que j’adore mais j’ai vraiment très peur de le repratiquer.
Rien n’est changeable dans votre métier ?
Si je pense, j’essaye quand même de rester optimiste mais il faudrait des énormes moyens. Il faudrait une reconnaissance et il faudrait déjà venir physiquement sur les lieux de travail. J’ai une grande soeur qui a fait la RH et qui maintenant a une boite privée. Et quand je lui parle des conditions de travail en soins intensifs elle me dit toujours : « tu sais que ça, à l’usine, les ouvriers éteignent les machines, se mettent sur le parking et regardent le patron en disant faut que ça change sinon on ne travaille pas ». Evidemment, à l’hôpital on ne peut pas faire ça. On n’a pas le droit. Et on n’en a pas le désir, on ne laissera jamais tomber nos patients. Du coup, cela veut dire qu’il ne faut pas attendre un mouvement de grogne, il faut revoir le système des soins de santé complètement. C’est des gros moyens qu’il faut mettre. Et dire j’efface et je recommence. Ça tenait la route peut-être à une époque mais ça n’est plus le cas maintenant.
La difficulté restera la même après le Covid ?
Oui, ce n’est pas lié au Covid. Je pense qu’il a juste accéléré les choses. L’épuisement professionnel, cela fait des années qu’on en parle. Des années qu’il y a des études objectives qui sont sorties, qui montrent par exemple qu’il faut renflouer les staffs infirmiers pour améliorer la qualité des soins. En fait, tout ce que les infirmiers demandent va être bénéfique directement pour le patient. C’est un travail de fou et on n’a plus assez de nos deux mains, de nos neurones. Fondamentalement quand on a fait ces études-là c’était pour prendre soin des gens. Mais quand on n’a même plus les moyens de prendre soin des gens et quand on est devenu plus que des techniciens de soins, c’est très difficile.
C’est très difficile de manière personnelle, de se dire « ha j’ai fait des super soins » et puis de se rendre compte en même temps que la mamy de cette chambre-là, elle aurait peut-être eu besoin de parler qu’on n’a pas le temps de l’écouter. C’est très difficile de gérer deux arrêts cardiaques en même temps mais de ne pas pouvoir apporter un anti-douleur à un autre patient qui était stable mais qui avait mal. On donne tout ce qu’on a, on sort de l’hôpital, on est vidé et ce n’était pas encore assez parce qu’on a pas réussi à travaillait comme on voulait. C’est vraiment un système qui va jusqu’à l’épuisement. Maintenant que j’ai pris du recul, je m’en rends compte. On ne peut rien faire d’autre que de s’épuiser. Parce que le lendemain, on essaye d’y retourner en se disant « je vais donner plus ». Mais on est déjà à saturation en terme de capacité. C’est un puits sans fond. C’est trop difficile.
On ne peut rien faire d’autre que de s’u0026#xE9;puiser.
Dans votre équipe, y a-t-il d’autres burn-out ?
Oui. D’autres se sont réorientés professionnellement, certains sont revenus. Ceux qui sont partis n’en pouvaient plus et n’en voulaient plus. C’est quelque chose que j’admire parce que moi je me sens infirmier de soins intensifs et je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre.
Comment la direction a-t-elle réagi face à ces constats ? Est-elle à l’écoute ?
Je ne sais pas. Mes chefs directs, qui sont vraiment très bas dans la direction, sont très sensibles et très impactées. Ils prennent vraiment beaucoup de temps pour parler avec l’équipe. Ils essayent de mettre des choses en place pour soulager un maximum mais ce sont vraiment des petites choses. Plus haut, je ne saurais pas vous dire.
Comment imaginez-vous réaccrocher le wagon du travail ?
Mon père était un grand carriériste, et j’ai toujours dit que moi, j’étais un travailliste. Ne pas travailler est très difficile, j’ai envie de recommencer. Ce ne serait pas un problème, mais il faudrait y aller avec prudence. Comme disent mes psychologues, il faut savoir se poser, accepter.
Qu’est-ce que vous conseilleriez à un jeune infirmier ou une jeune infirmière pour que ça ne leur arrive pas ?
Ne travaille pas. Change, tout de suite. Des collègues arrivent à prendre du recul dès qu’elles mettent leur tenue au linge sale. C’est quelque chose que j’admire. Ce n’est pas dans mon caractère. Le jour où ma fille m’a demandé d’être infirmière comme papa et maman, je lui ai dit: « tu feras ce que tu veux mais jamais ça ». Un soir, j’ai dit à mon épouse qu’en première année d’infirmier, il faudrait dire : « On va faire de vous des techniciens en soins infirmiers, si vous voulez soigner des gens, arrêtez. Si vous voulez pratiquer des soins, faire des rapports entre les pathologies, les traitements, anticiper les besoins de vos patients, ça va être super. Mais si par contre vous voulez soigner les gens, prendre soin des gens dans leur globalité, arrêtez, vous allez vous planter ». C’est quelque chose qui revient tout le temps. J’aime mon métier, et pourtant je ne supporte plus de faire des soins. Je fais des soins en série. Moi ce que je voulais c’était de rentrer dans une chambre et puis capter si la personne était douloureuse, fatiguée, angoissée, papoter un petit peu. Ce que j’adorais faire quand on m’en laissait le temps, c’était mettre une playlist de musique à mon patient lorsque je lui faisais sa toilette. Il rigolait, il avait passé un bon moment.
Votre métier vous manque ?
Beaucoup, et en même temps je sais que je dois m’en préserver. La psychologue que je vois à l’hôpital m’a déjà dit: « quand tu te sens prêt, essaye d’arriver 10 minutes avant le rendez-vous ou repasse dans le service dire bonjour à tes collègues ». Et j’ai réussi deux fois. Mais la deuxième, j’ai angoissé quand les portes se sont ouvertes. Même en civil, quand les deux portes s’ouvrent et que je vois le couloir, ça me freine. J’ai une boule dans le ventre, je manque d’air.
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