Comment le porno peut rendre les femmes plus épanouies au lit (malgré ses dérives)
«Le porno aide les femmes à se sentir maîtresses de leur sexualité», affirme la chercheuse britannique Fiona Vera-Gray, autrice du récent ouvrage Women on Porn. Cependant, le contenu de la majorité des films les empêche d’en jouir sans entraves…
Les sites porno génèrent plus de trafic Internet que Netflix, Amazon et Twitter réunis, révèle Women on Porn, l’ouvrage de la chercheuse féministe et activiste Fiona Vera-Gray. «Quand nous pensons à la pornographie aujourd’hui, nous l’associons principalement aux hommes – autant en tant que producteurs de contenu que de consommateurs, les femmes étant le « produit », explique-t-elle. Cependant, selon Pornhub, le plus grand site porno au monde, la part des utilisatrices est en hausse et représente désormais un tiers de leur audience.»
Au fil de son travail au long cours sur la violence sexuelle à l’encontre des femmes, Fiona Vera-Gray s’est intéressée à leurs expériences dans le domaine de la pornographie. «Mais lorsque j’ai cherché des études qualitatives approfondies, je n’ai absolument rien trouvé.» Elle a donc demandé et obtenu une subvention pour explorer la question. «Je voulais raconter notre histoire sur la pornographie, car personne n’en parle.»
Pendant deux ans, la chercheuse a discuté longuement avec 100 femmes âgées de 18 à 70 ans. Elle débutait chacun des entretiens par: «Quand avez-vous regarder du porno pour la première fois?», avant d’explorer ce que ses interlocutrices pensent et ressentent à propos de la consommation de porno. Comment la pornographie les a-t-elle aidées? Comment leur a-t-elle nuit?
Dans votre ouvrage, ce qui ressort des témoignages de ces femmes, c’est leur grande diversité.
Oui, mais avec des points communs. Un sentiment de conflit est souvent présent. Elles sont excitées par quelque chose qui leur semble contradictoire, par la façon dont les femmes sont représentées et réduites à des objets de désir dans la pornographie mainstream. Il existe une sorte de tension et de confusion entourant leur excitation. Par ailleurs, comme nos entretiens étaient assez poussés, leur vie sexuelle était souvent abordée. Il s’est avéré qu’en général, elle n’était pas satisfaisante. Surtout chez les femmes hétéro qui indiquaient que, au cours des premières années – parfois même la première décennie – de leur vie sexuelle, celle-ci n’avait jamais vraiment été centrée sur elles. Elles n’atteignaient souvent pas l’orgasme et n’avaient pas le sentiment de pouvoir exprimer leurs désirs.
«L’aspect positif de la pornographie est qu’elle aide des femmes à apprendre à se toucher.»
A propos du conflit intérieur ressenti par les femmes lorsqu’elle regarde de la pornographie, l’une d’elles, Prena, dit: «J’ai besoin d’au moins une suggestion de sexe non consensuel pour trouver ça excitant.» Le livre inclut également des intervenantes ouvertement féministes, qui atteignent l’orgasme avec de la pornographie extrêmement misogyne, et qui en ressentent ensuite de la honte…
Quelque chose, dans beaucoup de types de pornographies, place les femmes dans cette position. Elles racontent également qu’il leur arrivait, au visionnage d’une vidéo, de se laisser emmener dans la fiction. Mais soudain, elles relevaient quelque chose dans le visage de l’actrice, ou un événement, qui leur faisait penser: «Elle n’apprécie pas cela.» Quelque chose qu’elles pouvaient percevoir parce qu’elles le reconnaissaient; ces femmes avaient elles-mêmes déjà feint le plaisir ou l’orgasme. Le contenu de beaucoup de types de pornographies rend donc difficile pour les femmes d’en profiter sans être perturbées. De plus, dans notre société, celles-ci ne sont pas encouragées à avoir leurs propres désirs. Nombre d’entre elles se sentent coupables de se masturber, si elles le font. L’aspect positif de la pornographie est qu’elle aide beaucoup de femmes à apprendre à se toucher elles-mêmes.
Qu’en est-il de la pornographie féministe, puisqu’elle existe?
Certaines de celles avec qui j’ai discuté regardaient effectivement de la pornographie féministe ou éthique, où l’on peut supposer que les acteurs sont correctement rémunérés, ont des droits, etc. Elles m’ont dit qu’elles se sentaient fières de consommer ce type de contenu, souvent payant. Cependant, la grande majorité des femmes, tout comme les hommes, recourent à la pornographie mainstream. Et ce, même si elles reconnaissent que le contenu peut être problématique. La raison principale est que cette pornographie est gratuite, mais aussi que, même si elles ont vu de la pornographie alternative, elles ne la trouvent pas toujours aussi excitante. D’aucunes m’ont avoué: «Je ne veux pas voir des corps qui ressemblent au mien. Je veux voir des corps parfaits, faisant des choses que je sais ne pas vouloir faire moi-même.» L’une d’elles m’a même dit: «C’est comme manger au McDonald’s. Une solution rapide qui semble bonne sur le moment, mais que l’on regrette par la suite.»
Vous évoquez un grand fossé dans la manière dont les femmes pensent (ou sont censées penser) le sujet. D’un côté, il y a celles qui, par définition, trouvent la pornographie dégradante. De l’autre, les tenantes du mouvement sexpositif, qui estiment qu’elle a un effet libérateur. Où vous situez-vous?
Je suis partagée sur la question. A travers mon travail sur la violence sexuelle, j’ai souvent été confrontée à des représentations très crues du sexe, comme quelque chose d’imposé aux femmes pour le plaisir des hommes. C’est aussi, en grande partie, ce que reflète la pornographie mainstream. J’étais convaincue que ce type de scénario leur était nuisible. Mais quand, en tant que sociologue, on entame une discussion ouverte avec elles, en mettant de côté ce qu’on croit savoir, il devient beaucoup plus difficile de déterminer ce qui est bien ou mal. Prenez Molly, une des intervenantes de mon livre, qui a eu une vie sexuelle médiocre jusqu’à l’âge de 30 ans. Elle était mariée à un homme, puis elle a fini par divorcer. Après son divorce, grâce à la pornographie en ligne, elle a découvert qu’il y avait beaucoup de manières différentes d’avoir des rapports. Le porno l’a aidée à se sentir maîtresse de sa sexualité. Mais d’autres témoins m’ont raconté comment les hommes, dans leur vie, utilisaient la pornographie pour légitimer l’abus. A première vue, ces expériences semblent diamétralement opposées, mais les deux effets peuvent être vrais en même temps. C’est pourquoi je pense aujourd’hui que pour avoir une discussion utile et nécessaire sur l’égalité des genres et l’égalité raciale dans la pornographie, nous devons d’abord dépasser la honte, le jugement et le tabou.
Vous relevez que l’approche sex-positive peut constituer une forme de pression, en particulier sur les jeunes femmes. Pour être considérées comme «cool», elles doivent tout trouver acceptable.
Un bon exemple est celui d’une dame dont le partenaire masculin regardait beaucoup de porno dégradant pour les femmes, selon elle. Or, elle avait vraiment du mal à l’exprimer. Chaque fois qu’elle en parlait avec une de ses amies ou lisait quelque chose à ce sujet dans un magazine, il lui semblait que, en tant que femme libérée et dans l’air du temps, elle devait tout trouver acceptable. Elle ne le pensait pas au fond d’elle mais elle avait l’impression que ses véritables sentiments n’étaient pas légitimes. Je crois que cela s’applique aussi à de nombreux aspects de la vie d’une femme. On nous dit constamment ce que nous devons penser et ressentir, comment nous devons être et nous comporter. Et il semble parfois qu’avec le sexpositivisme, une couche supplémentaire de pression s’ajoute. Qui ose encore se plaindre de la pornographie, maintenant qu’il y a eu, dans cette phase avancée du capitalisme, un fort mouvement vers l’égalité des genres?
L’hypothèse, largement répandue, selon laquelle la pornographie «classique» contient de nombreuses scènes de violence envers les femmes et l’encourage dans la vie réelle est-elle validée?
Il ne s’agit pas uniquement de promouvoir la violence, mais aussi, et plus souvent, de promouvoir l’inégalité. Prenez simplement le langage utilisé. On voit souvent dans les titres et les teasings de vidéos des choses comme: «Regardez comment cette salope se fait baiser.» Même si cela n’est pas violent, l’idée sous-jacente est que les femmes ne sont pas des êtres humains au même niveau que les hommes. Face au peu de progrès réalisés par notre société dans la lutte contre la violence sexuelle envers les femmes, j’ai parfois appelé les hommes à arrêter de regarder du porno. Pas tant parce qu’il mène directement à la violence – les recherches sur la manière dont il influence les comportements masculins violents ne sont pas si convaincantes – mais parce que si les hommes veulent vraiment agir contre l’inégalité structurelle entre les genres, ils devront renoncer à certaines choses.
«Les vidéos axées exclusivement sur le plaisir des femmes restent très rares sur les sites porno mainstream.»
Certaines hétérosexuelles préfèrent visionner des rapports lesbiens parce qu’elles ne sont pas confrontées à une femme soumise dont le seul rôle semble être de plaire à l’homme.
En effet, sur les sites, le sexe lesbien est une catégorie populaire parmi les hétérosexuelles. En enlevant l’homme de la pornographie, le sexisme y est toujours présent, car tout est filmé au travers et pour le regard masculin, mais au moins, on obtient un contenu qui semble se concentrer sur le plaisir féminin. La grande majorité des vidéos porno se conclut par l’orgasme masculin, qui est le but et le point culminant de la plupart des séquences. En Australie, des recherches ont d’ailleurs montré que les jeunes qui regardent de la pornographie adoptent une attitude plus ouverte envers différents types de rapports, car ils ne voient pas seulement la pénétration pénis-vagin mais des ménages à trois, des orgies, des hommes ayant des rapports avec des hommes, des femmes avec des femmes… Cela élargit leur horizon sexuel. Cependant, les vidéos axées exclusivement sur le plaisir des femmes, et non en premier lieu sur celui des consommateurs masculins supposés, restent très rares sur les sites grand public.
Un effet négatif avéré est que les femmes, en particulier les plus jeunes, en viennent à se sentir complexées par rapport à leur corps.
Il existe désormais de nombreuses études sur ce sujet et, en effet, elles concluent toutes que plus une femme regarde de la pornographie, plus elle se sent mal dans sa peau. En particulier les jeunes, en ce qui concerne leur vulve. Ce que je trouve intéressant, parce que vous penseriez qu’elles commenceraient à se sentir mal à l’aise à propos de leurs seins, leurs fesses ou leur ventre, à cause des corps parfaits des actrices, mais pas de leur vulve. Mais si vous y réfléchissez un instant, cela s’explique. Car la pornographie est tout simplement l’unique endroit où la plupart des hétérosexuelles voient d’autres vulves que la leur. Et ce qu’elles voient, ce sont des vulves épilées, fermes et esthétiquement corrigées. Il semble donc logique de commencer à penser: «Oh, il y a quelque chose qui ne va pas avec la mienne.»
«Les femmes utilisent le porno comme une forme de préliminaires, les hommes comme une facette de leur vie sexuelle.»
Comment le porno infuse-t-il les relations et la vie sexuelle des femmes?
De nombreuses manières. Les femmes, tout comme les hommes, y recourent pour se masturber. Certaines aussi pour en apprendre davantage sur des positions et des pratiques sexuelles – par exemple, comment réaliser une fellation. Cependant, même si elles n’en consomment pas elles-mêmes, elles indiquent que les hommes introduisent inévitablement la pornographie dans la chambre à coucher. Les jeunes femmes ayant de multiples partenaires sexuels ont évoqué des hommes reproduisant des actes clairement inspirés du porno, qu’elles n’appréciaient pas particulièrement ou sur lesquels elles n’avaient jamais vraiment marqué leur accord. Cela renforce l’idée que le discours dominant sur le sexe, sa nature et sa pratique, est largement influencé par le porno. C’est particulièrement vrai dans un pays puritain comme le Royaume-Uni, où les gens parlent très rarement de sexe entre eux. On sait qu’il faut des années pour que les femmes osent demander ce qu’elles désirent vraiment au lit. Il est donc particulièrement difficile pour celles qui débutent leur vie sexuelle de dire: je n’aime pas que tu me tires les cheveux, que tu craches sur ma vulve ou que tu éjacules sur mon visage. Car, avec tout ce qu’elles ont vu, il semble aux jeunes femmes, et probablement aussi aux jeunes hommes, que tout le monde le fait. C’est l’un des aspects que j’ai trouvés particulièrement tristes dans mes conversations avec des filles d’une vingtaine d’années. La possibilité de découvrir la sexualité avec son partenaire, en tâtonnant, semble perdue. Les jeunes abordent leur vie sexuelle avec énormément d’idées préconçues et d’attentes, comme si tout était déjà entièrement scénarisé.
Selon une étude de l’université de Lausanne, consommer du porno a un effet positif sur la vie sexuelle des femmes, qui les rend plus épanouies, tandis qu’elle a un effet négatif sur celle des hommes, les rendant moins sûrs d’eux.
Je ne connais pas cette étude, mais ce que je sais, c’est que les hommes en couple sont moins susceptibles d’avoir des relations avec leur partenaire les jours où ils regardent du porno. Pour les femmes, c’est l’inverse. Elles l’utilisent comme une forme de préliminaires, tandis que pour les hommes, ce n’est qu’une facette de leur vie sexuelle. Par conséquent, ils perdent l’intimité, la connexion et tout ce qui se produit lorsqu’on a des rapports avec une personne réelle. En outre, je crois vraiment que le porno peut souvent aider les femmes. Certaines y recourent pour surmonter la stigmatisation sociale qui pèse sur leurs désirs sexuels, elles apprennent à accepter leur propre corps et leur excitation, et se sentent ainsi de meilleures partenaires sexuelles.
Ce qui ne change rien au fait que les femmes en couple souffrent également de la consommation de porno de leur conjoint.
Effectivement. Certaines femmes avec qui j’ai parlé n’ont, pendant longtemps, pas été au courant que leur conjoint regardait de la pornographie, ou à quelle fréquence. Lorsqu’elles l’ont découvert, elles ont eu l’impression qu’il les avait, d’une certaine manière, trompées, elles se sont senties trahies. Selon le mouvement sexpositif, elles devraient accepter tout cela. Cependant, si la consommation de pornographie par les hommes les amène à réduire leur intimité avec leur compagne, il n’est pas surprenant que ces femmes se sentent tristes et dupées. C’est également l’un des points que je mets en lumière dans mon livre: aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, presque tout le monde est confronté à la pornographie. Que vous en consommiez ou pas, vous avez inévitablement dans vote entourage des hommes, et peut-être aussi des femmes, qui le font. Il est donc crucial que nous réfléchissions aux messages que la pornographie envoie aux gens et à la société, et à ce qu’ils signifient pour les femmes. Beaucoup de celles qui témoignent dans mon livre m’ont dit que c’était la première fois qu’elles évoquaient leur vécu dans ce domaine. C’est pourquoi je voudrais dire aux femmes: écoutez les expériences des unes et des autres. Dans la lutte contre la violence sexuelle qui nous est faite, nous devons essayer d’autres approches que celles utilisées jusqu’à présent. Une discussion ouverte sur les femmes et la pornographie en fait partie.
Qui est Fiona Vera-Gray?
Née en 1981 à Tokoroa, en Nouvelle-Zélande, Fiona Vera-Gray est une figure éminente dans le domaine de la recherche sur les violences faites aux enfants et aux femmes. Elle a obtenu son master et son doctorat à la Child and Woman Abuse Studies Unit de la London Metropolitan University, où elle occupe aujourd’hui le poste de directrice adjointe.
Elle est régulièrement sollicitée par les médias britanniques pour son expertise sur des sujets tels que la pornographie, la violence et le harcèlement sexuels ou le viol.
Auteure de travaux académiques portant sur le harcèlement de rue, elle a publié, en mars 2021, l’étude la plus complète à ce jour sur le contenu de la pornographie en ligne mainstream.
Son livre Women on Porn. One hundred stories. One vital conversation est paru en février dernier aux éditions Torva (382 pages).
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