Mélanie Geelkens

Une sacrée paire de Mélanie Geelkens | La dark romance, ou comment la soumission finit forcément par laisser un goût dans la bouche

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Dans les librairies, la dark romance est un véritable succès. Particulièrement auprès des adolescentes, ainsi exposées à des histoires de soumission féminine et de violences masculines. Inquiétant?

Un million d’exemplaires écoulés en France. Plus de sept millions de lectures sur le réseau de partages d’écrits Wattpad. Neuf traductions en cours. Le nouvel opus de JK Rowling? Le dernier Harlan Coben? Non, juste Captive (Hachette), le premier livre de… Sarah Rivens. Un –faux– nom (l’identité de cette Algérienne de 24 ans est aussi bien gardée que celle d’Elena Ferrante) surtout connu des jeunes filles âgées de 15 à 25 ans, cibles principales de la très à la mode dark romance.

Pour celles et ceux qui voudraient s’épargner la lecture de ces 544 pages: Captive, c’est l’histoire d’Ella, 22 ans, une demoiselle qui, en voulant sauver sa tante de son addiction à la drogue, s’est retrouvée «achetée» par des possesseurs. Le premier la prostituait, le deuxième –Asher, surnommé «le psychopathe»– la fait dormir dans une cave, lui brûle la main sur une plaque de cuisson, refuse de l’appeler par son prénom… Ce qui n’empêche pas ces deux protagonistes de finalement vivre une torride histoire d’amour.

Point la peine de se lancer dans d’autres tomes de dark romance, ce schéma narratif y est exploité jusqu’à la lie. La cave est certes parfois remplacée par une cage, et la brûlure par un coup de poignard, mais bon, l’idée reste assez limpide: l’homme hypraviolent vs. la femme très soumise. [Soupirs]

Alors, il paraît qu’il ne faut pas trop s’inquiéter de ce tabac littéraire. Que les lectrices, aussi jeunes soient-elles, seraient capables de faire preuve de «beaucoup de recul», selon Anne-Claire Marpeau, spécialiste de la réception des œuvres par les lecteurs, interrogée par Le Monde. «Il n’y a quasiment jamais d’identification avec l’héroïne, qu’elles critiquent librement.»

Puis faudrait pas trop paniquer, selon certains experts, parce qu’avant ça, il y a eu Bel-Ami de Maupassant («Tout d’un coup elle cessa de se débattre, et vaincue, résignée, se laisse dévêtir par lui»), Lolita de Nabokov, American Psycho d’Easton Ellis… Et lire un polar n’a jamais (?) donné envie de flinguer quelqu’un, ou adorer la fantasy ne fait pas croire en l’existence de petits hommes verts. Alors…

A force de bouffer de la soumission, ça finit forcément par laisser un léger goût dans la bouche.

Alors, c’est un peu court, non? Ce serait comme croire que dévorer du porno n’influence nullement la manière de s’envoyer en l’air. Les représentations véhiculées dans les livres, les films, participent à la création d’une toile sociétale. «Ce que nous normalisons à l’écran, nous le normalisons dans la vie», écrit Chloé Thibaud dans Désirer la violence. Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer (Les Insolentes, 224 p.). A force de bouffer de la soumission, ça finit forcément par laisser un léger goût dans la bouche.

C’est pas forcément mauvais, tant que c’est bien ingéré. Selon la psycho-sexologue Sylvie Loumaye, récemment interviewée dans Le Vif Weekend, la dark romance permet aux jeunes lectrices d’explorer des fantasmes somme toute assez courants, comme celui de la domination. Faut bien que jeunesse se fasse. «Ce genre de littérature ne fera pas de tort s’il est accompagné d’un débat entre les jeunes et leurs parents ou enseignants. Ça peut faire passer un bon moment ou donner du plaisir, mais les parents doivent faire savoir que la sexualité, dans la vraie vie, ce n’est pas ça. C’est chouette pour l’excitation, mais ce n’est pas de l’éducation.» Dommage que, souvent, les familles et l’école préfèrent encore se brûler la main sur une plaque de cuisson que de parler de sexualité aux enfants…

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