Se comparer aux autres rend malheureux
Si vous voulez savoir comment vous allez, il est tentant de regarder les autres. Par exemple, les personnes du même âge: quel est leur emploi, qu’est-ce qu’elles achètent, où vivent-elles? Grâce aux réseaux sociaux, comparer est plus facile que jamais. Mais une telle vérification offre peu de perspective sur sa propre vie. Elle ne rend pas non plus heureux.
Les humains sont des créatures sociales, alors ils se regardent et se jugent les uns les autres. Depuis la modernité, la comparaison a gagné en importance : on a introduit l’idée d’égalité et que les citoyens ambitieux peuvent gravir les échelons. Le penseur politique britannique Thomas Hobbes (1588-1679) livre une analyse pertinente à ce sujet. Selon lui, tout être humain essaie de se conserver. C’est pourquoi l’humain souhaite les moyens d’assurer sa position. « J’ai donc mis en avant une caractéristique commune à tous les peuples : aussi, je mets au premier rang, à titre d’inclination générale de toute l’humanité, un désir perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort », écrit Hobbes dans Léviathan, son chef-d’oeuvre sur la naissance de l’État moderne. On désire toujours plus de pouvoir, car on doit progresser pour se sentir en sécurité : le patrimoine doit augmenter, la carrière doit être une courbe ascendante. Dans un environnement concurrentiel, rester immobile signifie reculer.
Le pouvoir est relationnel : votre condition dépend de la position des autres. Vous pouvez donc mesurer votre pouvoir en observant les autres. Selon Hobbes, vous avez du pouvoir si vous avez des capacités mentales ou physiques exceptionnelles, si vous êtes très intelligent ou particulièrement attirant. Pour Hobbes, la richesse, la réputation et le réseautage sont également des instruments appropriés pour renforcer sa position. Le succès est une forme de pouvoir.
Dans cette vision de la vie sociale, vous n’atteignez pas vos objectifs avec les autres, mais contre les autres. Les gens ont besoin les uns des autres et peuvent s’engager mutuellement. Si on vous demande beaucoup, c’est une bonne chose : vous valez plus si les autres sont prêts à payer pour vous. Ainsi, votre pouvoir détermine votre valeur et une grande valeur vous donne encore plus de pouvoir. La valeur n’est pas absolue, mais dépend des besoins et du jugement des autres. Un général devient plus précieux en temps de guerre, par exemple.
Hobbes accorde beaucoup d’attention au jeu social. Son analyse explique pourquoi les « j’aime » sur les réseaux sociaux sont si populaires. « Si nous adhérons à l’opinion de quelqu’un, nous honorons cette personne. » La personne a alors plus d’influence, et donc plus de pouvoir.
Cependant, une telle évaluation relationnelle ne vous apprend rien sur ce qui a vraiment de la valeur. La surenchère détermine le prix : plus quelque chose est exclusif et rare, plus il devient cher et plus précieux. On apprécie surtout l’exceptionnel. Dans cette logique, la très grande majorité des gens ne peuvent jamais atteindre un point où ils sont heureux et satisfaits.
Les comparaisons remplacent les idées originales et personnelles : vous jugez comme les autres jugent. Vous voulez surtout ce que les autres trouvent souhaitable. Alors que vous pensez que vous poursuivez vos désirs les plus profonds, vous vous reflétez à l’autre personne, qui fait exactement la même chose. Tout le monde est piégé dans le même jeu, dans la même insatisfaction permanente.
Alors que faire ? Selon Spinoza, l’homme s’efforce en effet de se conserver. C’est un désir de « pouvoir », comme l’a dit Hobbes. Mais quand Spinoza écrit « pouvoir », il parle de « puissance ». Ce qui augmente ou diminue ce pouvoir varie pour chaque personne, pour chaque être, pour chaque chose. Ce qui fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en vous peut donc être très différent de ce qui est bon pour les autres. Il est important de réaliser à quel point on est sensible à ce que les autres pensent. Mais on n’apprend rien sur soi en imitant la situation ou les désirs des autres. Apprenez donc à penser à vous sans comparer. Celui qui se préoccupe peu des autres a plus de chance d’être heureux. Et celui qui s’efforce toujours d’obtenir ce que les autres veulent va droit dans le mur.
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