Vaincre sa phobie des araignées via la réalité virtuelle: «J’ai gagné en sérénité à l’idée d’en voir une»
Vous avez déjà dû appeler des amis à la rescousse en pleine nuit car une araignée venait d’apparaître dans vos toilettes ? Vous avez déjà dû découcher parce qu’une tégénaire avait disparu dans votre chambre ? Moi aussi. Et comme ça devenait invivable, j’ai essayé de combattre mon arachnophobie via une thérapie de groupe centrée sur la réalité virtuelle (VR).
«Mieux comprendre et améliorer sa phobie des araignées ». L’objet du mail retient tout de suite mon attention. Il ne me faut pas réfléchir bien longtemps avant de contacter le psychologue clinicien référencé, Julien Goin. « Vous avez bien fait de m’appeler rapidement, car le groupe est déjà presque complet », me répond-il. Je lui demande tout de même si je serai amené à manipuler de vraies araignées, il me rassure. « Pour traiter une phobie, il faut y aller très progressivement et, surtout, ne jamais traumatiser le patient. Ce n’est donc pas au programme, mais si le groupe est d’accord, on pourra passer du virtuel au réel lors de la dernière séance ». Me voilà inscrit. Nous serons six.
La thérapie s’étalera sur dix heures, réparties en cinq séances organisées dans les locaux de la Clinique Psychologique et Logopédique Universitaire (CPLU) de l’ULiège. Aux côtés de Julien Goin, Yasemin Ayhan, clinicienne mais aussi assistante à l’université. Elle y poursuit un doctorat portant sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes souffrant de schizophrénie par le biais de la réalité virtuelle.
Comprendre d’où vient son arachnophobie
La première séance démarre en douceur. Les psychologues définissent davantage l’arachnophobie. Elle est liée à différents facteurs: culturels, personnels, évolutifs et psychologiques. Il faut aussi savoir distinguer l’arachnophobie de la «simple» peur des araignées. «On parle de phobie lorsque ça impacte le quotidien. Une phobie, ça provoque des réactions très intenses et irrationnelles», précise Julien Goin.
«Dans l’imaginaire collectif, on associe à l’araignée des traits humains peu attirants: la laideur, la méchanceté, le vice. Des clichés qui se transmettent via des films et des livres dès l’enfance, explique Yasemin Ayhan. Vivre une expérience traumatisante dans sa jeunesse peut faire naître une phobie. Le fait d’avoir un parent arachnophobe peut aussi jouer, car ce qui fait peur à une mère a souvent le même impact sur son enfant. Enfin, sur le plan psychologique, l’anxiété, et plus précisément la propension à constamment éviter le danger, constituent des prédispositions au développement de l’arachnophobie.»
L’arachnophobie pourrait aussi être inscrite dans les gènes. «La littérature scientifique est moins fournie sur le sujet, mais on pense que la peur des araignées s’est marquée chez nos ancêtres à une époque où elles étaient réellement dangereuses. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas dans nos contrées, mais c’est resté gravé dans notre génétique et ça se manifeste parfois davantage chez certaines personnes», rapporte Julien Goin.
Des explications qui font écho chez certains arachnophobes dans la salle. «Quand j’étais toute petite, ma mère s’amusait à m’appeler en me disant qu’il y avait une surprise pour moi. J’accourais et, souvent, c’était une grosse araignée. Je ne les aimais pas et, petit à petit, c’est devenu une phobie», confie Capucine, 49 ans, employée administrative.
La peur s’apparente à une phobie à partir du moment où elle a un impact sur le quotidien
Julien Goin
Psychologue clinicien
Les participants sont de tous les âges, mais cinq sur six sont en fait… des participantes. L’arachnophobie serait-elle plus répandue chez les femmes? «C’est ce que montrent les chiffres, confirme Yasemin Ayhan. Cela doit toutefois être contrebalancé par le fait que l’expression de la peur est genrée à travers l’éducation. Dans la société, un homme qui a peur, c’est moins bien vu. Certains arachnophobes ont sans doute moins tendance à se déclarer comme tels.»
Le portrait dressé par les psychologues résonne parmi les patients. «Personnellement, ça s’est accentué lorsque j’ai quitté la maison parentale, raconte Marie, 28 ans, secrétaire. Avant, je savais que je pouvais toujours compter sur quelqu’un de ma famille si je tombais sur une araignée. Seule, c’est tout de suite devenu insurmontable. J’ai déjà dû appeler à plusieurs reprises des voisins ou des amis pour m’en débarrasser. Car quand j’en vois une, je ne sais pas l’affronter. Même pas la tuer. En général, je me tétanise et je pleure.»
Tous les participants partagent le même objectif : réussir à s’en sortir seuls face à l’objet de cette phobie. «Vous n’allez pas sortir d’ici avec l’envie d’adopter une araignée, sourit Julien Goin. Le but est d’élargir votre fenêtre de tolérance pour parvenir à garder votre calme et à agir en conséquence lorsque vous en rencontrez une.»
Des araignées virtuelles très réalistes
Trêve de bavardages: place à la réalité virtuelle. Le casque sur la tête, un premier constat: c’est très réaliste. Tant l’environnement – un bureau – que l’arthropode. Le programme est divisé en 20 niveaux : des araignées de tailles différentes, sous cloche ou non, figées ou mobiles, seules ou plusieurs. Point de suspense: personne n’atteindra les derniers stades, où d’énormes tégénaires nous grimpent sur les bras.
Au fur et à mesure des expositions apparaît la diversité des profils. «Il n’y a pas différents types d’arachnophobie, mais les facteurs de déclenchement varient. On peut avoir peur de leur grosseur, de leurs pattes, de leur corps, de leur imprévisibilité, de leur mouvement… », détaille Julien Goin.
L’exposition et les échanges entre arachnophobes permettent à chacun d’identifier ce qui l’effraie réellement. «Comprendre sa phobie est une étape essentielle dans l’atténuation de celle-ci, puisque cela permet de savoir sur quels ressorts il convient de travailler», souligne le psychologue.
«Apprendre à connaître la vie d’une araignée m’est également utile, ajoute Capucine. Par exemple, je sais maintenant qu’elles sont très fragiles, qu’elles s’essoufflent vite et qu’elles restent très souvent immobiles. Cela devrait m’aider à me déconditionner.»
Révolutionnaire, la VR?
Au fil des séances, chacun s’expose à des araignées virtuelles de plus en plus grosses et de plus en plus mobiles. Mais la VR peut-elle vraiment aider à gagner en sérénité face à une vraie araignée? «En soi, la VR ne soigne pas les phobies, clarifie Julien Goin. Elle n’est qu’un outil pour faire de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), une méthode qui existe depuis des décennies et qui a déjà prouvé son efficacité. Cela consiste à développer des mécanismes d’habituation et des stratégies permettant de mieux gérer ses émotions.»
Dans ce cadre, la réalité virtuelle offre plusieurs avantages. D’une part, elle offre d’énormes possibilités de gradation dans l’exposition. Chacun progresse à son rythme, sans jamais être mis face à une situation ingérable. D’autre part, la VR favorise l’adhésion au traitement. «De nombreuses personnes se refusent à consulter car elles ne veulent pas être confrontées à de vraies araignées. Débuter avec des virtuelles leur semble beaucoup plus acceptable», développe le clinicien.
La VR permet d’accumuler les petites réussites et de gagner en confiance
Yasemin Ayhan
Psychologue clinicienne, assistante et doctorante
«La VR est également très bénéfique pour le sentiment d’auto-efficacité, complète Yasemin Ayhan. Elle permet d’accumuler les petites réussites et d’entrer dans un cercle vertueux qui renforce la confiance du patient. S’il est directement confronté à une vraie et qu’il panique, il risque de ne plus vouloir poursuivre le traitement.»
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Bilan? Positif, mais incertain
Pour la dernière séance, les psychologues apportent de vraies araignées. Des faucheuses, pas vraiment impressionnantes. Autour d’une table, chacun les observe dans leur bocal. Puis Julien Goin les libère et elles déambulent, une à la fois, devant nos yeux. La plupart d’entre nous parvenons à reposer le bocal dessus – ce qui, normalement, peut être un calvaire pour les arachnophobes.
Mission réussie ? Impossible à dire. Chacun est convaincu des bienfaits de la thérapie, sans pouvoir en mesurer l’étendue. «J’ai l’impression d’être plus sereine à l’idée d’en voir une. Avant, j’en cherchais dès que j’entrais dans une pièce. Maintenant, plus. Je me suis même prise à avoir de la peine pour une toute petite que j’ai trouvée chez moi», raconte Marie. «Je pense aussi que ça a atténué ma peur. Je me sens désormais capable de nettoyer mes vitres, où il y a toujours beaucoup de petites araignées. Mais tout de même en les tuant, bien que je sache que ce n’est pas une bonne chose», poursuit Capucine.
Pour tous, le test ultime sera la prochaine confrontation avec une tégénaire. Cela n’est encore arrivé à personne : à cette période de l’année, elles se cachent. On aura peut-être un élément de réponse d’ici deux mois, à l’occasion d’une séance de renforcement. Les psychologues ont promis de se décarcasser pour mettre la main sur une « grosse velue » et nous y exposer – toujours selon la sensibilité de chacun.
Si ça ne suffit pas, il restera toujours possible d’entamer des consultations individuelles centrées autour de vraies araignées, maintenant que nous avons franchi l’étape de la VR. « Ce que vous avez acquis n’est de toute façon jamais perdu », assure Julien Goin. C’est tout à fait vrai : à chaque séance, nous aurons toutes et tous redémarré notre exposition au niveau sur lequel nous avions buté la fois précédente.
Des soins psychologiques de première ligne à prix accessibles
La question financière peut constituer un frein à l’entame d’une thérapie.
Depuis 2021, l’INAMI finance la psychologie de première ligne de façon à proposer des soins à des prix accessibles.
Pour les adultes à partir de 24 ans, les thérapies de groupe comme celle décrite ici coûtent 2,5 euros par séance. Le nombre de séances de groupe n’est pas limité. Les séances individuelles coûtent 11 euros (4 euros pour les bénéficiaires du statut BIM). La première séance individuelle est gratuite. Le soutien psychologique est limité à huit séances par an, le traitement psychologique (lorsque le soutien s’avère insuffisant) à 20 séances par an.
Pour les enfants, adolescents et adultes jusqu’à 23 ans compris, les séances de groupe et individuelles sont gratuites. Le soutien psychologique est limité à 10 séances par an, le traitement psychologique à 20 séances par an.
Toutes les informations sur le remboursement des soins psychologiques de première ligne se trouvent ici. Pour identifier le réseau à proximité de votre domicile et prendre rendez-vous avec un psychologue conventionné en vue de bénéficier de ces tarifs accessibles, rendez-vous ici.
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