Un Belge sur quatre a consommé au moins un psychotrope en 2022. - Getty Images

Surconsommation de psychotropes en Belgique : «La plupart de ces molécules sont des solutions de facilité»

En 2022, trois millions de patients ont consommé des médicaments psychotropes légaux en Belgique, une situation alarmante pour de nombreux travailleurs de la santé. Focus sur les avantages et les dangers de ces médicaments.

Ce sont de petites pilules qui peuvent soulager les maux les plus profonds : dépression, anxiété, psychoses ou encore insomnies. En Belgique et ailleurs, des psychotropes sont prescrits quotidiennement à des patients qui souffrent de problèmes physiques ou mentaux. En 2022, un quart de la population belge a consommé au moins un médicament psychotrope, selon le Belgian Psychotropics Expert Platform (BelPEP). Pourtant, leur consommation n’est pas si anodine que ça. 

«Ce chiffre reflète une souffrance psychique importante dans la population et le désir de se sortir de certains symptômes, note Kevin Moens, directeur médical de l’ASBL Projet Lama, qui vient en aide aux personnes en situation d’addiction. Mais ça signifie aussi qu’aujourd’hui on a tendance à pathologiser et à médicaliser très vite cette souffrance.»

Des utilités différentes

Un psychotrope désigne toute substance qui peut modifier l’activité cérébrale. Il peut être légal, comme des médicaments, l’alcool et le tabac, ou illégal, à l’instar des drogues. 

Les médicaments psychotropes peuvent être prescrits pour de nombreuses raisons. En Belgique, les plus populaires sont les benzodiazépines, qui regroupent des somnifères et des calmants. 

«Les benzodiazépines sont prescrites très souvent pour des troubles du sommeil et de l’anxiété, indique Étienne Quertemont, doyen de la faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation à l’ULiège. Ils sont très utiles s’il y a une période de crise difficile et ponctuelle.»

Les antidépresseurs se positionnent en seconde position des médicaments psychotropes les plus consommés. Selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),  la Belgique était le dixième pays le plus consommateur d’antidépresseur, avec un ratio de 8,6 doses quotidiennes pour 100 habitants. Une consommation en augmentation depuis 10 ans, alors que le chiffre s’élevait à 6,8 en 2010. 

«Les antidépresseurs ont tendance à être consommés de manière régulière et parfois chronique. Mais ils ne traitent que les symptômes de la dépression», précise Étienne Quertemont. 

Pour certaines personnes, la consommation de la substance devient un problème plus grave que celui pour lequel on prenait la molécule au départ.

Étienne Quertemont, doyen de la faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation à l’ULiège

De leur côté, les antipsychotiques et psychostimulants sont respectivement utilisés pour les délires psychotiques et de troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Ces deux catégories de médicaments sont souvent consommées sur le long terme. La première permet de maintenir un état de fonctionnement correct, alors que la guérison des personnes atteintes de troubles psychotiques est difficile, voire impossible. Pour les psychostimulants, une surveillance médicale est particulièrement nécessaire, ces psychotropes étant proches des amphétamines. 

Des prises parfois à risque

Même s’ils sont légaux et consommés par plusieurs millions de personnes, les médicaments psychotropes ne sont pas à prendre à la légère. 

«Je pense qu’on prescrit trop de psychotropes, et pour un certain nombre d’entre eux, on les prescrit pendant beaucoup trop de temps, remarque Étienne Quertemont. Pour certaines personnes, la consommation de la substance devient un problème plus grave que celui pour lequel on prenait la molécule au départ.»

Une bonne partie de la souffrance psychologique des gens vient vraiment d’une souffrance sociale, souvent liée à des insécurités financières. Il faut faire attention à ne pas médicaliser cette souffrance sociale, ce qui ne résout pas le problème, mais en crée de nouveaux.

Kevin Moens, directeur médical de l’ASBL Projet Lama

La dépendance et l’accoutumance font partie des conséquences qui peuvent survenir en cas de surconsommation. Cela peut être le cas avec les benzodiazépines. Au bout de quelques semaines de prise, il peut devenir nécessaire d’augmenter la dose pour s’endormir ou se calmer. Cela peut alors amener à des excès, hors du contrôle médical, avec, par exemple, des prescriptions multiples.

«On a quelques personnes qui vont commencer par voir plusieurs médecins généralistes et des pharmacies qui font des ordonnances pour des médicaments, sans savoir que d’autres le font déjà», indique Kevin Moens.

Prise excessivement et sans surveillance médicale, une dose trop forte de benzodiazépines peut provoquer des effets secondaires, comme des pertes de mémoire et de concentration. 

«Il y a des témoignages de personnes qui sont encore sous l’effet de la substance quand elles se lèvent, et qui sont obligées de consommer un psychostimulant pour pouvoir fonctionner normalement», alerte Étienne Quertemont.

Les antipsychotiques peuvent, de leur côté, avoir des effets secondaires physiques, surtout quand la dose est élevée. Ils se traduisent par des mouvements du corps incontrôlés, des étourdissements, de l’agitation ou encore un risque de diabète. 

Éviter les psychotropes

Kevin Moens souligne qu’il est nécessaire de trouver un moyen de centraliser les dossiers des patients dans le cas de prescription de médicaments comme les benzodiazépines ou certains opioïdes.

«Dans les pharmacies, il y a la possibilité d’avoir accès aux données pharmaceutiques du patient, mais ce dernier doit donner son accord. C’est intéressant pour la garantie de la vie privée des gens, mais cela peut poser des problèmes quand on parle de médicaments qui ont un risque de dépendance

Pour Étienne Quertemont, le constat est simple : la surconsommation de psychotropes en Belgique traduit d’un problème dans la gestion de la santé mentale

«Cet abus de psychostimulants est quelque part un symptôme du fait que la santé mentale en Belgique est souvent peu prise au sérieux, avec peu d’investissements, assure le psychologue. La plupart de ces molécules sont des solutions de facilité, qui ne traitent que les symptômes, mais ne permettent pas de guérir à long terme.»

Car des solutions existent pour éviter la prise de certains psychotropes. Cela passe notamment par le traitement du problème qui amène les symptômes, avec un accompagnement psychologique ou psychothérapique. Mais cette solution est plus lente et parfois coûteuse. 

«Une bonne partie de la souffrance psychologique des gens vient vraiment d’une souffrance sociale, souvent liée à des insécurités financières, précise Kevin Moens. Il faut faire attention à ne pas médicaliser cette souffrance sociale, ce qui ne résout pas le problème, mais en crée de nouveaux

Suite à ce constat de surconsommation de psychotropes en Belgique, le BelPEP et la Santé publique ont lancé mi-septembre une campagne de sensibilisation pour les travailleurs de la santé, afin de diminuer leur prescription dans le pays.

Lila Maitre

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