Psychologie : des objets pour soigner l’âme
Chaise vide, jeu de l’oie ou de cartes, masque, blason… A priori, rien ne prédispose ces objets à occuper une place de choix dans les cabinets des psychologues. Ils peuvent pourtant s’avérer précieux. Et ce n’est qu’un début…
«Qu’ on les appelle “objets flottants” dans le courant systémique, “media malléables” en psychanalyse ou par d’autres noms, les objets médiateurs s’adressent à tout le monde, dans la mesure où ils sont pensés et adaptés à chacun: on ne proposera pas les mêmes outils, et surtout de la même manière, à une famille, un enfant, un couple, ou en individuel, précise Sandie Meillerais, psychologue clinicienne à l’UMons, qui consacre sa thèse au sujet. On peut utiliser un blason familial, la chaise vide, le jeu de l’oie de façon très différente selon les pathologies et les problématiques.»
L’objet installe un espace intermédiaire entre le patient et le thérapeute, propose un autre chemin que la verbalisation.
«On recourt à la chaise vide avec quelqu’un qui travaillera sur lui-même et inviter son alter ego du passé ou du futur, ou dans une approche d’accompagnement du deuil avec un tiers», illustre Olivier Sorel, docteur en psychologie, clinicien et formateur en France. «L’ objet installe un espace intermédiaire entre le patient et le thérapeute, propose un autre chemin que la verbalisation, un autre canal pour la communication, pour l’expérimentation, pour les interactions, qui s’inscrit dans quelque chose de l’ordre de l’expérience, du vécu pour le patient, mais aussi pour le thérapeute, d’un élément partagé entre les deux, enchaîne Sandie Meillerais. Chaque objet a sa spécificité, en fonction du thérapeute, de son utilisation, de ses objectifs, des patients, de leur problématique, de la temporalité des séances. Il peut aider à entrer en relation avec des patients réticents, comme les adolescents par exemple, s’ancrer en milieu de traitement ou permettre de clôturer une thérapie.»
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Manipuler pour progresser
«Pour moi, un objet peut être un support ou une extension, que j’utilise pour aller plus vite, ou plus loin, indique Olivier Sorel. Nous appartenons à une espèce qui manipule. En psychologie cognitive, on sait que les performances intellectuelles sont améliorées par la manipulation: il est plus facile de procéder par essai et erreur. L’objet peut aussi être un prolongement de la communication, comme le bâton de parole qu’on passe à chaque membre de la famille, ou une opportunité de décentration. Je pense même que la métaphore pourrait rentrer dans la définition d’un objet.»
On le voit, ces outils ont donc beaucoup à offrir. «On n’en est qu’au début de leur découverte», souligne Sandie Meillerais. Ils ne datent pourtant pas d’hier: «Les objets existent depuis toujours dans le soin, avec des phénomènes de catharsis dans l’art antique. Plus tard en psychanalyse, Donald Winnicott (NDLR: figure majeure de la psychanalyse des enfants) a beaucoup utilisé le Squiggle, un dessin à compléter par les enfants, mais les objets flottants ne sont apparus comme tels que dans les années 1990», précise la chercheuse de l’UMons, en insistant sur le défi que représente leur objectivation. «La question de leur validation scientifique est difficile, confirme Olivier Sorel. Mais pour moi, un objet est valide s’il me permet d’atteindre mon objectif.»
Or, les objets médiateurs présentent «un gros potentiel pour les thérapeutes», selon la psychologue. Pour son confrère français, «une des questions qui émerge concerne leur passage à la réalité virtuelle». L’avenir appartiendrait ainsi aux objets… dématérialisés.
Trois objets flottants et leur utilisation
Au jeu de l’oie, on demande à chaque membre d’un groupe (famille, couple…) de choisir dix événements marquants de leur vie commune, puis d’en discuter. Quand un consensus est trouvé, chaque participant doit colorer ces épisodes en séance. Il existe des symboles à double tranchant, comme la prison qui permet de méditer mais contraint à l’arrêt. On discute enfin du départ et de l’arrivée. «Ce jeu permet de travailler mythe, appartenance, différenciation», résume Sandie Meillerais.
Elaborées par nos interlocuteurs, les cartes de super-héros montrent que chacun possède des points forts et des points faibles: «Hulk est fort, mais a du mal à réguler ses émotions», illustre Olivier Sorel. Le but du jeu? Construire la carte du patient (surtout jeune) avec ses compétences. Des jetons à disposer représentent les objectifs cliniques, comportementaux: «On est dans une approche de valorisation, l’idée est d’activer la ressource, avec un ancrage corporel d’une expérience positive.» Le processus peut être étendu à autrui, et à la famille.
Avec les sculpturations, le patient doit modeler un proche en le manipulant ou en l’animant comme un pantin avec des fils imaginaires, voire en utilisant un mannequin en bois, mais toujours avec une écoute corporelle non verbale. On peut aussi demander au sujet de tenir la posture, puis d’exprimer son ressenti. Cet outil peut être utilisé en groupe, mais également en supervision et en formation. «Il permet de comprendre les interactions et de proposer des pistes thérapeutiques», rapporte Sandie Meillerais.
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