La charcuterie augmenterait le risque de démence
Décidément la charcuterie n’a pas bonne presse chez les chercheurs. Une vaste étude pointe le risque accru de démence (et donc d’Alzheimer?) chez les plus gros mangeurs.
De la chiffonnade de coppa à l’apéro, du jambon de Parme avec le melon en entrée, des saucisses de Francfort pour couronner la choucroute… Qui, à part les végétariens et les végans, n’a pas l’eau à la bouche en lisant cette énumération gastronomique? Franchement, la charcuterie a de quoi faire saliver les gourmets. Mais tout ce qui est bon pour les papilles ne l’est pas forcément pour le reste du corps. Ces dernières années, les études évaluant les effets néfastes de la charcuterie se sont multipliées, la plupart pointant des risques de maladie cardiovasculaire ou de cancer, en particulier celui du côlon. Mais –mauvaise nouvelle pour les amateurs de cochonnailles– voilà que des études évoquent désormais un risque de démence lié à la consommation de viande rouge transformée et ce risque n’est pas seulement dû à la présence de nitrites et de nitrates dans les produits carnés.
La dernière en date, publiée dans le numéro de février de la revue médicale Neurology, a été réalisée par une équipe de chercheurs américains de l’université Harvard. Cette étude dite de cohorte (car elle suit un grand groupe d’individus) porte sur 133.771 personnes âgées en moyenne de 49 ans. De ce panel énorme, 11.173 ont reçu un diagnostic de démence. Les chercheurs qui ont pris en compte des décennies d’information sur les habitudes et régimes alimentaires des participants concluent que le fait de manger de grandes quantités de viande rouge, en particulier sous forme transformée, augmentait le risque de démence de 13%. Cela paraît peu a priori, mais c’est significatif d’un point de vue scientifique. Cela tend aussi à confirmer une autre étude, réalisée il y a un an par des chercheurs australiens et publiée dans Journal of Alzheimer’s Disease.
Démence et Alzheimer
Celle-ci examinait le régime alimentaire de 438 Australiens, dont 108 atteints de la maladie d’Alzheimer. Résultat: ces derniers avaient tendance à manger régulièrement des aliments tels que des pâtés à la viande, des saucisses, du jambon, des pizzas et des hamburgers. Ils consommaient également moins de fruits et de légumes tels que des oranges, des fraises, des avocats, des poivrons, des concombres, des carottes, du chou et des épinards, soit des aliments bruts non transformés. Cette étude, dont l’auteur principal est une doctorante de la Bond Business School, près de Brisbane, dans le domaine des statistiques de santé, est moins aboutie que celle d’Harvard. Pour bien les appréhender, nous avons demandé au Pr. Bernard Hanseeuw, des cliniques universitaires Saint-Luc, qui est aussi président de la Société belge de neurologie, d’y jeter un œil.
«L’étude d’Harvard insiste sur le fait que l’association observée concerne la consommation de viande et la démence, pas forcément la maladie d’Alzheimer, note le spécialiste. L’étude australienne parle, elle, de la maladie d’Alzheimer en utilisant les critères de diagnostic de la démence, qui ne démontrent pas que les patients identifiés ont effectivement la maladie d’Alzheimer.» Il faut en effet distinguer les deux. La démence est une perte d’autonomie suite à d’importants troubles cognitifs. Elle peut entraîner une incapacité à vivre seul dans son domicile. La maladie d’Alzheimer est une pathologie cérébrale caractérisée par des agrégats de deux molécules, les protéines tau et les peptides amyloïdes, qui sont les composants principaux de lésions neuropathologiques. Ces agrégats provoquent d’abord des troubles cognitifs légers qui s’amplifient progressivement pour aboutir à une phase de démence entraînant la perte d’autonomie.
«Environ 60% des cas de démence sont causés par la maladie d’Alzheimer, indique le Pr. Hanseeuw. La pathologie cérébro-vasculaire, comme l’AVC, en est la deuxième cause à hauteur de 30%. Dans certains cas, les deux pathologies peuvent être présentes conjointement dans le cerveau.» Selon l’OMS, 55 millions d’êtres humains seraient atteints de démence aujourd’hui et on compte près de dix millions de nouveaux cas chaque année. En l’absence de traitement curatif, on comptera 82 millions de cas de démence dans cinq ans. Plus spécifiquement pour l’Alzheimer, qui est un problème majeur de santé publique, il n’existe aucun traitement probant, même si est en train d’apparaître une nouvelle classe de médicaments visant non plus seulement les symptômes mais aussi les causes, ciblant les plaques amyloïdes.
Par ailleurs, en Belgique actuellement, il n’y a aucun moyen de diagnostiquer la maladie avant le stade de la démence. La prévention joue dès lors un rôle essentiel dans ce genre d’affection. Et cela passe visiblement de plus en plus par l’alimentation. L’étude américaine relève trois hypothèses d’explication d’un lien entre la charcuterie et la démence. Tout d’abord, la circulation sanguine peut être altérée en raison de la teneur en graisse saturée et en sel dans le sang, pouvant entraîner des maladies cardiovasculaires. Or, le cerveau fourmille de vaisseaux sanguins qui, en cas de lésions, peuvent causer des accidents comme l’AVC qui sont, on l’a vu, responsables de 30% des cas de démence. Autre hypothèse: l’agrégation de protéines tau et amyloïdes est provoquée par certains éléments dont pourrait faire partie le composé de la dégradation de la viande par les bactéries. Il s’agit du trimethylamine–N–oxyde (TMAO) qu’on retrouve aussi dans les poissons d’eau profonde, les œufs ou le lait.
Nitrites et nitrates
Enfin, les sels nitrés sont également pointés, car ils peuvent endommager l’ADN et donc gâter les cellules du cerveau. On sait, depuis longtemps maintenant, que les nitrites (E249-250) et les nitrates (E251-252), ces conservateurs utilisés dans la charcuterie pour fixer sa couleur rosée, sont à éviter. Il y a trois ans, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a conclu que l’exposition aux nitrosamines, formés par les nitrites et nitrates, était cancérigène et pouvait endommager l’ADN. Ce qui a amené la Commission européenne à abaisser de manière plus stricte les limites autorisées de ces additifs alimentaires. Pour les associations de défense de consommateurs, comme testachats, ces seuils ne sont néanmoins pas assez ambitieux.
«Je ne suis pas surpris de retrouver une association entre la consommation de ces nourritures et la démence vasculaire dans la population en général, commente Bernard Hanseeuw. On sait que l’atteinte des petits vaisseaux cérébraux peut conduire à des troubles cognitifs. Mais si la consommation de viande rouge ou transformée augmente le risque de démence vasculaire, cela ne signifie pas pourtant qu’elle favorise la survenue d’une maladie d’Alzheimer. Ce pourrait être le cas, mais ce n’est pas clairement démontré par les études.» Il est vrai que concernant l’effet du TMAO, les chercheurs d’Harvard reconnaissent que les recherches sont encore limitées. «Pour le démontrer, il faudrait pouvoir faire des mesures de la pathologie Alzheimer via PET-scanner ou ponction lombaire, continue le neurologue de Saint-Luc. Des recherches sont en cours pour développer des marqueurs sanguins.»
L’alimentation n’est pas non plus le seul facteur qu’on peut associer à la démence. Loin de là. «Les scientifiques américains reconnaissent eux-mêmes que ce type de maladie est aussi directement liée à l’âge, au diabète, au tabagisme, à l’excès d’alcool, et au mode de vie sur un long terme. Daniel Wang, auteur de l’étude et professeur de nutrition à Harvard, conclut ainsi son travail: «Nous continuons à reconstituer cette histoire pour comprendre les mécanismes à l’origine de la démence et du déclin cognitif.»
En attendant leurs avancées, peut-on encore consommer de la charcuterie ou doit-on définitivement se priver de ce plaisir gustatif? Toujours selon l’étude, les personnes qui consomment en moyenne, chaque jour, un quart ou plus d’une portion de viande rouge transformée (une portion équivalant à 85 grammes) augmenteraient de 13% leur risque de développer une démence, par rapport à celles qui en mangent une quantité minime, soit une moyenne d’un dixième de portion par jour. Encore une fois, il s’agit de tenir compte d’autres facteurs comme le style de vie ou les antécédents familiaux pour évaluer les risques de démence. Selon les pays, les recommandations des autorités sanitaires sont différentes. Rien qu’entre la Belgique et la France, les quantités maximales conseillées varient du simple au quintuple, soit 30 grammes de charcuterie ou viande transformée par semaine côté belge et 150 grammes par semaine côté français. Sans faire des calculs d’apothicaire, le bon sens est de toute façon de privilégier la qualité à la quantité. Le plaisir n’en sera que plus grand.
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