Burnout sportif
Comme dans le travail, comme des parents, les sportifs peuvent faire face à des passages à vide émotionnels. On pourrait les appeler «burnout». © Getty Images

Burnout sportif, ou quand les obsessions supplantent la passion: «J’ai été obligée de m’arrêter, ça m’a soulagée»

Lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des efforts investis, certains peuvent imploser. Parfois mal perçu, le burnout fait souffrir de nombreux athlètes, professionnels ou amateurs.

«C’était il y a deux ans. Je m’étais blessée, ce qui m’a contraint de mettre un terme à ma saison. Jusqu’alors, j’aurais très mal vécu cette incapacité à jouer. Cette fois-là, ce fut un soulagement.» Maurane*, la trentaine, a pratiqué durant plus de 20 ans un sport qui la passionnait et pour lequel elle était impliquée corps et âme. «Avec le recul, certainement un peu trop», ­commente l’ex-volleyeuse.

Comme dans le travail, les sportifs peuvent faire face à des passages à vide émotionnels. On pourrait les appeler ­burnouts, «même s’il est toujours difficile de diagnostiquer un burnout», commente Damien Brevers, psychologue du sport. Son confrère Jean Colinet préfère qualifier ces périodes difficiles d’«épuisement» ou de «blessures psychologiques».

Peu médiatisé, peut-être un peu tabou aussi, le burnout sportif n’a pourtant pas fait son apparition dans le lexique du sport récemment. En 1984 déjà, le psychologue Ronald E. Smith conceptualisait ce qu’il a appelé «l’athletic burnout», différent du syndrome de surentraînement, qui est, lui, la conséquence «d’une balance inadéquate entre charges d’entraînement et périodes de récupération», écrit Sabine Afflelou, médecin psychiatre. «On ne fait pas un burnout parce que l’on fait beaucoup de sport, abonde Manuel Dupuis, psychologue du sport et coordinateur psycho-sport au Sporting de Charleroi. Le burnout, c’est une forme d’épuisement non seulement psychique, mais aussi émotionnel. Il est lié à une déception, par exemple quand le sportif s’est beaucoup investi, mais qu’il ne voit pas les résultats de ses efforts, ou parce qu’il n’a pas été repris dans une sélection. Il s’agit d’une forme d’injustice mal vécue.»  Un ­sentiment d’injustice qui peut être causé par les attentes irréalistes du sportif, mais aussi par la pression des entraîneurs ou des proches.

Pro ou amateur, même combat

Souvent, le désir de performance est lié aux athlètes de haut niveau. Mais les sportifs amateurs aussi peuvent avoir des objectifs de performance insatisfaits. Jean Colinet, psychologue clinicien ayant collaboré avec le Team Belgium aux Jeux olympiques, estime même que «certains amateurs mettent dans leur sport plus d’importance que ceux qui peuvent en retirer un bénéfice financier». Il insiste: «Ce n’est pas le fait d’être pro qui peut entraîner un épuisement émotionnel, mais le degré d’implication

Quand j’ai été obligée de m’arrêter, j’ai été soulagée. Plus tard, j’ai compris que j’avais connu un épuisement émotionnel.

«Je n’avais pas l’étoffe d’une joueuse pro, mais j’avais de l’ambition, se souvient Maurane. Celle d’être la meilleure, mais aussi d’évoluer.» Mue par la passion, la jeune femme passe alors cinq jours par semaine sur le terrain. Ce rythme effréné est stoppé net lorsqu’elle entame des études à Bruxelles. De retour dans sa ville natale, Maurane se remet au volley avec, comme seule volonté, celle de jouer à nouveau. Du moins, dans un premier temps. «J’ai constaté que je n’avais presque rien perdu de mon jeu, alors l’ambition est très vite revenue. Cette fois, mon objectif est encore plus net: atteindre le niveau national avant mes 30 ans.»

«Il y a quelques années, les difficultés mentales des sportifs étaient souvent perçues comme un gage de faiblesse.» © Getty Images

Elle touche ce but du bout des doigts. «J’ai intégré une équipe provinciale, en m’entraînant en plus dans une équipe nationale», raconte la sportive. «L’année suivante, je comptais pleinement intégrer cette deuxième équipe. Mes efforts y étaient encouragés, ce qui était gratifiant, car je ne me sentais pas à ma place dans ma « team officielle ». La mentalité ne me correspondait pas.»

Le vent finit toutefois par tourner ­lorsqu’au bout de trois mois, elle est ­évincée de l’équipe nationale pour des raisons qui restent à ce jour encore floues. Décision qu’elle est contrainte d’accepter. «Dans mon équipe principale, mes ambitions étaient également mouchées. En colère et déçue, je  ne prenais plus de plaisir sur le terrain. Mais laisser tomber n’était pas une option. Cela ne m’a même pas traversé l’esprit. ­J’allais aux entraînements et aux matchs avec des pieds de plomb, mais j’y allais.»

Il y a ensuite cette blessure. C’est là que Maurane prend conscience du mal qu’elle se fait. «A la maison, je parlais de volley tout le temps, mais plus jamais de manière positive. Quand j’ai été obligée de m’arrêter, j’ai été soulagée. Je ne l’ai pas compris tout de suite, mais en discutant avec des psychologues et des sportifs dans le cadre de mon travail, j’ai réalisé que j’avais connu un épuisement émotionnel. Si j’avais continué, peut-être aurais-je atteint le burnout.»

Des difficultés, mais pas des faiblesses

Comme Maurane, certains sportifs ne prennent pas conscience tout de suite du problème. A l’inverse, indique Damien Brevers, «les personnes qui conscientisent leur état de fatigue émotionnel et psychologique décident de diminuer la fréquence, voire d’arrêter leur sport, et aussi de consulter». Une remise en question totale est nécessaire, insiste le psychologue. «Or, il y a quelques années encore, la santé mentale des sportifs était très peu abordée. Les difficultés mentales étaient souvent perçues comme une faiblesse

Sans pour autant parler de tabou, ­l’ancienne triathlète belge Claire Michel confirme que les mentalités ont changé, ces dix dernières années. «Les équipes aident davantage et mieux les athlètes. Aux derniers Jeux olympiques, le Team Belgium avait un Wellfare Officer attaché au bien-être des sportifs. Avant Paris, ça n’existait pas. En sport, comme dans les arts, il y a beaucoup d’émotions. Ne pas en parler nuit à beaucoup de personnes.»

Il y a quelques années, les difficultés mentales étaient souvent perçues comme un gage de faiblesse.

Elle-même a connu ce qu’elle qualifie des «périodes de passage à vide» après chacune de ses trois participations aux JO. En 2016, à Rio, Claire Michel est disqualifiée. Ne souhaitant pas «être associé à cet échec», son entraîneur met un terme à leur collaboration. En 2020, à Tokyo, elle termine dernière de l’épreuve individuelle. En 2024, à Paris, la triathlète finit 38e de la course solo mais tombe malade, entraînant le forfait du relais mixte. «Mes Jeux ont tous été marqués par des contre-performances qui m’ont miné le moral. J’ai vécu des périodes dépressives couplées à de la fatigue chronique, se souvient l’athlète. Parfois, je me disais que je n’allais pas m’en sortir. Je me demandais si ça valait la peine de continuer. C’était moins brutal à Paris, uniquement parce que je m’étais préparée au contrecoup.»

Après ses trois Jeux olympiques, la triathlète belge Claire Michel a connu des passages à vide qui l’ont fait douter de ses capacités et de sa passion. © Getty Images

Ces passages à vide étaient exacerbés par le manque de médiatisation du triathlon. «Une forte pression pèse sur les triathlètes, qui n’ont qu’une seule opportunité de faire briller leur sport. On a parfois l’impression qu’une carrière de douze ou quinze ans se joue en trois jours.»

Sauf que ce n’est pas le cas, corrige Claire Michel. Avec la maturité, l’expérience et une meilleure compréhension d’elle-même, elle relativise ses échecs. «Le sport ne définit pas ma personnalité. Comme les échecs ne définissent pas mes qualités d’athlète, souligne la Belge. Ce sont d’ailleurs souvent les autres qui ont défini pour moi ce qu’était un échec. J’ai peut-être été déçue de mes performances, mais je l’aurais été encore plus si je n’avais pas essayé. Pour moi, la réussite, c’est d’avoir tout mis en place pour poursuivre mon rêve olympique», ajoute celle qui, depuis quelques mois, est devenue la directrice technique de la Ligue francophone de triathlon.

Surmonter le burnout sportif et raviver la passion

Raviver la passionManque d’envie; difficultés à se rendre à sa compétition; habitudes qui paraissaient normales mais qui deviennent insurmontables; blessures qui semblent anormales: le burn­out sportif se manifeste sous ­différentes formes. Jean Colinet évoque l’existence d’un lien «corps-esprit». A l’image du cheminement de pensée de Claire Michel, guérir d’un burnout sportif passe par une remise en question, mais également par un accompagnement spécifique. «Avec un professionnel, exhorte Manuel Dupuis. Les gens ont tendance à s’autodiagnostiquer et prennent alors le risque d’aller de moins en moins bien, de construire une image d’eux-mêmes négative et de s’identifier au burnout.»

J’ai peut-être été déçue de mes performances, mais pour moi, la réussite, c’est d’avoir mis tout en place pour poursuivre mon rêve olympique.

Arrêter la pratique de «son» sport pendant un temps, mais reprendre en n’ayant pas travaillé sur le problème sous-jacent est de fait contre-productif, le schéma pourrait se répéter. «Généralement, les personnes restent motivées et souhaitent s’en sortir. Il est rare qu’un sportif arrête totalement sa pratique. Si la reprise est difficile, voire impossible, c’est que le burn­out n’est pas « guéri », bien que je préfère parler d’équilibre plutôt que de guérison, indique Damien Brevers. Dans ce cas-là, on va travailler sur une revalorisation du sport et de la motivation pour aider le sportif à raviver sa passion. C’est parfois long. Il faut «mettre en place de vrais changements pour aller mieux, abonde Jean Colinet. Comme pour un burn­out professionnel.»

*Le prénom a été modifié.

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