Carte blanche
Autisme: bénéficier d’un accompagnement et d’une thérapie adaptés reste un privilège rare (carte blanche)
Il y a un an, le Centre de Ressources Autisme de Liège fermait ses portes aux adultes en recherche d’un diagnostic. A l’époque, il fallait attendre 16 ans pour un premier rendez-vous ! Le seul mérite de ce triste événement fut peut-être de porter sur la place publique la question du diagnostic tardif des troubles du spectre autistique (TSA) et de mettre en lumière le manque criant de structures adaptées.
La situation n’a guère évolué depuis.
En cette journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, nous soulignons à nouveau l’importance de l’accès à ce diagnostic, et nous dénonçons l’insuffisance de la considération de l’autisme en Belgique, qui touche pourtant 80 000 personnes – sans compter leurs familles, leurs amis, leurs collègues.
Être diagnostiquée autiste à l’âge adulte
La notion d’autisme a connu une forte évolution depuis les années 80, pour être aujourd’hui défini comme un ensemble de troubles dits « du spectre autistique ». Ce spectre n’est pas linéaire, mais représente une structure complexe : une personne autiste présente des caractéristiques dans différents domaines, et au sein de chacun les particularités de cette personne s’expriment avec une intensité différente, et varier avec le temps. Les personnes autistes ont donc des profils très divers et souvent assez éloignés des stéréotypes.
L’évolution des recherches sur l’autisme explique qu’un certain nombre de personnes n’ont pas été diagnostiquées durant l’enfance : l’état des connaissances ne le permettait tout simplement pas.
Ces recherches et leur vulgarisation, la multiplication des témoignages et l’émergence d’une communauté autiste, favorisent petit à petit l’accès à l’information. En conséquence, les personnes qui cherchent des réponses à leur vécu sont plus nombreuses à pouvoir émettre l’hypothèse de l’autisme et à en chercher une confirmation.
Remarquons que de plus en plus de recherches universitaires sont menées par et avec des autistes, permettant aux connaissances d’évoluer, et apportant un regard nouveau sur l’autisme.
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Trouver le bon diagnostic : un chemin compliqué
D’autres facteurs que l’âge tiennent les personnes éloignées d’une suspicion d’autisme.
Le manque de mise à jour des professionnelles des milieux éducatifs, thérapeutiques et institutionnels, pourtant au premier rang pour identifier certains signes et orienter vers des services appropriés, en fait partie.
Les stéréotypes présents dans la culture populaire et les médias véhiculent des représentations souvent erronées ou dépassées, entretenant des préjugés défavorables aux autistes.
Le genre, l’appartenance ethnique ou la nationalité, la classe sociale, la présence de pathologies mentales sont d’autres paramètres qui biaisent l’approche médico-thérapeutique.
Le statut socio-culturel détermine également le processus diagnostique : il faut un niveau d’éducation suffisant pour envisager pour soi ce diagnostic, avant d’en chercher la confirmation ; il faut des moyens financiers non négligeables pour demander un diagnostic dans un cabinet privé.
L’insuffisance de structures publiques compétentes pose un vrai problème de justice sociale en termes d’accès aux soins.
Un besoin pourtant criant
Un bon nombre d’adultes autistes se tournent vers un diagnostic à un moment de rupture dans leur parcours de vie, lors d’un épuisement, ou d’une dépression. Peu ont accès à l’emploi et à un revenu « convenable ». Beaucoup vivent la précarité.
Très souvent, loin d’être une condamnation, le diagnostic d’autisme à l’âge adulte signifie une libération : il est la clé de compréhension de nombreux obstacles rencontrés sur un parcours souvent difficile. Les personnes autistes qui s’ignorent ont des risques bien plus élevés de développer des troubles de santé mentale et d’envisager le suicide. Elles ont un risque accru de vivre des violences dans toutes les sphères de leur vie : harcèlement scolaire et au travail, maltraitances familiales, violences sexuelles, exclusion sociale. C’est pourquoi le diagnostic est aussi une étape essentielle dans la reconstruction de l’estime de soi après une existence souvent malmenée. Enfin, il est indispensable pour ré-envisager son insertion professionnelle, son parcours scolaire ou sa vie sociale de manière plus apaisée.
La reconnaissance nécessaire des TSA dans leur diversité
« Autisme » est encore un gros mot. Il évoque souvent le quotidien éprouvant de familles dont un des membres est une personne non autonome et dont l’accompagnement peut être extrêmement exigeant. Cette réalité s’étoffe pourtant d’une multitude d’autres situations, d’autres profils, d’autres vies, qui relèvent du spectre autistique et qui en constituent la très grande majorité.
Au-delà des représentations que l’on peut en avoir, l’autisme est souvent peu visible pour qui ne le connaît pas, en particulier chez les personnes sans déficience intellectuelle et ayant la capacité de langage verbal.
Les mentalités et les regards n’évoluent pas au même rythme que les recherches et les connaissances, c’est évident. Mais l’exemple doit venir des pouvoirs publics, quand il s’agit de prendre en compte cette évolution sur le terrain.
Or, les politiques mises en place continuent à se concentrer sur la prise en charge et le soutien de certaines personnes autistes, à l’exclusion des autres, qui peinent à se faire reconnaître comme telles.
Les « autres », ce sont des enfants qui étaient « un peu différents », mais qui ont réussi à s’adapter, tant bien que mal. Faisant violence à leur fonctionnement naturel, ils deviennent des adultes qui ont l’air « presque normaux ». Cette adaptation a un prix, en termes de santé mentale et physique, qui peut être élevé. Beaucoup de ces personnes vivent au quotidien des difficultés spécifiques, rarement reconnues, et souffrent de ce « handicap invisible ».
Remarquons que, même pour les personnes ayant réussi à avoir un accès au diagnostic, il reste très difficile de faire reconnaître leurs difficultés et besoins spécifiques, notamment à cause de grilles d’évaluation qui méritent d’être mises à jour.
Acceptation de l’autisme…
Certaines communautés autistes abordent ce 2 avril non pas comme journée de sensibilisation à l’autisme, mais de l’acceptation de l’autisme. « Accepter l’autisme et les autistes », c’est mettre en place un processus d’inclusion, dans tous les domaines de la vie en société. Parce qu’une vie autonome, ce n’est pas la capacité de faire tous les gestes du quotidien par soi-même, mais l’accès au contrôle de sa propre vie et la liberté de faire ses propres choix. Inclure les personnes différentes impose de remettre en question la norme, la normalité, et de considérer que chaque individu apporte de la valeur au vivre ensemble.
La formation et la mise à niveau des étudiants et professionnels de la santé, de l’éducation et de l’enseignement, est incontournable. Le suivi médical des personnes autistes exige de connaître les spécificités qui leur sont propres, et la manière dont leurs symptômes s’expriment. Par ailleurs, les aménagements scolaires ont fait leurs preuves.
Malgré cela, bénéficier d’un accompagnement et d’une thérapie adaptés est encore aujourd’hui en Belgique un privilège rare.
Pour favoriser l’intégration socio-professionnelle des personnes autistes, certaines pistes sont claires : aménagements sur le lieu de travail, stratégie adaptée à la recherche d’emploi, et reconnaissance du handicap. Déjà difficiles à obtenir avec un diagnostic officiel, ces adaptations sont quasiment inaccessibles en son absence.
Pour qu’un changement structurel puisse avoir lieu, la reconnaissance de la réalité des TSA doit gagner du terrain dans l’espace public, au sein des institutions et dans les médias.
Là où d’autres pays ont engagé des politiques publiques volontaristes, la Belgique peine à considérer l’existence même du sujet. L’absence d’une filière publique de diagnostic n’est que la partie visible de l’iceberg.
Depuis quelques années, des collectifs et associations de personnes autistes, dans une démarche d’auto-représentation et de pair-aidance, se forment pour essayer de pallier les manquements de l’État en proposant principalement des espaces de paroles, d’activités, de création de lien et d’entraide. L’émergence et l’existence de ces structures mériteraient un soutien, comme cela se fait déjà dans d’autres pays.
Pour ce 2 avril, l’ONU prend une position claire : « Nous nous éloignons de l’idée de guérir ou de transformer les personnes autistes pour nous concentrer sur leur acceptation, leur soutien et leur intégration, ainsi que sur la défense de leurs droits ». Son événement est organisé en collaboration avec des personnes autistes, et leur donnera la parole pour expliquer la manière dont ces changements de perception de la neurodiversité les impacteront positivement.
… et sensibilisation au validisme
En cette journée du 2 avril, nous appelons à un mouvement d’acceptation de l’autisme, et de sensibilisation plus générale au validisme (1).
Nous appelons à l’inclusion et encourageons les instances politiques et médicales à travailler avec les personnes autistes, à rechercher les expertes parmi nous et à les intégrer à leurs équipes de travail, à regarder ce qui se fait du côté de la communauté autiste : nous sommes là, sur le terrain, quand il s’agit d’informer et de soutenir nos pairs, d’apporter de l’écoute, de l’aide dans la gestion du quotidien et les démarches administratives. Nous pouvons partager notre manière d’apprivoiser le fonctionnement autistique, que trop peu de professionnels connaissent. Nous voulons également prendre part aux décisions qui nous concernent.
Et des décisions, il est plus que temps qu’il y en ait !
Autistes Associé·es ASBL
Collectif Autiste Belgique
(1) Le validisme est une forme de discrimination envers les personnes ayant un handicap, qu’il soit physique ou mental : c’est un système d’oppression qui considère les personnes valides et neurotypiques comme une norme sociale à atteindre.
Le titre est de la rédaction.
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