Santé: les sucres «naturels» ne sont pas forcément meilleurs
L’essentiel
• Le sucre blanc n’est pas nécessairement mauvais pour la santé si l’apport calorique total est limité et si on évite les excès.
• Si les aliments sucrés nous tentent, c’est notamment en raison d’une prédisposition évolutive.
• Certains produits contiennent trop de sucre, même s’ils sont étiquetés «sans sucre ajouté».
• Le sucre brun n’a pas de véritables avantages nutritionnels comparé au sucre blanc.
• Les substituts «naturels» au sucre comme le miel ou le sirop d’agave ne sont pas forcément plus saines et peuvent augmenter le risque de caries et d’autres problèmes de santé.
Le sucre souffre d’une mauvaise réputation. Mais en quoi les substituts telles que le miel, le sirop d’agave ou les édulcorants sont-elles plus saines? La réponse des nutritionnistes.
Le sucre blanc, addictif et à l’origine d’un grand nombre de maladies civilisationnelles, se serait répandu dans les milieux populaires comme une alternative bon marché au miel ou au sirop d’agave, des «produits naturels» réservés à une certaine élite. Le débat doit être nuancé, préviennent d’emblée les professeurs Martin Smollich, spécialiste de la médecine nutritionnelle, et Daniel Wefers, expert en chimie alimentaire. D’une part, avant qu’il ne devienne abordable, c’était l’inverse: les riches consommaient beaucoup de sucre tandis que les pauvres mangeaient du pain complet. En outre, «les aspects nocifs du sucre sont parfois présentés de manière peu nuancée, détaille le premier. C’est vrai qu’il contribue à un apport trop élevé en calories et qu’il peut provoquer des caries. Mais si on limite la quantité calorique globale, les glucides simples ne nuisent pas forcément à la santé. Pour peu que le métabolisme fonctionne normalement et que les excès soient évités, on ne devrait pas tant craindre le sucre.»
Pourquoi un gâteau est-il si tentant alors que le sucre est si mauvais pour la santé?
Martin Smollich: Cela s’explique par une prédisposition évolutive. Les fruits et autres plantes sucrées sont rarement toxiques. Par conséquent, dans le passé, une préférence pour le sucré représentait un avantage sélectif. De plus, ce type d’aliments est généralement riche en énergie, ce qui augmentait les chances de survie.
«Pour peu que le métabolisme fonctionne normalement et qu’on évite les excès, on ne devrait pas tant craindre le sucre.»
L’industrie alimentaire est souvent accusée d’ajouter du sucre dans tout afin de rendre ses produits de moindre qualité plus appétents, et de pousser aux excès alimentaires. Est-ce vrai?
Daniel Wefers: Je ne voudrais pas supposer une intention générale, mais des produits contiennent certainement trop de sucre. Par exemple, il est inacceptable que des aliments destinés aux enfants portent l’étiquette «sans sucre ajouté». C’est juridiquement correct, mais ils contiennent néanmoins une quantité incroyable de sucre issu de ce qu’on appelle des ingrédients naturels. En revanche, le sucre est parfois tout simplement nécessaire. A mon sens, les controverses autour de petites quantités trouvées notamment dans de la saucisse crue ou des soupes en sachet sont ridicules. Dans la saucisse crue, par exemple, le sucre favorise le développement de l’acide lactique, indispensable à la conservation de la viande. Et une pincée de sucre dans les sauces et les soupes est parfois nécessaire pour équilibrer le goût. Il peut également servir de réactif dans la formation des arômes ou, en plus grande quantité, de conservateur.
L’habituation précoce au goût sucré est souvent à l’origine d’une obésité ultérieure.
M.S.: Je suis en grande partie d’accord. Les sodas et les jus, surtout, représentent des apports excessifs en sucre. Et les fabricants recourent parfois à des subterfuges pour que le mot «sucre» n’apparaisse pas en haut de la liste des ingrédients. Pour les produits destinés aux tout-petits, c’est particulièrement sournois: certains biscuits, présentés comme sains, contiennent 30% de sucre. Bien que l’attirance pour le sucré soit déterminée par l’évolution, elle peut être renforcée ou atténuée par les choix alimentaires posés au cours des premières années de vie. Si l’on est attentif à maintenir cette inclination sous contrôle, il sera également plus facile, par la suite, d’habituer les enfants au goût amer ou aux légumes. Par contre, en effet, une habituation précoce au sucré est souvent à la base d’une obésité ultérieure.
Le sucre brun a souvent meilleure réputation. Il contiendrait davantage de nutriments bénéfiques à la santé, serait moins transformé et donc plus «naturel».
M.S.: Cet argument, généralement utilisé à des fins marketing, ne tient pas la route. Les doses de minéraux ou autres micronutriments présentes dans le sucre brun sont si minimes qu’il faudrait en ingurgiter des kilos pour remarquer un effet sur l’organisme. Le sucre brun a les mêmes propriétés nutritionnelles que le sucre blanc. La seule différence notable, c’est celle du goût.
D.W.: De plus, le sucre de canne brun est souvent importé de loin, ce qui nuit à l’environnement, et peut être fabriqué dans des conditions de travail pas toujours équitables. Si certains produits de caramélisation lui apportent un goût légèrement différent, il reste composé de 97% à 99% de sucre ordinaire.
Peut-être faut-il alors privilégier des substituts tels que le sucre de fleur de coco qui augmenterait, dit-on, le taux de glycémie plus lentement?
M.S.: Là encore, l’affirmation est absurde. L’effet des différents glucides sur la glycémie varie fortement d’un individu à l’autre. Nos recherches indiquent que si 100 personnes consomment du sucre de fleur de coco, on obtient 100 profils glycémiques différents.
D.W.: Par ailleurs, le sucre de fleur de coco est également importé, avec les mêmes conséquences pour la planète, et contient principalement du sucre ordinaire. La seule différence est qu’en raison de sa production plus rudimentaire, on y trouve encore quelques «impuretés». A quantité égale, il contient donc moins de glucides mais aussi quelques composants inconnus, pas nécessairement sains.
Certaines personnes, sensibilisées au respect de l’environnement, utilisent uniquement du miel ou du sirop d’agave. Est-ce réellement plus sain?
M.S.: Beaucoup de gens se font des illusions à propos du miel et du sirop d’agave. En valeur nutritive, il n’y a pratiquement aucune différence. Comme pour le sucre brun, la quantité de micronutriments est quasiment négligeable, tandis que le principal problème, à savoir la haute densité calorique, est identique. Pour les alternatives sirupeuses, on peut même s’attendre à un risque accru de caries, car le sucre reste plus longtemps en contact avec les dents. Les aliments à haute teneur en fructose augmentent également le risque de problèmes hépatiques ou de développer la goutte. Enfin, l’effet psychologique n’est pas à négliger: si l’on est convaincu que ces options sont plus naturelles et donc moins nocives, on peut être tenté d’en consommer davantage.
D.W.: Que le sirop de glucose-fructose, par exemple, fasse l’objet de critiques alors que le sirop d’agave a bonne réputation est un non-sens. En réalité, il contient beaucoup plus de fructose que les sirops de sucre industriels couramment utilisés chez nous.
«Le sirop d’agave contient beaucoup plus de fructose que les sirops de sucre industriels.»
Lire aussi | Le sirop d’agave bio n’en est bien souvent pas
On peut aussi recourir aux substituts de sucre tels que le xylitol, l’érythritol ou le mannitol. Mais un gâteau préparé avec ces édulcorants est-il aussi aussi bon?
D.W.: C’est une question de goût. Le xylitol est généralement approprié car il possède une puissance sucrante et un profil gustatif similaires à ceux du sucre blanc. Or, le profil gustatif est souvent problématique avec les substituts: la sensation en bouche est différente. Il peut aussi provoquer une sensation de froid lorsqu’il est utilisé dans les chewing-gums. Et en raison de sa structure chimique, il ne produit pas les mêmes effets de brunissement à la chaleur. Cela peut avoir des conséquences sur certains gâteaux.
Le xylitol est aussi appelé «sucre de bouleau». Un nom qui induit une connotation «naturelle». Est-ce vraiment le cas?
D.W.: Au sens large, on peut effectivement extraire le xylitol de l’écorce de bouleau, notamment des polysaccharides présents dans certains types de bois ou même dans les fanes de maïs. Mais il faut d’abord décomposer ces polysaccharides en xylose. Ensuite, le tout est purifié au moyen d’échangeurs d’ions ou du charbon actif, puis hydrogéné de manière catalytique. Ce processus nécessite des températures élevées, de l’hydrogène, des catalyseurs à base de nickel…
M.S.: Une fois de plus, c’est un excellent exemple de marketing bien pensé. Ce produit est on ne peut plus chimique –ce qui, en soi, n’est pas un problème. Nous devons nous défaire de l’idée que le «naturel» est par définition bon et le «chimique» mauvais. C’est ce qu’on appelle le «paralogisme naturaliste». Bien sûr, le xylitol présente des avantages: contrairement au sucre, par exemple, il n’a pas d’effet négatif sur la santé buccodentaire. Il ralentit même la formation des caries; on dit qu’il est anticariogène. Mais il a ses limites. En grande quantité, il peut provoquer des diarrhées.
Une étude récente suggère que le xylitol augmenterait le risque de maladies cardiovasculaires.
M.S.: Les données en notre possession ne permettent pas de conclure à un risque sanitaire réel, mais nous savons que le xylitol et l’érythritol peuvent favoriser l’agrégation plaquettaire –l’adhésion de plaquettes sanguines entre elles. Ce qui pourrait accroître le risque de crise cardiaque et d’accident vasculaire cérébral. Mais le xylitol et l’érythritol sont aussi fabriqués de manière spontanée lorsque le corps métabolise le sucre.
«Si l’on est convaincu que ces alternatives sont moins nocives, on peut être tenté d’en consommer davantage.»
Les édulcorants 100% de synthèse font l’objet de nombreuses critiques. L’aspartame, présent dans beaucoup de boissons light, a été décrit comme potentiellement cancérigène.
M.S.: C’est un mythe, il n’y a pas de preuves sérieuses étayant cette théorie. On entend parfois que l’effet supposément nocif serait dû à la production de méthanol lors du métabolisme de l’aspartame. Le méthanol est effectivement toxique, mais comme souvent, tout dépend de la quantité. Celle produite par la consommation de denrées contenant de l’aspartame est bien moindre que celle qu’on peut ingérer avec une simple pomme mûre. L’aspartame n’est réellement dangereux qu’en cas de phénylcétonurie, une maladie rare. Et puis, dans ce débat, il ne faut pas oublier que des substances comme l’aspartame sont utilisées comme substituts, et que l’obésité liée à une consommation excessive de sucre, elle, favorise bien le développement du cancer. Selon moi, mieux vaut un édulcorant qu’un excès de calories dû au sucre.
D.W.: Par ailleurs, personne ne doit craindre un empoisonnement dû à des édulcorants ou autres additifs. Ces substances doivent être approuvées et font l’objet d’études toxicologiques approfondies. Les quantités maximales autorisées sont calculées en tenant compte d’une grande marge de sécurité.
«Mieux vaut un édulcorant comme l’aspartame qu’un excès de calories dû au sucre.»
L’offre en produits sans sucre est énorme. Dans le même temps, certains remettent en question leurs avantages pour la santé. Qu’en est-il? Peut-on ou non perdre du poids avec du soda sans sucre?
M.S.: Deux directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les édulcorants résument bien l’état de la recherche. Il en ressort une grande disparité entre les études observationnelles, qui interrogent des individus aux habitudes diverses, et les essais contrôlés randomisés. Dans ces derniers, les individus sont répartis aléatoirement en groupes et l’on détermine précisément qui est exposé à quelles conditions, telles que la consommation d’édulcorants ou de sucre. Les études contrôlées l’indiquent clairement: les édulcorants, par rapport au sucre ou au placebo, peuvent réduire le poids corporel. En revanche, les études observationnelles révèlent que les personnes consommant beaucoup d’édulcorants sont plus corpulentes, meurent plus tôt et ont plus souvent le cancer.
Comment interpréter ces observations contradictoires?
M.S.: Dans les études observationnelles, nous rencontrons le problème de la causalité inverse. Ceux qui recourent beaucoup aux édulcorants ont souvent commencé à les utiliser parce qu’ils étaient déjà malades ou obèses. Ils cumulent de nombreux facteurs de risque en matière de développement d’un cancer et d’autres maladies. Il est presque impossible de calculer de manière fiable ces facteurs perturbateurs. Des conclusions fiables sont donc uniquement possibles sur la base d’études contrôlées –et celles-ci montrent clairement que beaucoup de personnes perdent plus efficacement du poids lorsqu’elles remplacent le sucre par des édulcorants. Je le répète: d’un point de vue nutritionnel, c’est le sucre qui est problématique, pas les édulcorants.
© Der Spiegel
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici