Santé : le sevrage à domicile, ou comment en finir avec l’alcool chez soi plutôt qu’en cure
Qui dit cure de désintoxication contre l’alcool pense souvent hospitalisation. Mais cette solution néglige fréquemment l’entourage et en effraie certains. Une alternative porte l’espoir d’un changement, arguments à l’appui: le sevrage à domicile.
« Les principaux avantages du sevrage à domicile sont l’accès à ce type de soins – surtout en période de Covid -, la confrontation du patient avec ses habitudes de consommation, le maintien de l’activité professionnelle combiné à des soins intensifs et pluridisciplinaires et, même si ça fait sourire, une solution pour les propriétaires d’animaux de compagnie », énumère la psychiatre Virginie Jeanmart, qui pratique au sein des équipes mobiles (le 107) cette méthode inspirée du projet FreeDom du Centre d’aide et de soins spécialisé en assuétudes (Caat).
La dépendance psychologique est la plus difficile à gérer.
A ces atouts s’ajoute encore le travail avec l’entourage de l’alcoolodépendant. « La famille est touchée aussi et se sent souvent impuissante », rappelle la Dr Jeanmart en soulignant l’importance d’observer « la fonction du coalcoolique (NDLR: souvent le/la partenaire), pas toujours visible pendant une hospitalisation ». « Comme nous travaillons en binôme avec la famille, nous avons la chance de pouvoir l’informer, la rassurer et la déculpabiliser, notamment par rapport au rôle de surveillant qu’elle s’impose parfois », rapporte Kevin Merchez, infirmier psychiatrique.
Un suivi de quatre à six semaines
Si la demande d’intervention peut émaner de la famille, « l’alcoolique doit pleinement consentir à entamer ce travail, car on ne peut sevrer quelqu’un qui ne le veut pas », fait remarquer Virginie Jeanmart. La procédure débute par un entretien dont le but est, entre autres, d’évaluer la motivation du patient. Un bilan de santé du sujet est également réalisé. « Le seul critère d’exclusion concerne les pathologies somatiques graves et la présence de troubles cognitifs qui mettraient en danger la sécurité du patient, prévient la psychiatre. Un traitement médicamenteux permet au sevrage physique de s’opérer en quelques jours, mais la dépendance psychologique est la plus difficile à gérer. »
Le rythme des visites de l’équipe d’accompagnement au domicile du patient est modulé au cours de la prise en charge: de deux fois par jour au début, elles s’espacent au fil du temps. Le suivi dure, en moyenne, quatre à six semaines et des relais sont mis en place, la dépendance à l’alcool étant une pathologie chronique. Consolider l’abstinence reste un défi au quotidien. « La rechute n’est pas toujours un échec, tempère Virgine Jeanmart. Elle fait partie du processus, à condition de se pencher sur ses causes. » Ainsi l’alcootest n’est-il appliqué qu’en cas de doute.
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Les Alcooliques anonymes ne sont pas défavorables au sevrage à domicile « à condition de l’associer à un suivi, à travers nos réunions, insiste Anne, qui célébrera, en mars, ses quarante ans de sobriété. Il faut parler, parler, parler. Quand un alcoolique parle à un autre alcoolique, ils utilisent le même langage. » Quant aux rechutes, « elles ne font pas partie du programme des Alcooliques anonymes, précise notre interlocutrice. Mais notre expérience montre qu’elles se préparent, quand l’alcoolodépendant se montre moins assidu aux réunions ou qu’il se croit plus fort que l’alcool. »
Malgré l’absence de chiffres, le sevrage à domicile semble apporter une réponse pertinente face aux ravages de l’alcool. En attendant d’étendre le concept à la consommation de drogues?
« Ils m’ont apporté le côté humain qui me manquait »
« Pendant vingt ans, j’ai bu énormément, tous les jours. J’ai toujours travaillé mais, dès mon retour à la maison, je buvais une vingtaine de bières, entre 17 heures et minuit. Et je me réveillais vers 3 heures, à cause du manque… » Cet enfer, Rémy (1) a tenté d’y mettre fin à plusieurs reprises « seul, sans succès. Jusqu’à ce que mon médecin généraliste me parle du sevrage à domicile, avec un beau taux de réussite. »
Le 1er juillet 2019, Rémy tente l’aventure, avec le 107. « L’ équipe est super, avec le côté humain qui me manquait. » Deux mois plus tard, il prévient que les visites de l’équipe multidisciplinaire ne sont plus nécessaires: « C’était dur, mais on avait fixé un objectif d’abstinence totale de six mois. C’était réalisable. Et quand on voit les bénéfices, sur le plan de la santé physique et mentale, du sommeil et du foie, on n’a plus envie de reprendre. » C’était il y a deux ans et demi…
« Je pense avoir été un bon élève. Pour le suivi, je n’ai pas eu recours à un psy ou aux Alcooliques anonymes, je suis timide. Ce qui m’a aidé, ce sont les bières sans alcool car, comme pour les fumeurs, l’aspect rituel reste important. Aujourd’hui, on en trouve une grande variété, hélas surtout sur Internet, et au prix fort. Avec ce type de boissons, on passe aussi davantage inaperçu. »
Au point de faire tache d’huile: « J’ai inspiré d’autres personnes autour de moi. Et j’organise des concerts où on propose de la bière sans alcool. C’est surprenant de voir à quel point ça fonctionne… » (1) prénom d’emprunt.
Un article de Jérôme Rombaut.
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