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Le premier symptôme du mpox est une éruption cutanée, qui peut provoquer des fièvres et des douleurs musculaires. © REUTERS

Santé: comment la dégradation écologique à l’est de la RDC a favorisé l’épidémie de la variole du singe

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Face à l’explosion de la maladie, des mesures d’urgence s’imposent. Mais il faut surtout renforcer les systèmes de santé et la viabilité sociale, estime l’infectiologue Camille Besombes.

Un cas de mpox-variole du singe survient en Suède, et voilà que resurgit le spectre d’une épidémie mortelle mondiale. Il n’y a pourtant pas lieu de paniquer. L’Europe est armée pour y répondre. C’est en Afrique centrale, où a surgi le virus dans sa version clade 1 avec transmission interhumaine, que l’urgence est de mise. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a bien compris et a déclenché, le 14 août, une «Urgence de santé publique de portée internationale» (Usppi). Depuis le début de l’année, 17.000 cas ont été enregistrés en République démocratique du Congo (RDC), qui ont occasionné au moins 570 décès.Avec comme premier symptôme une éruption cutanée, la maladie peut provoquer des fièvres, des maux de tête et de dos, des douleurs musculaires, un manque d’énergie… Chez les personnes plus vulnérables, elle peut causer des complications allant jusqu’à entraîner la mort. Quels sont les causes et les enjeux de cette explosion de mpox? Eléments de réponse avec Camille Besombes, médecin infectiologue et épidémiologiste, chercheuse postdoctorante au medialab de Sciences Po Paris.

La situation est-elle plus inquiétante qu’en 2022, lorsque la première Urgence de santé publique de portée internationale a été décrétée par l’OMS?

Il est important de notifier que ce n’est que la septième fois depuis 2009 que l’OMS déclenche une Urgence de santé publique de portée internationale. On n’est pas ici tout à fait dans la même situation qu’en 2022. Est-elle plus inquiétante? En juillet 2022, l’élément le plus alarmant était le caractère nouveau du mpox puisqu’en Europe et aux Etats-Unis, on ne connaissait pas cette maladie. Les médecins n’étaient pas formés pour la reconnaître et y faire face. Nous avions des stocks de vaccins mais leur libération n’était pas usuelle. La maladie s’est propagée particulièrement dans les communautés homosexuelles, ce qui a à la fois accéléré la diffusion du virus et facilité le contrôle de l’épidémie parce que ces communautés, depuis le VIH, sont rodées à faire face, à s’organiser et à sensibiliser contre les risques. Le risque de létalité (variant de 3% à 9%) quand on est touché par le clade 1 du virus impliqué dans l’épidémie actuelle en Afrique centrale est plus important que celui du clade 2, actif lors de l’épidémie de 2022 (1% de mortalité en Afrique et 0,1 % en Occident). Mais le taux de létalité dépend du contexte de prise en charge médicale. En Occident, avec la possibilité d’hospitalisation, des antibiotiques, des possibilités de réhydratation, il sera bien moindre que celui qu’on a en Afrique actuellement, avec des personnes paupérisées qui sont chez elles dans des logements surpeuplés, des hôpitaux surchargés et sans les médicaments nécessaires pour le traitement symptomatique. De plus, on connaît désormais la maladie et les vaccins sont disponibles en Occident, ce qui permet d’envisager plus sereinement l’épidémie. Cependant, il persiste des inconnues sur les possibles évolutions de la maladie. Pour l’instant, elle touche plusieurs communautés, ce qui complexifie l’évaluation des risques.

Quelles sont les caractéristiques du clade 1b, identifié dans l’épidémie qui sévit à l’est de la RDC?

Il s’agit d’un sous-variant du clade 1 apparu depuis septembre 2023 dans la zone du Kivu. On n’a pas encore assez de recul à ce stade pour évaluer s’il y a une grande différence de létalité ou de transmission par rapport au clade 1 connu. En revanche, on sait que ce clade 1b se transmet de manière interhumaine, ce qui représente une évolution importante. Le mpox est un virus zoonotique, qui se transmettait jusqu’à présent principalement des animaux aux humains, puis secondairement parfois en interhumain. Une étude publiée récemment sur plusieurs centaines de génomes du virus mpox dans toute la RDC montre que dans la plupart des provinces, c’est toujours le clade 1 qui circule à partir d’un réservoir animal et par de multiples introductions zoonotiques différentes. Dans l’est du pays, cependant, c’est le clade 1b qui circule, avec une transmission strictement interhumaine, et notamment sexuelle.

Comment s’opère la transmission?

Dans le cas de la transmission zoonotique, elle a lieu par contact avec un petit rongeur porteur du virus. Les écureuils arboricoles sont considérés comme le réservoir animal de la maladie, et pas les singes contrairement à ce que pourrait laisser penser la dénomination «monkeypox/variole du singe». La transmission zoonotique se fait directement par contact avec le rongeur, mais il y a également des suspicions de transmission indirecte par contact avec des fruits prémâchés ou un environnement contaminé. Ensuite, il y a parfois une transmission secondaire interhumaine, soit par contact direct avec les lésions cutanées ou les muqueuses, soit par contact sexuel, soit par contact respiratoire de type gouttelettes, ou encore par contact indirect. Par exemple, quand on vit dans la même pièce, qu’on partage le même lit, les mêmes vêtements, on peut être contaminé. Cela, c’était et c’est encore la situation en RDC et dans la plupart des pays d’Afrique centrale. Mais, depuis l’épidémie de septembre 2023 au Kivu, un changement s’est opéré avec une transmission du virus plutôt interhumaine soit par contact à l’intérieur de la famille comme expliqué, soit par contacts sexuels, notamment dans des bars où il y a de la prostitution. Ce contexte peut multiplier les risques d’infection.

Pourquoi la communauté homosexuelle a-t-elle été touchée en 2022?

La communauté homosexuelle a été particulièrement touchée par le clade 2 lors de l’épidémie de 2022 mais, pour l’instant, pas par le clade 1b qui se transmet dans la communauté hétérosexuelle. Pourquoi par le clade 2 en 2022? Simplement parce que le virus est entré par la communauté homosexuelle dans laquelle il s’est multiplié. Mais il aurait pu trouver une voie d’entrée dans une autre communauté.

A Goma, en juillet dernier, un agent de santé publique dispense des conseils d’hygiène pour prévenir des émergences infectieuses. © REUTERS

Le contexte d’instabilité sécuritaire et politique au Kivu joue-t-il un rôle dans la diffusion de la maladie?

Il me semble, effectivement, être très impliqué dans l’explosion de l’épidémie. Le mpox est une maladie présente en RDC depuis 1970, ainsi que dans d’autres zones d’Afrique. Mais elle n’a jamais explosé de cette façon. Pourquoi explose-t-elle au Kivu? Ce territoire est l’objet d’une forte exploitation minière et forestière, entraînant de nombreux transports transfrontaliers de minerais et de bois. C’est une zone en guerre civile depuis 2004, avec des conditions propices aux maladies. Environ 2,5 millions de personnes sont déplacées, et vivent dans des camps. Une pauvreté importante y sévit, ce qui pousse les populations soit à consommer de petits rongeurs quand ils n’ont rien d’autre à manger, ce qui a pu favoriser la transmission zoonotique du mpox, soit à se livrer à la prostitution quand il n’y a pas d’autres sources de revenus économiques, ce qui favorise la transmission interhumaine. Enfin, il est plus difficile pour les personnels soignants et les agents de santé publique d’intervenir dans ces zones. Le Kivu fut le lieu d’une autre épidémie en 2018, celle d’Ebola, qui avait aussi donné lieu à une déclaration d’une Usppi.

Les réactions de l’OMS et de l’Africa CDC, l’agence de santé publique de l’Union africaine, vous paraissent-elles efficaces?

La décision de l’Africa CDC de décréter une urgence sur le continent est très importante. Cela permettra de mettre en place une réponse à l’échelle de toute l’Afrique. Ces émergences de virus ont souvent lieu dans des zones transfrontalières. Il serait ridicule que la RDC ait une politique isolée, sans coordination avec le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya, le Burundi. Il est aussi crucial qu’il y ait une réponse mondiale de l’OMS. Et il aurait pu être dommageable que la décision de l’Usppi soit retardée, parce que la maladie ne concernerait «que» le continent africain. Le signal donné par l’OMS est qu’on doit conjuguer toutes les capacités humaines, médicales, de recherche, et aussi financières pour permettre de riposter à cette épidémie.

«En Europe et en Occident, on a les moyens de contrôler l’épidémie.»

Une dissémination internationale est-elle inévitable?

L’OMS a en effet déclaré qu’il était inéluctable qu’il y ait des cas en Europe et en Occident. Un cas de clade 1b en lien avec l’épidémie du Kivu et d’Afrique de l’Est a été confirmé en Suède, chez une personne de retour de voyage dans la région. Il y en aura probablement d’autres. Ce n’est pas pour cela qu’il faut paniquer. Nous disposons des moyens de contrôler l’épidémie. Mais nous ne devons pas oublier de donner les moyens de sauver les vies dans les pays principalement concernés.

Camille Besombes, médecin infectiologue. © DR

Les vaccins sont-ils efficaces?

Il y a deux vaccins en circulation, initialement prévus pour lutter contre la variole. Mais le plus répandu est le MVA-BN du laboratoire danois Bavarian Nordic. Ces vaccins ont montré leur efficacité dans le cas du clade 2 et devraient également être efficaces dans le cas du clade 1. Cela étant, moins d’études ont été réalisées sur le clade 1. Une autre question se pose, celle de la durée de protection de ces vaccins.

Dans une tribune publiée par Libération, vous appelez à «travailler sur les racines écologiques et sociales des émergences infectieuses». Que cela impliquerait-il?

Nous sommes face à une situation de crise et à une urgence. Il faut bien sûr activer des mesures médicales et de contrôle de l’épidémie. Mais ces émergences infectieuses se multiplient ces dernières années. Ces maladies n’arrivent pas par hasard dans n’importe quel contexte. Il y a des facteurs (les évolutions économiques et sociales, des changements dans les écosystèmes…) favorisant ces émergences et sur lesquels il nous faut agir. Ce n’est pas dans l’urgence qu’on peut faire quelque chose contre les causes structurelles des maladies. Dans l’urgence, on peut limiter, on ne peut pas véritablement prévenir, c’est-à-dire éviter que l’émergence se produise. L’objectif serait de limiter les émergences avant que le virus passe de l’animal à l’humain. Une fois que la transmission est interhumaine, cela devient plus compliqué à contrôler. Comment peut-on faire? Il faut renforcer socialement et économiquement les pays concernés. Mais aussi les systèmes de santé, et ne plus travailler uniquement lors des crises sur le modèle de l’humanitaire et de la philanthropie. Il faut renforcer les budgets publics consacrés à la santé et de façon pérenne hors des crises, en limitant les politiques d’austérité et de restriction budgétaire.

«Dans l’urgence, on peut limiter, on ne peut pas véritablement prévenir.»

Quid des racines écologiques de ces émergences infectieuses?

Il faut aussi agir sur les facteurs écologiques. Le Kivu est une zone d’exploitation minière et forestière depuis de très longues années. Les écosystèmes sont très dégradés. Il faut qu’on arrive à stopper ces dégradations et à évaluer les conséquences sanitaires et les coûts humains et économiques de ces modifications de l’environnement, qui nous retombent dessus aujourd’hui. Donc, il faut essayer de travailler dans le temps long sur les causes de plusieurs émergences infectieuses et pas uniquement sur une seule émergence en silo. Mais cela demande des changements radicaux. Et c’est très compliqué. L’Ipbes, la plateforme intergouvernementale de la biodiversité et des services écosystémiques –l’équivalent du Giec pour la biodiversité– a écrit un rapport après le Covid, en octobre 2020, pour justement mettre en évidence ces liens entre la déforestation, la perte de biodiversité et les épidémies. Ce comité a proposé des solutions pour «tenter d’échapper à l’ère des pandémies». Par exemple en faisant en sorte que tous les aménagements du territoire soient étudiés sous l’angle de leurs conséquences sanitaires. Beaucoup de chercheurs ont mis en évidence que la forte épidémie d’Ebola qui a eu lieu en 2013 et 2014 en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée faisait suite à des politiques d’austérité et à des restrictions budgétaires imposées par le Fonds monétaire international (FMI). Et s’était produite dans les suites d’une large déforestation et de remaniements écologiques de la zone concernée. Ce ne sont pas les Etats touchés qui sont en cause. C’est notre système économique mondial et notre façon d’habiter le monde, l’ensemble des relations avec les non-humains, et entre humains, qu’il faut revoir. Le chantier est immense. Mais tant qu’on ne le mettra pas en route, on connaîtra des épidémies.

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