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«Risque de dérapage», «usage détourné»: l’exemption de certificat médical d’un jour booste-t-elle l’absentéisme au travail? (analyse)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Une étude de Securex relance la controverse sur la suppression du certificat médical pour un jour de maladie dans certaines entreprises. Alors que la droite et les employeurs y voient une porte ouverte aux dérives, la gauche serait plutôt favorable à une extension de la mesure pour alléger la charge sur les médecins.

On pensait le débat définitivement enterré. En juin 2022, après de longues et houleuses discussions, la Vivaldi s’accordait sur l’exemption de certificat médical pour un jour de maladie dans les entreprises de plus de 50 personnes. L’objectif affiché: limiter la charge administrative des généralistes et soulager le budget de la sécurité sociale. Moins d’un an et demi après l’entrée en vigueur effective de la mesure, la voilà à nouveau sérieusement remise en cause. A tel point que le MR envisagerait de rétropédaler.

C’est une étude de Securex, publiée ce jeudi, qui a remis le sujet sur la table. Selon les chiffres du prestataire de services RH, les absences d’un jour ont augmenté de près de moitié (+44,2%) en 2023 dans les entreprises concernées par cette nouvelle règle. Dans les structures de moins de 50 personnes, où l’exemption ne s’applique pas, l’augmentation s’avère significativement plus faible (+15%). En outre, l’enquête relève une hausse (+5,74%) de l’absentéisme fréquent (trois fois ou plus par an) dans les entreprises suite à l’introduction de la loi, alors qu’il y est en baisse (-3,88%) dans les plus petites sociétés.

Sans surprise, les données de Securex ont rapidement été brandies par les détracteurs de la mesure pour dénoncer son inefficacité. «Nous accueillons ces résultats avec beaucoup d’aigreur, car nous avions alerté à l’époque sur les risques de dérapage que cette exemption entraînerait en termes d’absentéisme, rappelle Matthieu Dewèvre, conseiller au service d’études de l’Union des Classes Moyennes (UCM). Ce qui était notre opinion s’avère aujourd’hui devenir un fait étayé.» L’UCM insiste dès lors sur l’«absolue nécessité» de ne pas étendre cette mesure aux petites et moyennes entreprises, dont les capacités organisationnelles et financières sont moindres pour pallier les absences. «Dans une PME, une absence d’un jour peut engendrer une paralysie complète», avertit Matthieu Dewèvre.

«Tellement prévisible»

Campagne électorale oblige, le président du MR s’est également saisi de l’étude de Securex pour s’en prendre au PS et à Ecolo, à l’origine de la proposition (pourtant votée par son propre parti). «Cette idée de gauche devait faire baisser l’absentéisme. C’était tellement prévisible …», a ironisé Georges-Louis Bouchez, avant de préciser que les libéraux demanderont la réinstauration du certificat médical même pour une journée d’absence.

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Du côté des défenseurs de la mesure, l’heure est à la temporisation. Pour les mutualités libres, l’étude de Securex ne permet pas de tirer de conclusions définitives. D’autres données, telles que l’impact de cette exemption sur la santé publique, sur la charge de travail des médecins et sur l’accessibilité des soins de première ligne, devraient être prises en compte pour l’évaluer correctement. «Une consultation pour l’obtention d’un certificat d’un jour représente un coût pour la sécurité sociale, rappellent les mutualités libres. Elle peut même entraîner plusieurs jours d’absence au travail (ndlr, au lieu d’un seul).»

La confiance n’exclut pas le contrôle

Pas de conclusions hâtives non plus du côté d’Ecolo, qui avait proposé d’étendre l’exemption de certificat médical jusqu’à trois jours consécutifs d’absence (contre un seul actuellement). «Nous continuerons d’étudier le sujet en bonne collaboration avec les partenaires sociaux et en nous référant aux avis du Conseil national du travail», avance la députée Cécile Cornet. Et d’insister: l’objectif n’est pas d’octroyer des jours de congé supplémentaires aux travailleurs. «Si le processus est détourné, il mérite d’être contrôlé. La confiance entre employés et employeurs – qui constituait le prérequis de notre proposition – n’exclut en aucun cas la sanction.»

De son côté, le ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS), qui planchait lui aussi sur une éventuelle extension de la règle, rappelle que d’autres études récentes soulignent les effets positifs de la mesure sur l’absentéisme au travail.

«Estompement de la norme»

Selon les données du secrétariat social SD Worx, publiées fin février, les absences d’un jour étaient en effet moins fréquentes en 2023 (29%) qu’en 2022 (31%). L’absentéisme de courte durée était également en baisse pour la première fois en dix ans depuis l’introduction de la mesure. Un constat également dressé par Acerta. «La suppression du certificat médical pour une seule journée d’absence n’a pas provoqué d’augmentation de l’absentéisme pour cause de maladie», soulignait la caisse d’assurances sociales en mai 2023.

Bref, l’effet de causalité (voire de corrélation) semble encore difficile à établir à ce stade. Pour Vincent Vandenberghe, professeur d’économie du travail à l’UCLouvain, il faudrait comparer le taux d’absentéisme au travail au taux de morbidité (occurence des maladies) au sein de la population générale sur la même période pour tirer un bilan honnête. «Si on ne voit rien qui suggère une explosion de la morbidité au sein de la société, c’est que, par déduction, la mesure a pu entraîner des changements de comportements au travail», avance l’expert. Certains ont donc pu user de ce dispositif à des fins détournées, soit par «estompement de la norme» (absence de scrupule à se faire porter pâle) ou pour pallier un manque d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. «Cet usage détourné peut être révélateur d’un mal-être dans sa relation au travail, avertit Vincent Vandenberghe. Mais quoi qu’il en soi, jouer avec la notion de maladie est dangereux car, in fine, ce sont les ‘vrais malades’ qui feront les frais d’un éventuel durcissement des règles et des sanctions.»

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