De plus en plus d’enfants sous Rilatine, mais sans suivi psychologique: « C’est très inquiétant »
Les prescriptions de la Rilatine et de pilules anti-hyperactivité de manière générale ont explosé. Ce médicament pour enfants est de plus en plus utilisé pour améliorer les performances des élèves. Il s’infiltre aussi à l’unif. Et même au boulot.
Depuis la fin des années 1990, le méthylphénidate, mieux connu sous le nom de Rilatine ou Equasym, est le médicament le plus utilisé chez les enfants et les adolescents ayant reçu un diagnostic formel de TDAH (trouble du déficit d’attention, avec/sans hyperactivité). Mais il arrive qu’il soit aussi utilisé, non sans conséquence, pour d’autres usages.
Le méthylphénidate est un psychostimulant proche de l’amphétamine. En Belgique, il est autorisé dans le cadre du trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) et/ou de la narcolepsie, précise l’agence fédérale des médicaments et des produits de santé du médicament (AFMPS). « Il s’agit de médicaments qui ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale» et doivent faire l’objet d’un suivi, rappelle encore l’AFMPS. «La Rilatine n’est d’ailleurs utilisée qu’après avoir essayé des traitements non médicamenteux tels qu’une thérapie par la parole ou d’une thérapie comportementale ». En Belgique, deux médicaments de ce type – la Rilatine et l’Equasym – sont remboursés par l’assurance soins de santé obligatoire pour cette indication aux enfants de 6 à 18 ans.
La prise en charge via des médicaments comme Rilatine, Medikinet, Equasim et Concerta en Belgique est en hausse de 20% chez les 6-17 ans en 9 ans alors qu’elle n’est pas toujours basée sur des données probantes, alerte la Mutualité chrétienne dans une nouvelle étude. Ces traitements se font en grande partie sans suivi psychologique et leur durée est « extrêmement longue ». Selon la MC, un quart des enfants qui débutent leurs traitements à 6 ans le seront oujours au moins jusqu’à 17 ans. « Plus de 40% d’enfants sous traitement médicamenteux n’ont rencontré aucun professionnel de la santé mentale. C’est insuffisant et très inquiétant », alerte Claude Rolin, président des Mutualités chrétiennes francophones.
La chasse à la performance… chez les enfants
Ce chiffre cache cependant des différences régionales importantes sans qu’aucune raison épidémiologique ne vienne l’expliquer. En 2022, 2,9% des enfants flamands âgés de 6 à 17 ans prenaient du Ritaline ou un médicament similaire, contre seulement 1,1 pour cent des enfants wallons et 0,6 pour cent des enfants bruxellois. Cette étude montre également que les enfants de 10 à 15 ans sont les plus concernés, notamment à cause du stress à l’école lié au passage du CEB et la transition entre le primaire et le secondaire.
Autre fait remarquable: les garçons nés entre les mois d’octobre et décembre sont plus nombreux à prendre ces médicaments. Une autre tendance liée au milieu scolaire ? C’est possible, car ces enfants sont les plus jeunes de la classe. Des experts s’accordent à dire qu’il est donc possible que dans certains cas « l’immaturité développementale était étiquetée à tort comme un trouble mental et donc traitée inutilement avec des médicaments stimulants »
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Une utilisation autre que purement médicale
Autre point inquiétant, la consommation réelle pourrait même être double si l’on prend en compte l’usage de médicaments similaires non remboursés. Selon l’Inami, les médicaments remboursés ne représentent que 60% de la consommation en Belgique. Il arrive en effet que les médicaments contenant du méthylphénidate soient utilisés pour d’autres usages que purement médical, non sans conséquence.
Notamment par des étudiants qui n’hésiteraient pas à se procurer ce médicament dans l’espoir de booster leur performance durant leurs études. L’AFMPS a interrogé à ce sujet plus de 12 000 étudiants universitaires francophones sur la consommation de médicaments stimulants en 2019. Leur étude montre que 5 % de ces étudiants consomment des médicaments stimulants dans l’espoir d’améliorer leurs résultats scolaires (étudier plus longtemps, plus de concentration) sans qu’il y ait d’usage médical. Une autre étude réalisée entre 2015 et 2018 auprès de 36.000 étudiants flamands par Sara De Bruyn, chercheuse à UAntwerpen, a révélé qu’un élève bloqueur sur 12 a déjà pris de la Rilatine, même s’ils n’ont pas reçu de diagnostic de TDAH. Selon cette étude, les étudiants se procurent les pilules auprès d’amis (50%), de leur généraliste (21%) ou même de leur parent (17%). Les étudiants prendraient ce médicament pour pallier des problèmes de concentration, la pression exercée sur les performances, la peur de l’échec ou encore la procrastination.
Des effets secondaires potentiellement graves
Une pratique non sans danger puisque l’abus de médicaments stimulants contenant du méthylphénidate peut entraîner divers problèmes de santé tels que des problèmes cardiaques, l’hypertension, l’insomnie, la dépression, les crises de panique et la dépendance, précise encore l’AFMPS au Vif. Par ailleurs, les médicaments stimulants dans leur ensemble sont souvent associés à des maux de tête, de la nervosité, de l‘agitation, une diminution de l’appétit, des nausées et des douleurs abdominales. L’intensité de ces effets indésirables étant généralement proportionnelle à la dose utilisée. Enfin, les utilisateurs de stimulants, qu’ils soient médicaux ou non (par exemple pour améliorer leurs performances scolaires), reconnaissent avoir des troubles du sommeil, des palpitations et une instabilité émotionnelle.
Pression de la performance
L’AFMPS rappelle aussi « qu’aucun médicament n’est à lui seul sûr et efficace pour améliorer les performances intellectuelles ». Une position partagée par Frieda Matthys, professeure en psychiatrie à la VUB et présidente du groupe de travail sur le traitement du TDAH du Haut Conseil de la santé. « Le méthylphénidate n’améliore pas de façon démontrable les résultats scolaires chez les personnes sans TDAH » dit-elle dans De Standaard. « Son effet le plus important est qu’il aide les personnes sans TDAH à rester éveillées plus longtemps et à avoir moins faim. Or ce n’est pas parce qu’on reste éveillé plus longtemps que l’on preste mieux. Au contraire : même un manque de sommeil entrainer toutes sortes de conséquences physiques et mentales ».
Pour Antoine Boucher, chargé de communication à Infordrogues, la prise de Rilatine est surtout encouragée par la pression de la performance. « L’idée de ne pas performer stresse énormément. Et c’est encore pire aujourd’hui, celle-ci n’a en réalité fait qu’augmenter avec les années. Ce médicament peut être parfois prescrit à la demande des parents suite à une pression sociale. On est dans une société de la performance et l’absence de performance est encore trop souvent associée à une forme de maladie. Or il se trouve que cette substance est un stimulant qui soutient cette même performance et qu’elle peut être prescrite par un médecin. Elle ne suscite donc souvent que peu d’inquiétude chez les parents. Tant que la performance est là, peu se plaignent. »
Une drogue ?
Chez Infordrogues on estime qu’«une drogue est une chose qui produit un effet sur le système nerveux central. La Rilatine rentre donc dans cette catégorie, mais comme pourraient l’être d’autres médicaments comme les antidépresseurs », dit encore Antoine Boucher. « Elle ne crée pas vraiment une dépendance, mais surtout une dépendance psychologique. N’importe quoi peut provoquer une dépendance comportementale. Effet psychotrope ou pas, c’est de cette dépendance comportementale dont il est très difficile de se débarrasser. Par exemple, les étudiants qui en prennent ou continuent à en prendre alors qu’ils n’en ont plus réellement besoin, le font car ils ont l’impression qu’ils ne pourraient plus réussir sans. Que ce médicament est la seule solution pour obtenir leur diplôme», conclut Antoine Boucher.
Pour aller plus loin: voici ce que nous écrivions à ce sujet en 2013
C’était une sorte de calmant pour les enfants hyperactifs. C’est devenu un produit dopant pour le tout-venant. « Dans certaines classes, un élève sur six est sous Rilatine, déclare le Dr Patricia Baguet, pédopsychiatre au service de santé mentale Le Chien vert, à Woluwe-Saint-Pierre. « Petit à petit, les parents se disent que ce n’est pas si grave. Pourquoi ce médicament n’aiderait-il pas leur enfant aussi ? »
Cette infirmière travaillant dans un centre PMS du sud du pays complète : « Les élèves passent subitement de 12/20 à 18/20, commente-t-elle. Il existe une course à la performance dans certaines écoles. Dans les conseils de classe, j’entends fréquemment les enseignants dire qu’ils suggéreraient bien aux parents de mettre leur enfant sous Rilatine. Il y a même une tendance à juger ceux qui ont décidé d’interrompre le traitement de leur enfant. Une maman m’a déclaré qu’elle ne reconnaissait plus sa fille devenue trop calme, sans personnalité. Elle a arrêté de lui donner de la Rilatine. Les profs n’ont pas apprécié. »
La cocaïne des petits
Apparue dans les années 1990, la Rilatine est un médicament prescrit aux personnes atteintes d’un trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDAH). En 2017, environ 60 000 jeunes entre 6 et 18 ans se sont vus prescrire le médicament. Par la volonté des parents et des enseignants, ce dérivé d’amphétamine semble donc se banaliser. Et pas seulement pour soulager les enfants hyperactifs… Dans certains cas, l’objectif de la « kiddy coke » est d’améliorer leurs performances tout en facilitant la vie des parents et des enseignants débordés et stressés. Et une fois qu’on commence, difficile de décrocher. Après l’école, il y a l’université… où la pression se fait encore plus grande. Et désormais, des adultes se font eux aussi prescrire cette « cocaïne légale ». Dans une société imprégnée du culte de la performance, la tentation du dopage est de plus en plus grande.
« C’est souvent l’école qui tire la sonnette d’alarme et pousse les parents à venir consulter, explique le Dr Baguet. Ils veulent répondre aux attentes des enseignants, éviter la stigmatisation. Je reçois même des demandes pour des petits de maternelle. » Or la Rilatine ne peut actuellement être prescrite à des enfants de moins de 6 ans. Il n’empêche que certains bambins se sont déjà vus administrer de la Rilatine.
Il y a une dizaine d’année, le TDAH se définissait sur base de trois critères : l’hyperactivité, l’aspect impulsif et le trouble de l’attention. Aujourd’hui, l’un de ces critères suffit pour diagnostiquer une personne TDAH. Cela ouvre bien large le spectre des patients potentiels… Tout bénéfice pour les firmes pharmaceutiques qui produisent ce médicament.
La Rilatine n’est pas le seul médicament efficace pour les personnes TDAH. Il existe aussi la Rilatine MR, le Medikinet (Retard), l’Equasym XR et le Concerta. Tous contiennent du méthylphénidate, le stimulant qui calme, améliore la concentration et la mémoire. Leur différence réside dans la durée d’action.
Effets indésirables
A court terme, ce produit peut provoquer des maux de tête, des troubles du sommeil, un effet coupe faim, voire un déficit de croissance. « Un tel médicament ne doit donc pas être prescrit à la légère, insiste le Dr Baguet. Je suis toujours très prudente. Il faut poser le bon diagnostic. Je reçois l’enfant et ses proches, j’étudie la dynamique familiale, je contacte même les enseignants avec l’accord des parents. Certains jeunes souffrant d’un TDAH sont en grande souffrance et la Rilatine peut les apaiser. Mais mieux vaut privilégier d’autres stratégies. Il faut aussi s’assurer qu’il n’existe pas de contre-indication médicale avec cette molécule. Quoi qu’il en soit, j’insiste pour qu’il y ait une prise en charge globale, incluant un soutien psychologique, de la gestion mentale… »
En Belgique, la Rilatine est remboursée aux mineurs depuis 2004. Cette pilule « miracle » apparaît donc souvent comme le traitement de facilité, moins coûteux et fastidieux que des séances de psychothérapie. Et tous les médecins ne prennent pas les mêmes précautions avant de la prescrire. « Bien sûr, il y a des abus, commente le psychiatre Pierre Oswald. Certains patients jouent très bien la comédie. Mais notre rôle de professionnel, c’est d’établir le bon diagnostic et d’adapter le traitement en fonction de chaque personne. » Parmi les autres futurs effets indésirables de la « kiddy coke » : le « réflexe médicament« . « Des études montrent que ces enfants ou adolescents devenus adultes se tourneront plus facilement vers les somnifères ou les antidépresseurs », souligne encore Patricia Baguet.
Trafic sur les campus
Beaucoup de patients ne peuvent plus se passer de Rilatine. « Le TDAH diminuerait en grandissant, note Pascale Anceaux, directrice d’Infor-Drogues. Mais il n’est pas toujours facile d’arrêter lorsque la pression des études se renforce. Il s’agit clairement d’une forme de dopage. Mais si c’est légal, cela paraît moins dangereux. Or, que l’on se procure cette molécule chez le pharmacien, dans la rue ou auprès d’un ami, qu’on l’appelle « speed » ou Rilatine, les effets recherchés sont les mêmes. »
Sur son site, l’association Infor-Drogue a relayé l’enquête d’étudiants de l’ULB ayant abordé le sujet d’un trafic de Rilatine sur les campus. « Alors que nous cherchions des témoignages d’étudiants consommant de la Rilatine, deux personnes nous ont expliqué qu’on leur en avait déjà proposé à l’université, expliquent les students. Un autre étudiant nous avouera plus tard, à demi-mot, qu’il avait essayé une fois via un ami dont les parents étaient médecins. » Ce que confirme Maxime, 18 ans, déclaré hyperactif il y a deux ans, comme son père. « Mon fils me rapporte que beaucoup d’étudiants qui ne sont pas hyperactifs se refilent de la Rilatine sous le manteau et deviennent soudain plus performants, explique François, son papa. Ce sont même les parents qui s’organisent pour s’en procurer. »
Comment consommer la Rilatine ? La posologie (tout comme la prescription) est posée par un spécialiste des troubles du comportement chez l’enfant et/ou adolescents. Elle est adaptée en fonction des besoins et des réactions au médicament du patient.
L’origine du TDAH est principalement génétique. Les deux fils de Pascale De Coster, présidente de l’association TDAH Belgique, ont eux aussi été diagnostiqués hyperactifs. Ils sont aujourd’hui âgés d’une trentaine d’années. « Mon premier fils voulait entrer à l’armée mais à cause de sa Rilatine, il a été recalé, explique-t-elle. Depuis, il n’en prend plus… Il ne veut plus être stigmatisé. Mon autre fils a étudié la chimie à l’unif. »
L’hyperactivité émane aussi d’un contexte environnemental. « La société actuelle favorise le TDAH, commente le psychiatre Pierre Oswald. Les enfants, comme les adultes, sont hyper sollicités. Il faut bien réussir à l’école, faire du piano comme sa cousine, du cheval… » Pascale Anceaux ajoute : « L’augmentation du nombre de prescriptions de Rilatine témoigne de la grande préoccupation des parents par rapport à la réussite de leur enfant. Il faut réussir à tout prix, il n’y a pas d’issue possible. Que sommes-nous prêts à faire, comme parents, pour donner toutes les chances à nos enfants dans une société où tout peut basculer à tout moment ? Jusqu’où peut-on aller ? Et à quel prix ? »
Anne-Cécile Huwart
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