Retour au travail des malades de longue durée: «C’est comme pousser quelqu’un dans une piscine froide»
L’Arizona entend remettre au travail au plus vite les malades de longue durée. La reprise d’une activité professionnelle peut être bénéfique pour le patient, à condition de bien évaluer ses capacités et d’être dans le bon timing. Sans quoi, il risque de disparaître à nouveau, mettent en garde une psychologue et une coach professionnelle.
C’est l’une des mesures qui fait le plus parler d’elle. Et qui inquiète tant les patients que les professionnels de la santé. L’Arizona, qui ambitionne d’atteindre un taux d’emploi de 80 % en 2030, sait qu’elle ne pourra remporter son pari uniquement en remettant un maximum de chômeurs dans le circuit professionnel. C’est donc vers les malades de longue durée qu’elle se tourne pour contribuer à l’effort budgétaire. En Belgique, le nombre de personnes en incapacité de longue durée a doublé entre 2008 et 2023, passant de 250.000 à plus de 500.000.
Si les professionnels de la santé s’accordent à dire qu’il est souhaitable qu’un malade de longue durée puisse retrouver une vie «normale» en reprenant une activité professionnelle, ils redoutent un effet boomerang.
Le travail, source de rumination
Pour Judith Carrasquer Ferrer, psychologue clinicienne, psycho-thérapeute cognitivo-comportementaliste et coordinatrice du Centre du Burnout, il est important de laisser le patient récupérer ses capacités sur le plan physique et psychologique. «L’exposition prolongée au stress provoque un excès de cortisol avec pour conséquences physiques des douleurs multiples, une fatigue extrême et des troubles cognitifs qui affectent la concentration et la mémoire. Pour les personnes qui souffrent de burnout, le travail est une source importante de rumination. Elles s’inquiètent pour leur rémunération, de la perte de leurs indemnités, se demandent si elle ne vont pas perdre leur emploi. Et en même temps, elles ne se sentent pas capables de retourner au travail. Donc même lorsqu’elles sortent du cadre professionnel, elles continuent à subir ces ruminations et à être soumises à un stress important».
L’importance du facteur stress nécessite, poursuit la psychologue, de bien prendre en compte le timing pour s’assurer que ce retour au travail se passe dans les meilleures conditions. «C’est toute la question: attendre, mais jusqu’à quand? Et dans quelles conditions? Certains patients réintègreront le même poste. Pour d’autres, il s’agira de se réorienter. Nous travaillons avec eux sur ces ruminations, sur les risques psycho-sociaux liés au travail, la surcharge et le harcèlement moral, mais si des troubles cognitifs sont encore présents, la reprise restera difficile».
Magali Mertens est coach et disability manager. En 2011, alors âgée de 30 ans et enceinte de son premier enfant, la jeune femme apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Aujourd’hui, c’est elle qui accompagne les patients atteints de cancer dans la reprise d’une activité professionnelle, ainsi que les entreprises dans l’adoption d’une politique plus inclusive.
Pour les personnes qui souffrent de burnout, le travail est une source importante de rumination.
Judith Carrasquer Ferrer
Coordinatrice du Centre du burnout
Pour la coach, la remise au travail des malades de longue durée est une mesure qui a du sens, l’activité professionnelle étant elle-même un facteur de guérison. Mais comme Judith Carrasquer Ferrer, elle s’inquiète des conditions dans lesquelles cette remise au travail devra s’effectuer et de la prise en compte des handicaps invisibles que sont les troubles de la mémoire et de la concentration. Elle cite notamment l’exemple d’une patiente qui exerce le métier de greffière. «Le médecin du travail avait constaté qu’elle ne présentait pas de problème de mobilité et qu’elle s’exprimait bien à la fin de son traitement. Elle était censée reprendre son travail et assister à des audiences cinq heures d’affilées. Or, elle était incapable de lire plus de trois pages d’un livre. Elle peut évidemment remplir d’autres fonctions, mais pour cela il faut qu’elle soit accompagnée et que la reprise puisse se faire en douceur». Pour certains patients, un changement de poste ou de fonctions peut aussi être vécu comme un forme de deuil professionnel lorsque celui-ci ne correspond pas à leurs attentes.
Employeurs sensibilisés aux malades de longue durée
Magali Mertens déplore également le ton réprobateur adopté par l’Arizona à l’égard des malades, «la carotte et le bâton plutôt que l’intérêt du patient et son bien-être». Or, s’il est soumis à une pression trop importante dès son retour, le travailleur risque de disparaître à nouveau. «C’est comme pousser quelqu’un dans une piscine d’eau froide plutôt que de laisser y entrer d’abord jusqu’aux genoux». Le risque d’épuisement, de dépression et de burnout n’est pas à négliger, souligne-t-elle.
En tant que formatrice en disability management, elle s’étonne enfin que si peu d’entreprises aient connaissance de cette méthode visant le maintien au travail ou un retour au travail de la personne en incapacité en tenant compte de ses besoins individuels et des conditions de travail. Méthode qui fait d’ailleurs l’objet d’une formation certifiée par l’INAMI depuis 2014. «Néanmoins, je sens depuis peu un réel intérêt des employeurs pour ces outils. Ils souhaitent vraiment savoir comment mieux accompagner ces malades de longue durée, comment mener un entretien de préreprise et quelles tâches leur proposer».
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