Qui est Delta, le supervariant et faut-il s’en inquiéter?
Plus contagieuse et désormais présente dans plus de 90 pays, cette mutation du Sras-CoV-2 pourrait mettre à l’épreuve les stratégies de vaccination.
De l’air, enfin. Avec la fin du masque obligatoire à l’extérieur dans la plupart des villes, les autorités ont débarrassé les Belges de l’une des mesures les plus symboliques de la pandémie. Depuis quelques jours, ils respiraient déjà un peu mieux. « Tous les indicateurs évoluent dans le bon sens, c’est une bonne nouvelle dont on ne se lasse pas », s’est réjoui Yves Van Laethem, infectiologue et porte-parole interfédéral, le 25 juin.
De fait, tous les indicateurs sont en baisse et Sciensano enregistre moins de 400 infections quotidiennes, moins de 500 hospitalisations, dont moins de 200 en soins intensifs. Mais le variant Delta vient jouer les trouble-fête en balayant son cousin Alpha, dit « britannique ». Il est à présent majoritaire au Royaume-Uni et au Portugal. Hors Europe, le mutant indien sévit également, désormais repéré dans au moins 85 pays, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), à des proportions variables. Qui est Delta, et faut-il s’en inquiéter?
Qui est-il?
Delta n’est pas exactement le nouveau nom du variant qu’on a d’abord appelé « indien » car il avait été détecté en Inde en octobre 2020. En réalité, à ce stade, il existe trois variants indiens, issus de la même lignée, la B.1.617, et Delta est le nom que l’OMS a donné à B.1.167.2. Quant à B.1.167.1, appelé Kappa, c’est son très proche cousin.
Partout où Delta a pris pied, il n’a fait que progresser. En Inde, il l’a vite emporté sur ses deux cousins. Au Royaume-Uni et au Portugal, il y est très largement majoritaire. Aux Etats-Unis, il représente 35% des cas diagnostiqués. Une proportion comparable est observée en Israël, malgré un taux élevé de vaccinés, même parmi la population jeune. En Belgique, selon Yves Van Laethem, « tout laisse à penser que ce pourcentage sera au-dessus de 20% la semaine prochaine ».
Est-il inquiétant?
En mai, l’OMS a « surclassé » Delta, le désignant de « variant préoccupant » (alors que Kappa reste qualifié de « variant d’intérêt »). Entrent dans cette catégorie les variants susceptibles de posséder une transmissibilité accrue, une plus grande virulence ou encore une capacité de réduire l’efficacité des anticorps conférés par une infection ou un vaccin. Selon les « preuves disponibles » récoltées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), Delta pourrait être associé à un plus grand risque d’hospitalisation, c’est-à-dire à des formes graves de la maladie. Toujours selon l’agence européenne, « quel que soit le type de vaccin », il est établi que la première dose offre une moindre protection contre Delta que contre d’autres variants. En revanche, une fois la double dose administrée, le pouvoir protecteur est quasi équivalent. Des travaux conduits par Public Health England, l’agence de santé publique britannique, avance des résultats convergents. D’après elle, Pfizer-BioNTech assure 88% de protection contre les « formes symptomatiques » de Covid-19 dues au variant Delta, et 67% pour le vaccin AstraZeneca. Contre les hospitalisations causées par Delta, le vaccin de Pfizer-BioNTech est efficace à 96% après deux doses, et celui d’AstraZeneca à 92%. Aucune donnée comparable n’existe pour l’instant pour le second vaccin ARN, Moderna, ni pour celui à vecteur viral, Johnson & Johnson.
Delta pourrait représenter (en l’absence de toute mesure barrière) 70% des nouveaux cas au sein de l’Union européenne d’ici à début août.
Une étude publiée le 16 juin dans la revue scientifique américaine Cell se révèle moins encourageante en matière d’affaiblissement de l’immunité. Delta serait plus puissant que certains anticorps: ceux produits à la suite d’une première infection par le variant Alpha (britannique) conféreraient une bonne protection contre tous les variants, mais ceux développés à l’occasion d’une infection par les variants Beta (sud-africain) ou Gamma (brésilien) sembleraient moins efficaces en cas d’exposition à Delta.
Peut-il provoquer une nouvelle vague?
L’inquiétude se concentre surtout sur la contagiosité de Delta. Dans sa note, l’ECDC affirme qu’il est, à ce stade, de 40% à 60% plus contagieux que son prédécesseur, le variant Alpha, qui lui-même était jusqu’à 60% plus transmissible que la souche originelle et qui a joué un rôle majeur dans la deuxième vague en Belgique. Selon les modèles du centre européen, Delta pourrait représenter (en l’absence de toute mesure barrière) 70% des nouveaux cas au sein de l’Union européenne d’ici à début août. Un pourcentage qui atteindrait 90% à la fin août. « Il est très probable que le variant Delta circule largement pendant l’été, en particulier chez les jeunes qui ne sont pas ciblés par la vaccination », a averti Andrea Ammon, la directrice de l’ECDC lors de la conférence de presse tenue le 23 juin.
D’après les observations britanniques, c’est bien au sein des populations non vaccinées ou qui affichent un faible taux de vaccination que les autorités sanitaires notent un rebond des cas. Parmi les populations entièrement vaccinées, elles ne constatent, en revanche, qu’une très légère progression de ce variant. Ce qui veut dire que la vaccination atténue l’impact de Delta. Pour Yves Van Laethem, ce variant « pourra et devra rester limité si le nombre de contaminations reste gérable et si la couverture vaccinale continue à augmenter. Les vaccins sont là… mais il faut des bras tendus pour les recevoir ». Car, pour l’instant, le taux de couverture vaccinale, même parmi les pays les plus avancés en la matière, n’est pas suffisant pour contenir la propagation d’un mutant aussi contagieux que Delta.
Au 28 juin, 75,5% des Belges ont reçu au moins une dose et 41,8%, deux doses, mais avec une Région clairement à la traîne: Bruxelles, où 41,3% se sont vu administrer une dose et à peine 25,8%, deux doses. Les modélisateurs de la task force vaccination prévoient une couverture à 70% fin juillet et 100% en septembre. Il s’agit d’une prévision optimiste, puisqu’elle dépend des livraisons, de l’adhésion des hésitants et des départs en vacances. D’autant que, depuis quelques semaines, les autorités sanitaires constatent un tassement des injections. Désormais, des experts, dont l’immunologue Muriel Moser, plaident pour que l’on vaccine plus vite et le plus largement possible, y compris les plus jeunes. Aussi, selon l’Institut Pasteur, cibler les adolescents demeure nécessaire pour éviter une nouvelle vague. A l’inverse, d’autres, à l’instar de l’épidémiologiste Marius Gilbert, veulent se concentrer sur les plus profils les plus exposés aux formes graves de la maladie.
Au regard du variant Delta, les scientifiques s’accordent à dire qu’il faudrait plus de 80% de la population vaccinée (enfants compris) ou 90% de la population adulte. Dans ces conditions, jusqu’à ce que les plus fragiles soient vaccinés, il faudra maintenir strictement les gestes barrières qui ont fonctionné pour contrôler les autres variants. Et, à l’automne, certains moyens devraient faire leur retour. Pas d’efforts insurmontables ni de confinement, mais une combinaison de gestes barrières, de port du masque et de tester-tracer-isoler.
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